Chronique d’une stagnation européenne annoncée
par Neos
lundi 18 juin 2007
Que peut-on attendre du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 à Bruxelles ? L’enjeu de ce sommet a été rappelé par Angela Merkel le 17 janvier 2007 devant le Parlement européen : « La phase de réflexion est terminée. Il convient de mettre au point de nouvelles décisions d’ici au mois de juin. Je m’engage à faire en sorte que d’ici la fin de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne, une feuille de route pour la suite du processus du Traité constitutionnel puisse être adoptée. »
Les choses ont beaucoup évolué depuis le mois de janvier de cette
année 2007. En coulisse, loin des citoyens européens, les diplomates
des Etats membres ont étudié tous les scenarii, ont évalué toutes les
voies possibles. Alors que l’on s’acheminait vers une difficile
négociation entre d’une part les Etats membres qui ont déjà ratifié le traité établissant une Constitution pour l’Europe, et ceux qui l’ont
rejeté ou qui n’ont pas validé le texte d’autre part, l’élection du
nouveau président de la République français a déstabilisé le processus
en marche et offert à l’Union européenne une nouvelle option qui semble
faire son chemin et dont le maître mot est la "simplification."
En terminologie européenne, le concept de "simplification"
consiste à réduire le poids de la réglementation administrative et
supprimer les textes inutiles ou redondants. Initiée déjà lors de la présidence luxembourgeoise en 2005, cette simplification des règles
européennes - plus connue sous le terme Better regulation - a été
l’une des priorités d’action de la présidence allemande du Conseil de
l’Union européenne.
Simplifier les traités, simplifier le Traité, est donc au cœur des
discussions entre les chancelleries européennes. Mais simplifier quoi
et pour quoi faire ? Et surtout, quelle est la finalité qui se
dissimule derrière cette volonté soudaine d’aller vite, de secouer les
branches de la scène politique européenne, de trouver à tout prix un
compromis au mois de juin 2007 sur des dossiers négociés et renégociés
depuis six ans déjà, volonté politique initiée à Laeken en Belgique en
2001 et qui trouvera son apogée lors de la signature du Traité par les
Etats membres à Rome en 2004, au cours de la présidence italienne du
Conseil et qui sera repoussé à deux reprises quelques mois plus tard en
mai et en juin 2005 ?
Valéry Giscard d’Estaing l’a souligné avec raison sur son nouveau
blog : "La simplification recherchée vise-t-elle à faciliter la
ratification des quelques Etats encore réticents, ou dissimule-t-elle
en réalité une manipulation visant à revenir en arrière sur certaines
avancées du Traité constitutionnel ?"
(http://vge-europe.eu/index.php?category/Debats).
La question est posée : se précipiter derrière l’urgence n’est-elle
pas une stratégie honteusement insidieuse visant à amputer le projet
ambitieux amorcé à Laeken avec un texte a minima et satisfaire en
définitive les adversaires de l’intégration européenne, ces partisans
émerveillés devant l’opportunité soudaine et inimaginable il y a deux
ans de se recroqueviller derrière l’illusion confortable du bouclier
identitaire national ?
L’enjeu est de taille : avec l’initiative énergique du président
français, les équilibres entre les Etats membres europhiles et
eurosceptiques sont en train de bouger. Et avec ces nouveaux
équilibres, de nouvelles exigences que certains Etats n’auraient pu
rediscuter, il y a encore quelques mois. Les eurosceptiques n’ont
jamais été aussi forts depuis la fin de la guerre froide. Cette
position solide leur confère le pouvoir de revenir sur des dossiers
négociés et validés depuis de longs mois. La Charte des droits
fondamentaux, présente dans le texte signé, entre autres, par le
Premier ministre britannique à Rome en 2004, pourrait être remise en
question par le Royaume-Uni dans le projet simplifié en préparation
pour le Conseil européen des 21 et 22 juin prochains. Les propositions
de doter l’Union européenne d’un président stable de l’Union qui
pourrait être nommé pour deux ans et demi et donner un visage à l’Union
européenne, ainsi que de proposer un ministre des Affaires étrangères,
seraient elles aussi en danger. La définition des compétences entre les
Etats membres et l’Union, indispensable pour savoir "qui fait quoi
dans l’Union", pourrait être absente dans le prochain texte. L’étendue
du vote à la majorité qualifiée est très incertaine, de nombreux
domaines risquant fort de demeurer sous le régime du vote à l’unanimité
qui favorise naturellement l’usage du veto par les Etats membres qui ne
souhaitent pas s’engager sur une voie incertaine pour leur intérêt
national. Le risque est réel de voir les négociations de juin déboucher
sur un accord minima minimorum et donner le jour à un texte mutilé,
sans commune mesure avec les avancées proposées dans le texte initial
de 2004.
Quelles en seraient les conséquences ? La confirmation du repli
national et du rejet conjoncturel des compromis multilatéraux sur les
domaines "régaliens" encore entre les mains des Etats (diplomatie et
représentation auprès des organisations internationales, coordination
économique et monétaire, défense et politique industrielle de
l’armement et, dans de moindres mesures : immigration, politique de
développement, question du nucléaire, fiscalité, emploi...).
Le refus d’accorder plus de moyens aux institutions européennes,
notamment à la Commission européenne qui pour le moment doit continuer
à composer avec un collège de 27 commissaires (difficilement
administrable) et doit gérer des politiques communautaires pour près de
500 millions d’Européens.
La survivance du droit de veto avec la possibilité pour un Etat, quelle
que soit sa taille ou son poids géopolitique, de bloquer une initiative
commune de plusieurs Etats membres qui pourrait constituer une avancée
communautaire notable dans certains domaines (énergie, développement
durable, emploi ou fiscalité (TVA ?). Le ralentissement sérieux du
développement politique et du projet social de l’Union européenne,
alors que les puissants Etats émergents asiatiques et sud-américains
continuent leur incroyable ascension économique, broyant toute velléité
de résistance tant la concurrence qu’ils génèrent est écrasante. Le
risque enfin de voir l’Union européenne en grande difficulté face à la
nécessité de maintenir un haut degré de niveau de vie dans l’Union,
sans pouvoir en même temps garantir une coordination des décisions
politiques et économiques de ses Etats membres, condition indispensable
pour réussir le défi de la qualité de vie sur notre continent. Le tout
dans un contexte de vieillissement sensible de la population européenne
et d’émergence du papy boom en Europe.
Angela Merkel s’est engagée à faire de ce Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 un succès pour l’Union européenne, en dotant les Européens d’une nouvelle feuille de route. Alors que peu d’informations circulent sur les chances de réussite de ce sommet, le moins que l’on puisse dire, c’est que les discussions sont menées dans la plus grande opacité. Aucune transparence, aucune conférence de presse détonante de la part des chefs d’Etat et de gouvernement. Pas ou prou de transparence, pas d’ambition. Pas d’enthousiasme apparent. Pas d’Union dans la diversité. Mais l’image d’une Union européenne bien loin de ses objectifs naturels. Peut-être un regard par la lorgnette du règne sans partage du déficit démocratique et de la vision technocratique et intergouvernementale de la construction européenne par une majorité nouvelle de chefs d’Etat et de gouvernement, incapables de s’accorder sur l’esquisse d’un avenir commun ambitieux et à long terme pour les peuples du continent européen.
Une ère nouvelle et sans commune mesure depuis 1989. Une petite porte ouverte sur un avenir européen incertain, un grand pas en arrière pour la "démocratie européenne" et une plausible période de stagnation sur bon nombre de grands chantiers européens.