Bye bye Britain

par Monolecte
samedi 25 juin 2016

Le prolétaire britannique est bête.
Si, si !
Comme son homologue gaulois, il croit que quand on lui pose une question, c’est pour avoir son avis. Alors que l’on s’en tamponne de son avis. Ce que l’on attend de lui, c’est une certaine réponse. Et il suffit qu’il réponde mal pour que ce soit la panique dans les tours d’ivoire où l’on n’aime pas trop être contrarié par cette populace boudeuse et versatile qui refuse de faire comme on lui dit, là où lui dit.

Bien sûr, toute ressemblance flagrante avec un autre scrutin serait purement et totalement fortuite.

La classe ouvrière britannique a rejeté la voie néolibérale vers l’intégration européenne. C’est compréhensible. Mais elle demande plus : la fin des politiques d’austérité mises en place par le gouvernement conservateur. Le problème est que le Brexit était porté par des forces politiques ultralibérales (Boris Johnson, UKIP) qui n’ont aucune intention de rompre avec ces politiques antisociales, mais entendent les amplifier. Ce vote ne va aucunement améliorer la situation de la classe ouvrière. Il ne peut que l’aggraver. La social-démocratie ralliée à cette voie antisociale depuis plusieurs décennies porte une responsabilité écrasante, car elle n’offre aucune alternative à ces politiques mortifères. Le Parti travailliste, lâché par les électeurs des classes populaires, est dans une situation difficile. Davantage encore que les conservateurs, les travaillistes sont les grands perdants de ce scrutin. Le peuple — the ordinary folks — encore plus.

Philippe Marlière, le 24 juin 2016

Donc, si l’on résume cavalièrement :

  1. les ouvriers britanniques ont bien compris que la politique européenne n’est pas du tout bonne pour leur poil.
  2. Maintenant qu’ils ont dit non, ils vont avoir le droit à la version maison de la même politique néolibérale.

En gros, le prolétaire britannique n’a jamais eu le choix de la politique dont il est la première victime et le vote, c’était juste un non-choix à la noix :

— tu préfères avoir une tête de veau ou des bras de 9 mètres de long ?

— Heu, je m’en fous, je ne veux rien de tout ça

— On s’en fout de ce que tu veux, répond juste à la question. Si tu refuses, tu auras les deux !

 

Ou comme disait Coluche :

Si les élections pouvaient changer quoi que ce soit, il y a longtemps qu’elles auraient été supprimées.

Non seulement le prolétaire britannique est bête, mais en plus, il manque singulièrement d’ambition. Il n’y entend rien à la bonne gestion des affaires publiques, au redressement national ou l’érectilité du marché triomphant. Non, lui, tout ce qu’il voit, c’est midi sa porte et l’huissier en embuscade devant.

Le prolétaire britannique est bête, mais il a pris modèle sur son cousin d’outre-Manche, le cuistre qui avait aussi répondu « non » à une question assez similaire, bien que posée en des termes plus alambiqués, comme il sied aux descendants de Molière. Ce même franchouillard rétif qui crache depuis des mois dans le chaudron de potion magique pourtant prescrite par la même bienveillance continentale.

L’ouvrir très grand, c’est l’une des choses que Jean-Claude — « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » — Juncker fait le mieux. Aussi a-t-il trouvé judicieux, dans un récent entretien au journal Le Monde de formuler ces quelques regrets : « à voir les réactions que suscite la « loi travail », je n’ose pas m’imaginer quelle aurait été la réaction de la rue, à Paris ou à Marseille, si votre pays avait dû appliquer des réformes comme celles qui ont été imposées aux Grecs ». Ah, ces Français rétifs ! Comme il est dommage de ne pouvoir vitrifier leur économie avec cette même brutalité joyeuse dont on a usé contre l’économie grecque !

Cela dit, rien n’est jamais perdu pour qui sait s’armer de patience. Durant l’été 2015, au cœur de la « crise grecque », le ministre hellène Yanis Varoufakis avait donné quelques clés pour comprendre la dureté des créanciers vis-à-vis de son pays. Selon lui, la véritable cible des « Européens » (et de l’Allemagne, plus encore que de l’Europe institutionnelle) était en fait l’Hexagone. « La Grèce est un laboratoire de l’austérité, où le mémorandum est expérimenté avant d’être exporté. La crainte du Grexit vise à faire tomber les résistances françaises, ni plus ni moins », avait-il osé. Pour lui, les cibles terminales étaient l’État-providence et le droit du travail français.

Source : L’Union européenne assume : la loi El Khomri, c’est elle, par Coralie Delaume, Le Figaro, 26/05/2016

Autrement dit, le prolétaire britannique est aussi bête que les autres prolétaires européens en ce qu’il prétend échapper à la place que la loi du marché lui a assigné : celle du perdant et du sacrifié d’office.


Lire l'article complet, et les commentaires