Euro-crise. Les jeux sont faits, rien ne va plus

par Argo
lundi 2 janvier 2012

Le bonheur est-il dans le prêt ? La sagesse, quand on est rendu au fond du trou, ne commande-t-elle pas plutôt d'arrêter de creuser ? Après le succès éclatant de l’opération « prêt à 3 ans et 1% » de la BCE, notre pauvre zone Euro, ravagée par le chancre d’infinis tripotages politico-financiers, survivra-t-elle aux clystères administrés par Goldman Sachs ? Et qu'adviendra-t-il de nous autres, simples citoyens ? Doutes et coup de gueule.

L’opération dite LTRO (Long Term Refinancing Operation), ingénument baptisée « Sarko-Trade » par le Financial Times, en hommage à son plus ardent avocat, consistait, pour la BCE, à proposer aux banques de la zone Euro, un prêt sur 3 années au taux mirifique de 1%, sans autre contrepartie que de recevoir en gage de la dette souveraine frelatée — « collatéral » dans le jargon — et sans le moindre engagement des banques sur l’emploi des fonds. Un succès éclatant : dans un même élan d’enthousiasme, 523 banques ont rappliqué aux guichets de la BCE comme le cochon file à la truffe, et en ont raflé pour 489 milliards d’Euros. Pensez ! 523 banques ointes du saint-chrème, toutes embaumées de thunes ravigotantes et ressuscitées d’un bloc par la BCE et Gold-manne Sachs. Alléluias, belote, et rebelote prévue le 29 février 2012.

Si on devine aisément les clés du succès, les objectifs poursuivis, eux, restent nébuleux, pour ne pas dire fumeux.
 
Pour les plus pragmatiques — cyniques ? — il s’agit simplement de refinancer des banques exsangues qui en dépit des blablas officiels, bulletins de santé bidonnés — voir Dexia —, « stress tests » et autres troufignolades en séries, ont un besoin pressant de se refaire la cerise, si possible sur le dos du contribuable Européen — à 20,7% français, la quote-part de la France dans la BCE. Et avant toute chose, de transférer le risque de leurs actifs pourris ou en voie de l’être vers la BCE, c’est-à-dire vers nous autres rastaquouères, de façon à ce que nous puissions jouir bien comme il faut des conséquences d’un défaut de paiement. Mille Madoffs ! De ce point de vue, c’est un hold-up.
 
Pour les plus rêveurs — lunaires ? — dont notre président, cet argent doit servir à refinancer les dettes souveraines Européennes — dont plus de 600 milliards arrivent à échéance en 2012. Il permettrait aux pays en difficulté comme l’Italie — entre 250 et 300 milliards à refinancer en 2012 — de « rouler » leur dette — à défaut de la réduire — jusqu’à des jours meilleurs… lendemains riants, porteurs d’une vigoureuse reprise économique, synonyme de recettes fiscales à foison. Ces lendemains dont malheureusement personne ne saurait prédire la date, et encore moins l’embryon de l’esquisse des miracles — retour de la confiance, réduction des déficits publics — par lesquels l'arlésienne embellie pourrait bien s’opérer, pour ainsi dire à l’insu du plein gré de dirigeants incapables de nous faire miroiter autre chose que du Saint-Esprit à la Saint Glinglin, contre la très concrète promesse d'une réélection, dans quelques mois.
 
Ces mêmes dirigeants qui, par une funeste ironie du sort, ont poussé nos dépenses publiques — 56% du PIB, contre 50.3% de moyenne en Europe et 46.6% en Allemagne — à un moment où la crise entamait les recettes fiscales de l’Etat, de façon prévisible et durable. Résultat : une dette publique qui explose — 85% du PIB en 2011 — et va continuer de grimper, selon la prévision de Bercy — pour atteindre 88,3 % de PIB en 2012, puis 88,2 % en 2013. Des chiffres établis sur des hypothèses plutôt funambulesques — réduction du déficit à 3% du PIB en 2013, croissance de 1% en 2012, puis de 2% en 2013 — comme il est d'usage dans ce joyeux ministère, adepte de la méthode Coué et dévoré, de Mme Lagarde à M Barouin, par le démon des enthousiasmes budgétaires et des intuitions radieuses. Jusqu'au jour où... Allô, maman BCE, bobo !
 
On pourrait passer sur la turlupinade qui consiste à sous-traiter aux banques ce que les statuts Européens — et l’intransigeance allemande — interdisent à la BCE. Ou encore sur celle qui consiste à traiter une crise du surendettement par... un accroissement de la dette. Au point où en est rendu le malade, pourquoi pas ? Mais comment ne pas sourire en entendant Mario Draghi, l’instigateur de ce plan, se défendre mordicus de tout soupçon de monétisation massive des dettes souveraines, quand Nicolas Sarkozy s’en fait l’apôtre et le pédagogue. Un bel exemple de coordination Européenne au bal des faux-culs ! Dans la lignée des entrechats grand-guignolesques du trio Merkel-Cameron-Sarkozy, sur fond de silence assourdissant de M Barroso et musique de Goldman Sachs, caricatures d'une politique Européenne qui tient plus de la débandade que du ballet coordonné.
 
Quant à l’efficacité de la mesure… À la question : les banques vont-elles racheter de la dette ? La réponse logique serait : pas autant qu’on l’espère. N’y a-t-il pas une contradiction à exiger des banques qu’elles réduisent leurs bilans et arrêtent de spéculer sur les actifs frelatés — au risque de détruire notre épargne — et, dans le même temps, à les pousser à le faire ? Les amateurs de débâcles et autres virevoltants Zébulons du tout et son contraire, gagneraient à méditer sur les récents avatars du foireux Jon Corzine — ancien coprésident de Goldman Sachs — et du naufrage de son fonds MF Global suite à des prises de risques exagérées sur la dette européenne (lien en fin d’article).
 
Sur un plan technique, cela impliquerait une augmentation des ratios de levier bancaire, bien au-delà des multiples existants de 30 à 40, jugés trop élevés, et dont l’encadrement devrait être renforcé par le futur Bâle III (voir détails dans le lien en fin d’article). A moins, évidemment, que ces banques sommées de réduire leurs bilans ne rognent d’autant sur le crédit aux entreprises, avec les conséquences sur la croissance que l’on imagine. La timbale !
 
Quoi qu’il en soit, pour l’heure, dans les faits, pas grand-chose de nouveau sous le sapin. Et pas plus de ruée vers l’or que de beurre en broche : les banques, guêpes mais pas si folles, ont parqué l’essentiel du magot dans le giron de la BCE — dans ce que l’on jargonne la « facilité de dépôt » — et ce en dépit d’un taux au jour le jour offert par la BCE d’à peine 0,25%. Patience, donc.
Une première indication devait être fournie suite à l’adjudication italienne du 29 décembre. Bof ! Résultats mitigés : 7 milliards seulement ont trouvé preneurs — sur un maximum de 8,5 — et si les taux courts ont chuté, les taux à dix ans, eux, sont restés à près de 7%, un niveau jugé critique (voir détails et lien en fin d’article). On a beau être friand d’extravagantes culbutes — refourguer à 7% ce qu’on a touché à 1% —, de là à prêter sur dix ans ce qu’on a emprunté sur trois, il y a des limites au casino. A un moment, la dette qui roule… n’amasse plus mousse. Et sachant que l’Italie devra refinancer près de 300 milliards en 2012, sur une dette totale de 1.900 milliards d’Euros, il faudrait plus de quarante opérations comme celle-ci. On mesure l’ampleur des travaux pour l’Italie, et le risque de déroute pour les banques qui s’y risqueront, en cas de défaut de l’Italie. Qui voudra embarquer sur le rafiot ? Sans parler de l’Espagne et, pourquoi pas de la France. Le syndrome Corzine. Gageons que cette histoire n’a pas fini de nous coûter la peau des fesses.
 
Qui faire, me direz-vous ? Nous autres, infimes citoyens, on se garde bien de nous consulter. Quand la pharmacie est vide et que le malade a payé pour constater l'inutilité des panacées, que lui reste-t-il sinon souffrir et partir sans trop ennuyer son médecin ? Gentiment, en somme. Et puis, un référendum, réfléchir, donner son avis, manifester son désaccord peut-être, ça risquerait de nous fatiguer, de nous distraire des admirables schlagues, rigueurs et plans d’austérité, que nos élites nous imposent, afin de renforcer leur crédibilité auprès de la Haute Finance, du FMI et de Goldman.
 
Nécessité fait loi. Nécessiteux, beaucoup moins. A un moment où on est entré pour la seconde fois en récession, où les Restos du Cœur tirent la sonnette d’alarme et où le chômage atteint un taux record, gage de lendemains plus douloureux encore, il y a de l’indécence dans l’ingéniosité exorbitante de nos dirigeants à voler à la rescousse de la finance internationale, comparée à la balourdise qu'ils déploient pour combattre nos très concrets maux nationaux : chômage et précarité. Avec les résultats que l'on connait.
 
Que lui reste-t-il, au citoyen, pour se faire entendre ? Papademos, Monti, Draghi, Luis de Guidos, nouveau ministre de l'économie Espagnol, Robert Zoellick, président de la Banque Mondiale, Antonio Borges, directeur Europe du FMI… Aux manettes, c’est toujours Goldman Sachs. Une bien fine bande d’ulcères planétaires… et très discrets avec ça, très appliqués furoncles à nous ronger jusqu'à la moelle : entreprises, services, avenir, tout ! Doit-on descendre dans la rue ? Doit-on saborder ce système financier hors du contrôle humain ? À la Hourra Cantona ? Comme on ferait dérailler un train fou ? Les Etats-Unis, naguère, ont démantelé Bell pour moins. Et que foutre si l’Euro crève, s’il le doit. Au moins, guéri, il crèvera. On vendra la dette à l'encan et Goldman Sachs aux petits cochons. Vive l’Eurofranc ! Joyeux Noël Phénix !
 
Evidemment, la chute de l'Euro serait, dans un premier temps, un cataclysme — chute du PIB, chômage, envolée des prix de l'énergie, renchérissement du poids de la dette extérieure, sauf à se déclarer en défaut. Avant un possible redémarrage, sous l'impulsion du secteur productif. Voyez la crise Argentine en décembre 2001, et la rupture du lien peso/dollar — PIB -11%, chômage + 20%, inflation +40% dès 2002, puis à partir de 2003, croissance annuelle de 30% sur 3 ans. Faut-il en passer par là ? D'autant que l'Euro, dans tout ce chambard, il n’y est pour rien. Ce n’est, comme nous autres, que la victime d'un système monétaire mondial rendu au bout du rouleau, basé sur le dollar, le capitalisme financier, les profits toujours plus mirobolants, dont les effets se sont conjugués à l'incapacité de certains dirigeants, Européens comme Américains, à s'entendre et à maitriser leurs budgets, partant du principe qu'un Etat, contrairement à une entreprise, ne peut faire faillite. Et peut donc se permettre l'incurie la plus crasse. Ceux qui n'ont d'autre choix, aujourd'hui, que de nous vendre aux banquiers, principaux responsables de la crise. Ironie !
 
« Sur le papier », c'était pourtant une belle balade, l'Euro. Seulement voilà, certains sont partis à pied, d'autres à vélo, à scooter, en voiture ou encore en jet. 10 ans de politique monétaire commune sans l'ombre d'une harmonisation des politiques budgétaires et fiscales. Alors la balade a viré à l'errance... Quant à l'Union, l'idée fera probablement son chemin de sauver l'Euro et d'instituer une Europe à géométrie variable, comprenez les bons d'un côté, et le reste, Italie et Grèce en tête, dehors. 2012 promet d'être rudissime. Qui survivra, verra.
 
Reste qu’on pourrait changer de dirigeants en 2012 ? En France, en Allemagne, aux Etats-Unis. Y gagnerait-on ? Il est peut-être trop tard, mais j’en suis las, moi, des prodiges en cascades, des fins du monde parées d’un poil, d’un G20 l’autre, de bientôt cinq années d’arcs-en-ciel, de sommets, Pittsburgh, Toronto, Séoul, Cannes (35.000 nuitées d'hôtel, 12.000 forces de l'ordre, 20 millions d'Euros de budget), pirouettes, promesses et abus de promesses dont on ne saurait dire si elles ont été plus tenues que nuisibles, ou l’inverse. Fourbu, aussi, des perlimpinpins toujours plus transcendants, à prendre en deux fois, à cinq ans d'intervalle... Envie de « voirailleurs »… autres lampions, autres galops. Marre de lutter contre les moulins à galette, le système Goldman et ceux qui lui servent la soupe. Rien ne va plus ? Refaisons les jeux.
 
Sources :
 
L’adjudication italienne des 28 et 29 décembre
 
Banques. « Capital ratio » versus « leverage ratio », Bâle III
 
Jon Corzine et MF Global, la déroute
 
La dette publique en 2012 et 2013
 
Petite compilation sur Goldman Sachs (un livre n'y suffirait pas)
 
Crise Argentine (une étude de 2008)
 
Crédit photos : Mario Gaudio, Caryl Cagle

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