Brexit : May en mode Tsipras
par Laurent Herblay
samedi 17 novembre 2018
« Le Brexit signifie Brexit », lignes rouges : Theresa May avait adopté un discours très ferme sur l’application de la volonté exprimée par le peuple britannique. Las, dans cette Union Européenne, même quand on souhaite la quitter, il semble décidément que les vœux démocratiquement exprimés des électeurs comptent moins que ces règles qui enserrent nos démocraties, comme avec la Grèce.
Capitulation en rase campagne
On peut lui reconnaître le courage d’avoir pris les rênes de son pays dans de telles circonstances et d’affronter une telle épreuve, où les coups sont si nombreux à prendre. Elle semblait résolue à défendre la volonté populaire au point d’avoir soutenu que « l’absence d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord ». Mais l’accord qu’elle a accepté et fait accepter à la majorité de son gouvernement est en contradiction avec plusieurs des lignes rouges qu’elle avait elle-même dessinées. On aimerait qu’elle ait mis autant d’énergie à défendre ces lignes qu’elle en met aujourd’hui pour défendre son accord dans un climat politique devenu totalement crépusculaire et particulièrement incertain.
Car l’accord qu’elle défend aujourd’hui pose bien des problèmes. Si le maintien dans une union douanière était un objectif, les modalités vont bien plus loin que l’objectif initialement affiché. De facto, le Royaume-Uni reste dans le marché unique, comme le note Boris Johnson. Et Londres ne retrouve pas pleinement la main sur les mouvements de personnes. Pire, non seulement tout reste en état d’ici à la fin de la très longue période de transition, jusqu’en décembre 2020, mais en cas d’absence d’accord d’ici là, tout restera en place. En clair, dans la négociation à venir, May accepte de se placer dans une position défavorable puisque l’UE aura intérêt à ce que rien ne change, affaiblissant sa main !
En outre, le gouvernement accepte de continuer à contribuer fortement au budget européen ainsi que de reconnaître l’autorité de la Cour Européenne de Justice. Bref, le Brexit est si doux qu’il semble que Londres ait surtout abandonné son droit à participer aux décisions, tout en acceptant de continuer à se les voir imposer. Elle peut penser, « avec chaque fibre de son être », que c’est le meilleur accord pour son pays, mais cela ressemble tout de même beaucoup à une reddition en rase campagne. Les Britanniques veulent quitter l’UE ? Soit, mais pour ne pas perturber les intérêts du monde des affaires et des multinationales, tout reste presque en l’état. Le Brexit devient purement formel.
Il est d’autant plus effarant de constater la force qu’elle met à défendre ce plan. Mais pourquoi ne l’a-t-elle pas employée pour négocier un vrai Brexit ? La partie de poker qu’elle joue, en refusant tout nouveau référendum, n’est malheureusement pas totalement malhabile, défiant ses opposants du Parti Conservateur de la renverser au risque d’être laminés électoralement, en affirmant que son accord vaudrait mieux que pas d’accord. La ligne de crête est particulièrement étroite, mais elle existe, même si l’absence d’accord vaut bien mieux qu’une situation où Londres garderait toutes les contraintes, sans avoir le moindre mot à dire. Son « moi ou le chaos », aussi faux soit-il, n’est pas sans force.
Fallait-il attendre autre chose ? Il ne faut pas oublier que son logiciel politique et économique n’est probablement pas si éloigné de celui de l’UE. Bien des élites ont renoncé à la politique au sens noble du terme, préférant suivre le courant oligolibéral que d’y résister. En faisant comme Tsipras, en se reniant pour rester dans le cadre de l’UE, May montre ici un singulier manque de caractère.
Dans les prochains jours, je reviendrai sur les nouvelles leçons à tirer du Brexit, tout en sachant que la situation outre-Manche est potentiellement loin d’être stabilisée