De Socrate à nos jours, la ploutocratie toujours…
par ploutopia
lundi 15 mars 2010
Ce qui se passe en Grèce aujourd’hui est symptomatique d’un système monétaire pour lequel les Etats n’ont plus droit au chapitre. Bloqués par une dynamique budgétaire asphyxiante, les Etats se voient contraints de pactiser avec les magouilleurs en col blanc. Le manque structurel de capitaux et les règles d’intégration Européenne ont obligé les Grecs à falsifier leurs comptes sous l’aiguillon intéressé de Wall Street et de politiciens véreux[1].
Dans le monde de la finance et de la ploutocratie axé sur la gagne, tout n’est plus qu’une question de jeu comptable. On fait passer des recettes pour des dépenses, des crédits pour des débits, des emprunts pour des prêts, etc. Al Capone ne « valait rien » sans son comptable. C’est toujours le cas de nos jours sauf que la contrebande et la comptabilité se sont développées de manière exponentielle dans tous les sens du terme : taille, étendue, diversité et complexité. Subprimes, titrisation, société écran, comptes off-shore, trafic en tout genre (bois, animaux, enfants, organes, drogue, arme) et ce sur l’ensemble du globe et impliquant des milliers d’intermédiaires, ne sont que quelques exemples de l’ingéniosité de l’homme dans sa quête d’infini mal placé.
Dès 2000 les Ministres européens des finances ont débattu avec âpreté pour savoir s’il fallait ou non rendre publique l’utilisation des produits dérivés par la comptabilité créative (en clair, l’art de trafiquer les comptes en toute légalité - ndlr). La réponse a été négative[1].
Par ministres des finances entendez : Lagarde, Reynders ou Steinbrück que nos médias financiers s’acharnent à encenser régulièrement[2].
« Les politiciens voudraient faire avancer les choses et dès qu’une banque leur donne les moyens de repousser un problème à plus tard, ils tombent dans le panneau », a déclaré Gikas A. Hardouvelis, économiste et ex-fonctionnaire du gouvernement, qui a contribué à la rédaction du dernier rapport sur les pratiques comptables grecques[1].
Autrement dit, nos Ministres (Lagarde, Reynders, Steinbrück) et Politiciens (Barroso, Trichet, Van Rompuy) sont de mèche ! Et ils se permettent aujourd’hui de critiquer la Grèce pour sa « mauvaise gestion » ?
Ce qu’ils n’avoueront jamais, c’est que cette « mauvaise gestion » est la leur, la notre et celle d’un système corrompu jusqu’à la moelle. Cette « mauvaise gestion » fait partie intrinsèque du système.
Cette « mauvaise gestion » est devenue, à l’instar des paradis fiscaux[3], une réalité structurelle de système. Plus moyen de s’en passer sans que tout le château de carte ne s’écroule. C’est d’ailleurs la crainte de voir la Grèce claquer la porte aux créanciers (elle doit tout de même 300 milliards de dollars un peu partout dans le monde) qui pousse les Eurocrates à « l’aider ».
« Aider » en proposant un achat de terres[4] comme cela se fait déjà pour les pays du sud[5] !
« Aider » en mettant la Grèce sous tutelle du FMI et des rapaces de la finance[6] !
« Aider » en imposant une cure d’austérité draconienne à une population qui n’a rien demandé[7] ! Cure d’austérité qui rassure évidement l’Europe et les marchés[8]. Le peuple trinque et le capital souffle…
Alors, tant qu’à faire, autant que les Grecs rompent tout de suite avec l’euro plutôt que de se saigner à blanc dans la douleur sous le sourire cynique des vampires de la Haute Finance. Ils rejoindront alors les rangs de la Bolivie, du Nicaragua et du Venezuela qui ont eu le cran d’envoyer bouler le FMI et ses foutus plans d’ajustement structurels et programmes d’austérité[9]. L’euro a toujours prétendu être la monnaie du peuple mais ne l’a jamais été. L’euro a été créé et conçu par et pour la ploutocratie, jamais pour la démocratie. Les statistiques monétaires européennes (indice des prix, taux bancaires, inflation, endettement) ont toujours été manipulées[10].
Le choix Grec se résume en effet précisément à ceci : le peuple ou l’euro ?[11]
Fascinant et pitoyable est le parallélisme entre les événements de la Grèce Actuelle et ceux de la Grèce Antique en moins 400 avant J.-C. sous Socrate, Platon et Aristophane le poète[12]. A lire ces grands philosophes et poètes on ne peut que s’étonner de la force et de l’acuité de leurs analyses tout en s’attristant du contraire pour l’humanité qui piétine depuis 2400 ans !
Platon n’ignorait pas que la Grèce avait expérimenté toutes les formes du pouvoir unique et absolu (monarchie et tyrannie), mais aussi les formes les plus diverses du pouvoir oligarchique : l’aristocratie s’appuyant sur la simple possession des terres (à Thèbes mais aussi à Athènes avec les « eupatridès » et leur main mise sur le sénat) ; la gérontocratie censée valider l’expérience et la sagesse des anciens (Sparte) ; la polyarchie militaire dominant régulièrement la vie des cités grecques ; et même une certaine forme de théocratie avec les prêtres de Delphes qui n’hésitaient pas à lancer des guerres sacrées contre les cités coupables de sacrilèges quand les offrandes n’étaient pas suffisantes. Dans ce contexte, la démocratie était apparue comme le degré de perfection absolue de la vie dans la Cité, et donc comme la fin de la barbarie politique (guerres fratricides, dépravation des élites et misère du peuple)[12].
Mais grâce aux pièces satiriques d’Aristophane (et à qui l’on doit le nom de ploutocratie), Platon découvrait de nouveaux mécanismes : la ploutocratie était, et serait dorénavant, une nouvelle forme de pouvoir, liée à l’utilisation de la monnaie ; elle pourrait se développer au sein de toutes les démocraties ; elle menacerait la survie même des peuples victimes. En clair, la cause était désespérée à tous les niveaux, et c’est exactement ce sentiment que dégagent les écrits de Platon, notamment quand il fait appel à la grâce divine[12].
Dans sa lettre où il met en accusation les assassins de Socrate, Platon termine par cette célèbre phrase : « Donc, les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs de cités, par une grâce divine, ne se mettent à véritablement philosopher »[12].
Pour mémoire, la démocratie athénienne à été instaurée par Clisthène en 507 avant notre ère, et Socrate a été condamné à boire la ciguë en -399 avant J.-C[12].
Depuis lors, l’Histoire a largement donné raison au poète : d’une part, la ploutocratie supplante systématiquement la démocratie, en tout temps et en tout lieu ; d’autre part, l’humain n’a pas changé, ni individuellement (il est toujours matérialiste et âpre aux gains) ni collectivement (le peuple est un tas de graisse, et il suffit de payer quelques gens du peuple pour obtenir le droit de tout faire)[12].
Le peuple Grec a toutes les raisons de se révolter[13].
Que la Grèce se révolte pour détrôner une élite qui hurle encore avec les loups, ne serait qu’un juste retour des choses. Les grecs devraient se révolter contre les abus de la ploutocratie comme les français l’ont fait il y a deux siècles envers les abus de la monarchie. Que les Grecs fassent leur « révolution hellénique », tous les peuples opprimés et malmenés de la planète seront derrière eux. Que la Grèce retrouve son autonomie monétaire en créant une monnaie publique nationale. Qu’elle prouve que nous ne sommes pas des moutons, des numéros ou des citrons à presser jusqu’à la mort.
Peut-on imaginer dénouement plus symbolique ? Que la Grèce, berceau des civilisations, devienne un exemple pour toutes les Nations en posant la première pierre d’un nécessaire et salutaire changement systémique. Après le choc sur les deux tours du WTC au cœur de l’idéologie dominante, le peuple Grec porterait le deuxième uppercut au cœur des premiers désirs d’hégémonie.
Ce ne serait certainement pas tout, loin s’en faut, à commencer par une sérieuse analyse introspective. Mais ce serait déjà un bon début.
Depuis que les Etats ont cédés leur droit régalien de battre monnaie à des banquiers centraux répondant à des intérêts privés, ils sont devenus la vache à lait des grands créanciers (politiciens complices compris) de ce monde[14]. Capone, c’est du pipi de chat à côté de ce qui se passe aujourd’hui[15].
Aujourd’hui la faillite de la Grèce, demain celle de l’Espagne, puis viendra celle du Portugal, de l’Italie, de la Grande-Bretagne…[16] A qui le tour ? Et nous devrions tout accepter la bouche en cœur alors que toutes les richesses, fruit du sang des hommes et de la terre, se planquent dans des paradis fiscaux et magouilles financières ?
« Donnez-moi le contrôle sur la monnaie d’une nation, et je n’aurai pas à m’occuper de ceux qui font ses lois. »
– Meyer Anselm Rothschild, banquier.
A consulter :
La dette publique, une affaire rentable, André Jacques HOLBECQ, Philippe DERUDDER
Tax Heaven, how globalisation Really Works, Christian CHAVAGNEUX
[1] Wall Street a aidé la Grèce à dissimuler ses dettes et a attisé la crise européenne.
Source : New York Times – International Herald Tribune du 14 février 2010. Traduction : Horizons et débats
[2] Après Christine Lagarde (France) et Peer Steinbrück (Allemagne), le Belge Didier Reynders est considéré par le Financial Times comme le meilleur ministre des Finances en Europe. Alors que Reynders est probablement le pire de la bande ! FORTIS, voici pourquoi REYNDERS doit démissionner
[3] Les paradis fiscaux, pierre angulaire du système. Les entreprises du CAC40 (qui ne sont donc que 40) possèdent 1470 filiales dans les paradis fiscaux. 50% des flux financier mondiaux annuels transitent par des paradis fiscaux.
[6] En Grèce comme ailleurs, l’alibi de la dette ?, Gabriel COLLETIS
[11] La Grèce entre le peuple et l’euro, Marianne2
[12] Le néolibéralisme ? Un très vieux système… Pourquoi faut-il le combattre ?, Alter-Europa, Junon MONETA, p 3-6.
[13] Grèce : quatre raisons de refuser l’austérité, Gabriel COLLETIS
[14] Auto-multiplication cancéreuse des actifs financiers, Helmut CREUTZ
[15] Le total des actifs financiers (crédits et spéculations) atteint 6,7 fois le PIB mondial