Cette Europe de tous nos malheurs ?

par olivier cabanel
vendredi 25 avril 2014

A l’aube des élections européennes, ils sont nombreux à montrer du doigt l’Europe, responsable de tous nos malheurs, mais au-delà des colères justifiées des citoyens, qui contestent lucidement une règlementation autoritaire, la volonté d’austérité, ou l’influence des lobbys, quelle Europe voulons-nous aujourd’hui ?

Il est certain que l’épisode anti-démocratique du traité de Lisbonne est resté logiquement en travers de la gorge de nombreux français, puisque ceux-ci, par référendum, avaient refusé l’Europe qu’on leur proposait, et que les députés avaient majoritairement fait rentrer par la fenêtré celle que les citoyens avaient fait sortir par la porte.

Quand l’on constate l’influence grandissante des conseillers de tout poil, des lobbys qui ont table ouverte au conseil européen et qui se donnent les moyens de faire avancer leurs idées, entrant dans les bureaux de l’assemblée européenne aussi bien que dans un moulin, il y a de quoi largement s’indigner.

Ajoutons que la négociation autour du grand marché transatlantique en cours, et qui permettrait, par des jeux administratifs et une instance juridique privée, échappant au contrôle des états, d’imposer aux pays ce qu’ils ne veulent pas : des OGM aux grands travaux inutiles, en passant par les gaz de schiste, n’est pas de nature à soutenir l’Europe chère à Jean Monnet.

Coralie Delaume, cette diplômée de l’institut d’études politique de Grenoble vient de publier

« Les Etats désunis  » (éditions Michalon) et dans cet ouvrage fait le bilan de cette Europe qui serait détruite par l’Union Européenne. lien

Au-delà de la stratégie du FN qui siphonne les bonnes idées de la gauche, réclamant, par opportunisme, la sortie de l’euro, de nombreux partis réclament, soit la sortie de l’Europe, soit celle de l’Euro, (ou les deux), soit que des distances soient prises avec cette Europe qui décidément oublie régulièrement la dimension sociale citoyenne, et privilégie d’abord le monde de la finance, sans pour autant permettre une réelle régulation en matière fiscale, alors qu’elle pourrait mettre un terme aux paradis fiscaux, et punir l’exil fiscal.

Le 14 avril, sur l’antenne de France Culture, Brice Couturier dans sa chronique matinale engageait le débat avec l’auteure du livre « les états désunis  », évoquant ceux qui au lieu de reconnaitre nos faiblesses, auraient trouvé le bouc émissaire idéal, en faisant porter sur l’Europe tous nos problèmes.

Extrait : « à nouveau, la France est dominée. A nouveau le modèle qu’elle prône depuis 40 ans connait un échec. C’est cet échec qui nous a privés du statut de copilote que nous exercions en Europe à égalité avec les allemands. A nouveau nous tenons notre bouc-émissaire : c’est l’Union Européenne, cette technostructure irresponsable et aveugle aux souffrances des peuples ; c’est la monnaie unique qui handicape notre compétitivité et nous contraint à peser sur les salaires, faute de pouvoir dévaluer ; c’est la commission européenne qui nous inflige l’austérité, ce boulevard ouvert aux partis populistes. Et que découvre-t-on derrière ces puissances maléfiques ? L’éternelle responsable, la cruelle Allemagne coupable surtout de réussir là ou nous échouons avec obstination  ».

Constatant que l’Autriche ne connait pas le chômage, que les finances publiques de la Suède sont équilibrées, et que sa croissance est soutenue, que les Pays-Bas sont parvenus à conserver leurs parts de marché mondial, évoquant une classe politique française qui a manqué de courage, prenant l’exemple des Allemands, des Hollandais, ou des Scandinaves qui exportent toujours plus, alors que nous enregistrons des vertigineux déficits, le chroniqueur de conclure : « et si le constat que vous faites, celui d’une impuissance de l’Union Européenne, d’une divergence des pays membres de la zone euro, était déjà dépassée ? ». lien

Laurent Wauquiez, le vice président de l’UMP, constatant que « l’Europe, ça ne marche plus  », (lien) voyant la stratégie des anti-européens récolter de plus en plus de suffrages, s’est fendu d’un ouvrage, (Europe, il faut tout changer - éditeur Odile Jacob), et fait une ouverture timide vers la contestation européenne, proposant une Europe plus réduite, se limitant à 6 pays, affirmant « soit l’Europe change du tout au tout, soit elle est condamnée… »

Agnès Bénassy-Quéré, dans sa chronique matinale du 24 avril, sur France Culture, a prolongé le débat, faisant remarquer que casser l’euro, comme on casse un train électrique que nous venons de recevoir à Noël, risque d’avoir des conséquences inattendues, démontrant que le retour de notre monnaie flottante sera soit un leurre, pire un cauchemar, puisque nous ne sommes pas sur d’être dans une « zone monétaire optimale  », ajoutant que nous vendons beaucoup plus à l’Italie, et à l’Espagne, qu’à l’Allemagne, et que si ces pays dévaluent leur monnaie nationale retrouvée, notre balance commerciale va en pâtir une fois de plus.

Alors, conclue-t-elle, au lieu de casser le « train européen  », ne faudrait-il pas mieux tenter de réparer la loco. lien

Quant aux économistes, au fur et a mesure que l’on s’approche de l’échéance des élections européennes, ils sont quelques-uns à avoir changé d’avis, optant finalement de prendre des distances avec cette Europe, et surtout de « sortir de l’euro », tel l’Oncle Bernard de Charlie Hebdo, Bernard Maris pour les intimes, qui reconnait s’être trompé au sujet de la monnaie unique, déclarant « l’union n’est jamais venu à cause de la monnaie unique, les Etats allaient se lancer dans une Europe fiscale et budgétaire : ils allaient organiser leur budget à leur manière, sous le parapluie de l’euro. »

Constatant que cet euro fort est une catastrophe pour la France, il est convaincu que « soit on reste dans l’euro et on accepte qu’il n’y ait plus aucune industrie en France (…) soit on sort de l’euro et on sauve ce qui peut être sauvé »…il reste tout de même évasif sur les conséquences d’une telle décision, car il s'il est convaincu que si on sort de la monnaie unique, tout ne se « casse pas la gueule »…il n'explique pas pour autant comment…lien

Ce changement d’opinion réjouit Jacques Sapir, qui constate avec plaisir qu’un économiste de plus, et pas des moindre, rejoint le camp de ceux qui veulent sortir de l’Euro, d’autant qu’aujourd’hui la dette publique des pays européens atteint les 11 000 milliards d’euros. lien

Au niveau des autres pays européens, on ne peut que constater la montée de la contestation de cette Europe de la rigueur : en Espagne, (lien) en Italie (lien), en Grèce, (lien) au Portugal, (lien) les manifestations se multiplient, la Grande Bretagne va être consultée, et force est de constater que l’Islande, qui a dit non, se porte plutôt bien.

Ce qui est original, c’est qu’elle s’est éloignée de l’Union Européenne, et si aujourd’hui, ils ne sont que 25% des islandais à vouloir rejoindre l’union, 70% de la population tient malgré tout à obtenir un référendum pour le décider, même si le résultat pourrait bien être un refus de s’intégrer à cette Europe là. lien

En tout cas, le débat proposé par Médiapart, le 24 avril était riche en promesses et les a tenues comme on peut le constater sur ce lien.

Revenons en France.

Pour le PS, le casse tète est de faire mentir les sondages qui ne le voient arriver qu’en 3ème position…lien

Le front de gauche serait devancé par l’alliance UDI-Modem, mais surtout par EELV qui avec ses 12,5% talonne le PS avec 15 %.

L’exemple grenoblois, démontrant qu’une alliance Front de gauche et écolos pouvait être porteuse de succès, fera-t-il naitre au niveau européen une nouvelle donne ?

Le FN se frotte déjà les mains, car en s’attirant les voix des mécontents de tout bord, il est certain d’arriver en tête, espérant pouvoir enfin créer un groupe avec les autres partis d’extrême droite européens. lien

A l’UMP, on reste dans le flou artistique entre ceux qui commencent à contester l’Europe, et ceux qui restent droit dans leurs bottes.

Cependant les grands gagnants de cette élection pourraient être les abstentionnistes, dans cette élection où ils voudront marquer leur désintérêt de la chose, ou leur colère, d’autant que des initiatives ont été lancées sur les réseaux sociaux appelant au boycott. lien

Une certitude demeure, les français qui ont sérieusement sanctionné le chef de l’état lors des municipales, constatant que celui-ci continue de plus belle sans tenir compte de l’avertissement, choisissant comme premier ministre un homme dont on ne parvient pas à comprendre comment il pourrait être « de gauche », se serviront peut-être de cette nouvelle élection pour envoyer à François Hollande un message encore plus fort, au point que la gifle des municipales pourrait ressembler à une caresse.

Le président français a eu un avant gout de cette colère en se rendant à Carmaux, la ville de Jaurès, dans une opération qui ressemblait plus à de la « com » qu’à une commémoration, puisqu’il s’y est fait sérieusement chahuter. lien

Comme dit mon vieil ami africain : « quand on a de la température, il ne faut pas accuser le thermomètre ».

L’image illustrant l’article vient de « polemixetkavoixoff.com »

Merci aux internautes pour leur aide précieuse.

Olivier Cabanel

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