De Sapir et du front des opposants à l’euro

par Laurent Herblay
lundi 31 août 2015

Cela a été une des polémiques de la semaine denière : les média ont affirmé, abusivement, que Jacques Sapir préconisait un rassemblement allant du Front de Gauche au Front National contre l’euro. Ce faisant, ils sont passés à côté du sens, et surtout de l’essentiel de sa réflexion.

 
Mauvaise polémique pour très bon texte
 
Il est assez effarant que les nombreuses et passionnantes questions soulevées par Jacques Sapir, qui fait suite au débat lancé par Stefano Fassino, ancien membre du Parti Démocrate Italien, auquel appartient Matteo Renzi soit réduit à la seule question du Front National, abusivement raccourcie qui plus est. Car les quatre textes de Sapir sont remarquablement riches et intéressants : de l’interview pour Figarovox, suivie par « Sur la logique des ‘fronts’  », « A nouveau sur les ‘fronts’  », puis « Inconséquences  ». Il note que la crise Grecque a tranché la question de savoir si un pays de la zone euro peut mener une politique alternative, ce qui fait de la « question de l’euro une question éminemment politique  ». Jacques Sapir a bien raison de dire que « l’euro n’est pas seulement une monnaie » aujourd’hui.
 
Outre le fait d’instituer un système de parité fixe qui reprend bien des inconvénients du système de l’étalon-or, il s’impose depuis les débuts comme un projet politique, le moyen de contraindre, à terme, à un saut qui se veut fédéral, ce qui lui donne un caractère anti-démocratique étant donné que cela n’a pas été demandé et validé par les peuples. En imposant un agenda uniforme à ses membres, « l’euro fonctionne comme un cadre qui vide la démocratie de son contenu, et progressivement de son sens. On peut voir se matérialiser l’idée d’un gouvernement par les règles, gouvernement qui est celui des ‘experts’ anonymes. Ce principe de gouvernement constitue la plus formidable subversion de la démocratie auquel on ait assisté lors de la crise Grecque », notant le refus de négocier malgré les votes.
 
Comment on sort de cette impasse ?
 
Sapir soutient « que toute possibilité de reconstruire dans le futur une forme de coopération entre les pays européens qui s’avère propice au progrès et à l’espoir pour les peuples de l’Europe, passe justement par la destruction de ces institutions, et du projet dont elles sont à la fois issues mais aussi porteuses  ». Il critique « la brutalité inouïe, (…) le niveau de violence, qu’elle soit symbolique ou réelle, le mépris affiché pour des actes démocratiques  ». Devant le besoin urgent de changement, Sapir pose « la question des rapports avec des forces n’appartenant pas au même arc politique que le sien » et se félicite de la venue de Jean-Pierre Chevènement aux universités de rentrée de Debout la France, prélude à une rencontre prévue dans quatre semaines avec Mélenchon, Montebourg et Dupont-Aignan.
 
Les choses bougent avec l’inflexion réalisée par Jean-Luc Mélenchon, plus clair sur la question de l’euro. L’économiste Eric Toussaint, qui coordonne la Commission pour la vérité sur la dette publique Grecque, plaide pour « une sortie de gauche de l’euro  ». Implicitement, il montre que la sortie de la monnaie unique redonnerait un choix de politique. Jacques Sapir n’élude pas la question des composantes du Front de Libération Nationale, mais il écrit que « la participation du Front National à ce ‘front’ n’est pas aujourd’hui envisageable », et appelle à un rassemblement allant de Mélenchon à NDA. En clair, les raccourcis de bien des médias sont franchement abusifs, même s’il n’exclut pas une évolution à terme, passant à côté de la substance des réflexions de l’intellectuel sur la nature de l’euro.
 
Merci à Jacques Sapir de synthétiser ainsi les enjeux posés par l’euro et d’appeler à un rassemblement dépassant les querelles de chapelle. Et comme il l’a expliqué sur Europe 1, le FN ne fait pas partie du front qu’il appelle de ses vœux. Ma nuance est de croire que sur ce dernier sujet, la situation ne changera pas et qu’il faudra sans doute passer par un nouveau mouvement pour gagner.
 

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