« Ceci n’est pas une Constitution »

par Sylvain Reboul
lundi 25 juin 2007

En première analyse et sous réserve de la rédaction finale par la conférence intergouvernementale (CIG) dès l’été prochain, l’accord de Bruxelles sur le traité simplifié pour l’Europe, de fait, préserve l’essentiel des mesures du TCE agrémentées de quelques astuces cosmétiques.

Il a tout, en effet, d’une Constitution (mis à part pour le Royaume-Uni en ce qui concerne les droits fondamentaux, nous y reviendrons) dès lors que ce traité s’impose à tout les droits nationaux, sans en avoir le titre formel.

Cinq points par rapport au TCE en témoignent :

1) Le principe de la double majorité (55 % des Etats / 65 % des populations), dans tous les domaines définis par le TCE, est préservé mais son application est renvoyée en 2014, avec une période de transition jusqu’en 2017.
Ce renvoi est formel car aucune décision importante, dans les domaines où la majorité qualifiée est déjà requise, ne s’est prise après un vote mais toujours sans vote après négociations. Et ceci dans la pratique sera reconduit, pour des raisons de légitimité et d’efficacité politique, mais avec en plus la menace de passage au vote en cas de risque blocage minoritaire.

2) Le président du Conseil européen sera élu pour deux ans et demi (au lieu de 6 mois aujourd’hui).

3) Le ministre des Affaires étrangères de l’UE pour faire plaisir à l’Angleterre est dénommé "haut représentant" de l’UE, avec les mêmes fonctions et prérogatives avec le pouvoir de négocier avec les puissances de l’extérieur au nom des 27 ; il est aussi élu comme le président pour deux ans et demi.

4) La Charte des droits reste intégrée au traité sous une forme juridiquement impérative ("opposable" contre les droits et décisions nationales qui les transgresseraient) et donc elle conserve une valeur constitutionnelle dans tous les 26 Etats sauf le Royaume Uni . Il faut rappeler que celui-ci n’a pas de Constitution propre , au sens formel, et on peut comprendre qu’il refuse donc de voir la Constitution européenne sur cette question s’imposer comme constitutionnelle en Angleterre. Mais la plupart des principes de cette charte sont interprétables en droit anglais en référence à la "Bill of Rights".

5) Sous la proposition de Nicolas Sarkozy, le principe de la concurrence libre et non faussée n’est plus présentée comme une fin de l’Europe, mais reste valide pour tous les échanges marchands et cela dans tous les textes techniques et traités antérieurs concernant le marché commun. Les services publics monopoles d’Etat non-marchands (intégralement financés par l’impôt) sont donc préservés de l’application de ce principe. Ce qui n’était pas très clair dans la présentation première de ce principe comme ayant la valeur trop absolue de finalité inconditionnelle. À sa place il est affirmé un nouvel objectif à l’UE concernant la protection des Européens, qui devrait calmer leurs craintes, en particulier à gauche, face à la mondialisation : "Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts, et contribue à la protection de ses citoyens". C’est la plus importante différence significative par rapport au TCE et elle devrait suffire à garantir à Nicolas Sarkozy une majorité qualifiée du congrès lors de la ratification par la voie parlementaire.

Sur le plan formel, en effet, les 27 états dont la France, le Royaume-Uni et la Hollande se sont engagés pour que cette Constitution, qui n’en est plus une tout en l’étant, ne soit, dans aucun pays, ratifiée par référendum, ce qui, sauf surprise parlementaire, la préserve des surprises citoyennes électorales négatives que l’on sait. En effet tout est, en diplomatie, dans la relation entre les mots et les choses. Pour qu’une Constitution échappe à l’épreuve mythique fondatrice du référendum, il suffit de l’appeler "traité simplifié" pour justifier la voie parlementaire afin d’adapter la Constitution française en conséquence.. Qu’importe le flacon... !

Nos chefs d’Etat semblent avoir été inspirés par le fameux tableau surréaliste de Magritte intitulé : "Ceci n’est pas une pipe" Un hommage personnel doit être rendu à Angela Merkel et à Nicolas Sarkozy dont les positions et les actions ont conduit à cet indiscutable et impressionnant succès rhétorico-diplomatique pour l’Europe.


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