Empirique, rationnelle Europe ...
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vendredi 11 mai 2018
Dans cet article, il sera question du projet d'une Europe moderne et contemporaine, depuis deux siècles. Néanmoins, on n'ignore pas les « précédents » romains et romans, de Rémus et Romulus (fondateurs mythiques de Rome) aux fils de Charlemagne (qui se répartirent l'empire de leur père, dans le souvenir de la Rome antique, au poins que l'Allemagne s'appella alors Saint Empire Romain germanique). Mais tout ceci se compte en millénaires. A notre échelle, depuis l'ère industrielle voilà deux siècles, c'est la figure de Naopélon Bonaparte, qui est incontournable, après la République des Lettres, courant Moyen-Âge ...
- Source : Minority Report, de Steven Spielberg - inspiré de Philip K. Dick
Préambule : De la République des Lettres, à la Déclaration d'Indépendance étasunienne
La République des Lettres, elle désigna l'ensemble des religieux, notables et aristocrates cultivés, pendant le Moyen-Âge (500-1500) et notamment depuis la Renaissance (1500-1650). C'est-à-dire que cette République naquit progressivement depuis Charlemagne (800) après l'effondrement de l'Empire romain d'Europe (500) : « Qui a eu cette idée folle, d'un jour inventer l'école ? » ... La réalité historique est à nuancer, mais l'idée est là, dans l'Europe devenue chrétienne.
A partir de la Renaissance, la découverte de la Terre colonisable par les navigateurs, doublée de l'abandon progressif des armures lourdes et des châteaux forts (sous le coup de ladite découverte, par quoi l'on fit des feux d'artifices asiatiques, des mousquets et des canons rendant inutiles les protections importantes ... ) ... cette découverte et cet abandon, permirent l'essor de la culture, y compris après les croisades (1000-1400) par lesquelles l'Occident retrouva ses racines philosophiques greco-latines, grâce à la voie arabe qui conserva les textes : le Moyen-Orient n'était pas au fondamentalisme, en ce temps-là, mais bien plus au mutazilisme d'Al Farabi, islam des Lumières avant nos Lumières ...
Or, justement, cette Renaissance européenne permit d'accoucher de nos Lumières (1600-1800) - salam alaykum ... C'est-à-dire que des auteurs tels que John Locke (pour le parlementarisme, par exemple), René Descartes (pour la prudence méthdodique), Charles de Montesquieu (pour la séparation des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire), Voltaire (pour la tolérance), David Hume (pour l'équilibre économique), Denis Diderot (pour la diffusion des savoirs), Jean-Jacques Rousseau (pour la protection des associés) ou encore Alexis de Tocqueville (pour les nécessaires contre-pouvoirs démocratiques, et le risque de tyrannie de la majorité) ... tous ces auteurs contribuèrent peu ou prou, à l'avènement et la compréhension de la démocratie américaine, depuis sa Déclaration d'indépendance (1776). Du moins les pères fondateurs se basèrent-ils sur les Lumières, quittes à les dévoyer - mais c'est une autre Histoire.
1. De la Déclaration d'Indépendance étasunienne, à Napoléon Bonaparte
Philosophie gréco-latine, Lumières islamiques médiévales, République des Lettres européenne médiévale, Renaissance et Lumières européennes modernes, jusqu'à la Déclaration d'Indépendance étasunienne : tout cela repose sur un principe originaire, qui est la raison humaine, raison en quête d'universalité, voire raison universelle, Raison grand R - si elle existe sans stalinisme assimilable, en pratique. Il y a une tendance à l'épure intellectuelle, dans la saisie même de l'expérience.
Cette épure a un nom : l'empirisme pour l'expérience - au moins depuis Francis Bacon, à la Renaissance, et ses principes de recherche -, le rationalisme pour l'intellect - au moins depuis René Descartes, aux prémices des Lumières. C'est-à-dire que les démarches se standardisent et se systématisent, à l'échelle d'une civilisation, au moins au niveau des élites - les peuples s'en tenant certes à un sens commun pratiquement éprouvé. Cette standardisation et cette systématisation technico-politiques, elles donnent des espoirs futuristes toujours plus grands aux élites, surtout avec l'invention de la machine à vapeur (1712) qui accouche de l'ère industrielle (1750-1970). Le machinisme est censé tout rendre possible, jusqu'au transhumanisme, en passant par les Guerres mondiales.
Mais enfin, nous n'en sommes pas là en 1789, en France : sous le coup d'une aristocratie décadente, courtisane depuis Louis XIV (Etat absolu d'Ancien Régime) et suite à des disettes (causées par des éruptions volcaniques, rendant moins rentables les sols), des femmes - en bonnes mères de foyer - se soulèvent, pour réclamer du pain. L'ensemble sera récupéré par la bourgeoisie, logiquement révolutionnaire.
Eh bien ! il faut savoir que le précédent étasunien, doublé d'années supplémentaires pour compulser les Lumières, permit de préciser l'empirio-rationalisme à l'oeuvre dans notre civilisation. Entre le Cultre de la Raison et de l'Être suprême et l'Eglise positiviste et sa religion de l'humanité (au point d'en condamner un athée militant tel qu'Anacharsis Cloots à la guillotine ... ) la France, fille aînée de l'Eglise catholique, recycla bizarrement ses ferveurs (il faut dire qu'un Fénelon, par exemple, défendait Dieu sur la base de René Descartes, sans parler de Nicolas Malebranche).
En somme : il y a un caractère français, passionément empirio-rationaliste, follement empirique et rationnel. Une description convenant au général, puis empereur, Napoléon Bonaparte : il cristallisa la tendance de civilisation empirio-rationaliste, au point qu'un Friedrich Hegel y vit l'incarnation de l'Esprit universel advenu dans l'Histoire - mais Friedrich Hegel était idéaliste. Or, donc, Napoléon Bonaparte avait un projet européen, sachant que la France inspira les Etats-Nations du monde.
2. De Napoléon Bonaparte, au IIIème Reich
Napoléon Bonaparte avait un projet européen, tout en cristallisant la tendance de civilisation - à savoir la standardisation et la systématisation empirio-rationalistes du monde. Cette tendance de civilisation, on ne peut pas dire qu'elle n'eut aucun fruit, aussi désastreux et pernicieux les jugerait-on. C'est-à-dire que la domination coloniale quasi-planétaire de l'Europe, dans cette période, lui permit une exploitation telle, qu'elle put - empirique et rationnelle, quoique violente et spoliatrice jusqu'à des pré-formes totalitaires - de se développer dans le sens productiviste-consumériste.
Qu'on le regrette ou non, l'Europe domina le monde, et poursuit relativement sa domination à travers son expression euro-américaine - génocidaire des Amérindiens, plus grand génocide de l'Histoire. Mais comment aboutir à pareils résultats, sans une telle formalisation ni une telle expérimentation ? Des phalanges romaines jusqu'au Blietzkrieg nazi, en passant par les infanteries et les cavaleries (les soldats napoléoniens se battaient encore en rangées, en joue, feu ! sous les pluies de canon - et ce, jusqu'en 1870 encore).
En attendant, un Victor Hugo s'enthousiasme romantiquement pour la constitution des Etats-Unis d'Europe, et se fait la bonne conscience, la caution morale, l'ennoblissement littéraire, de tous ces mouvements pourtant très - comme on l'a compris - empirio-rationalistes. Victor Hugo, en conséquence, rêve d'un nouvel ordre européen, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions, dit l'adage, et ce furent les nazis, qui escomptèrent un nouvel ordre européen, et bien plus qu'européen : un nouvel ordre mondial.
La démarche, quoique terriblement empirio-rationaliste cette fois, n'en reste pas moins permise par l'empirio-rationalisme (on l'a vu avec Napoléon Bonaparte : la passion anime la logique la plus froide, quoiqu'en sourdine et sous des airs impassibles, imparables). En effet, les empires antiques se répandaient et tenaient surtout grâce à la démographie mondiale moindre, occasionnant moins de batailles - et surtout des batailles ne consommant pas autant de ressources terrestres. Nos guerres mondiales auraient semblé aux Anciens, des chocs de titan ... toute une mythologie prométhéenne d'ailleurs réactivée par l'industrialisme démocratique, l'übermensh nazi et le stakhanov bolchévique.
3. De la folie à la crainte - du IIIème Reich, aux élargissements et traités contemporains
Tout ce qui précède peut faire froid dans le dos, et c'était sans parler de la bombe atomique. A savoir, donc, que l'empirique et rationnelle Europe ne renonça pas à elle-même pour autant ; elle ne renonça pas à sa tendance de civilisation, empirio-rationaliste. C'est que cette tendance lui permit d'accéder à la domination planétaire, plus ou moins hasardement (cf. Jared Diamond, De l'Inégalité parmi les sociétés). Aussi bien, les BRICS et autres régions du monde durent et doivent adopter de telles stratégies mimétiques, pour escompter une part d'un gâteau déjà trop entamé et accaparé.
Mais voilà donc que le XXème siècle calma les folies, avec emblématiquement - pour le meilleur et pour le pire - Albert Camus (qui eut du succès dans tout l'Occident). C'est à ce moment-là que les officialités françaises situent les bâtisseurs de l'Europe, un peu naïvement on peut le dire : la tendance de civilisation, empirio-rationaliste, est là véritablement au coeur palpitant des choses, la tête froide, quitte à nous faire atrocement souffrir, tant nous standardisons et systématisons la vie.
La suite, on en entend assez parler ces derniers temps. Notoirement : Maastricht, Lisbonne, l'élargissement, etc. C'est-à-dire que c'est la tête givrée, que les élites - empirio-rationalistes toujours - veulent imposer du coeur, par exemple sur des billets de banque. Mais tout cela se déroule dans la crainte absolue, pour la simple raison que la passion empirique et rationnelle n'a pas disparue. D'aucuns appellent cela la mission universaliste de l'Union Européenne. Rien de moins qu'une Raison grand R, néo-absolutiste dans la démarche, notamment à travers la finance.
C'est que, par crainte, on en passe par des circuits détournés, avec le risque de perversion idoine.
Conclusion : empirique, rationnelle Europe
Cette Histoire est en train de s'écrire. Nous avons vu qu'elle découlait de l'empirio-rationalisme. Mais, tout aussi bien, nous avons vu que l'empirisme et le rationalisme, aussi objectifs se présentent-ils, sont au fond subjectifs et - à tout le moins - perspectifs. Cela dit, qu'est-ce qui ne l'est pas ?
Qu'est-ce qui n'est pas perspectif ? ... Une question de bon sens, qui n'empêche pas d'accuser l'empirio-rationalisme de nos mondes euro-américains, par trop positivistes et scientistes (cf. Georges Canguilhem, sur l'idéologie scientifique, et Paul Feyerabend, sur les abus de la raison). En effet, s'il est perspectif, il ne saurait être absolument « objectiviste », contrairement au credo d'une Ayn Rand, par exemple (seconde lecture des Etasuniens après la Bible).
Puissent d'autres formes de raisons, qui ne prétendent pas à l'universalité hégémonique, (r)advenir.
Mal' - LibertéPhilo