Europe et Nations

par Maurice
mardi 6 mars 2012

Quelle idée saugrenue, en ces temps tourmentés où la passion a pris le pas sur la raison, que de placer la question nationale au cœur des débats sur l’Europe. Gare au commentateur qui se risquerait de parler de primauté de la Nation. Dans le folklore intellectuel ambiant, celui-ci se verrait vite qualifier de toutes les pires intentions fascistes et xénophobes en tout genre, le reléguant à ce que les nouveaux chiens de garde, selon l’expression consacrée par le documentaire de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat[1], nomment les bas-fonds de l’humanité. A force de tapage médiatique constant, fallacieux, et orienté, l’invocation même du concept de Nation place immédiatement le contrevenant dans le costume avilissant de l’extrême droite, tuant ainsi dans l’œuf toute tentative de débat sur la question.

Pourtant cette question doit être au cœur des débats du moment, sous peine de voir l’Europe telle que nous en rêvons, dans l’idéal d’entraide et de paix entre les Nations, disparaître sous les coups de canon du capitalisme financier, piloté à distance par une élite de plus en plus destructrice, et apatride. Une élite dont les membres se disent cosmopolites, et se ressentent comme citoyens du monde. Mais quelle curieuse vision de la citoyenneté, où l’infinité des droits dont ils s’autoproclament investis, n’a d’égal que les devoirs qu’ils imposent d’autorité à une masse de moins en moins silencieuse.

Ne vous y trompez pas et évitez les contre-feux, la question primordiale qui doit être posée aux futures présidentielles est la place des Nations dans l’ensemble européen. Mario Draghi vient de nous le rappeler tristement à l’occasion d’une interview que le Capo a accordé au Wall Street journal[2] : le modèle social européen doit être enterré. Rien que ça ! Peut être avait il apprécié le sacre de Meryl Streep aux oscars pour son rôle dans la Dame de fer, car il sortit les mêmes ficelles, pourtant éprouvées, que Margaret Thatcher : « there is no alternative ». Effectivement, dans une vision de déconstruction des identités européennes, et de mise à sac des richesses idéologiques diverses faisant que l’on est fier d’être français, italien, espagnol, grec ou encore irlandais, il n’y a pas d’autre alternative que le transfert des diverses souverainetés nationales au triumvirat totalitaire composé à l’heure actuelle de José Manuel Barroso, Mario Draghi, et Herman Van Rompuy.

Pourtant Monsieur Draghi, la Nation est ce qui forge l’identité de chacun. La Nation est la base même de notre souveraineté et figure parmi les piliers de notre édifice politique, social, et historique. L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, notre socle constitutionnel, énonce que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». L’idée même de ce principe nébuleux est que l’intérêt collectif doit supplanter les différents intérêts particuliers. La Nation amalgame les visions, les religions, les origines pour définir un projet commun à long terme et dans l’intérêt de tous. S’attaquer à la Nation, et à son émanation politique la souveraineté nationale, c’est s’attaquer à la justice, l’équité, et la fraternité au profit d’une infime minorité. S’attaquer à la Nation, c’est remettre en cause les gardes fous sensés empêcher la supériorité de certains intérêts individuels. S’attaquer à la Nation, c’est laisser le champ libre à des comportements ayant fait dire à Thomas Hobbes que « l’homme est un loup pour l’homme ».

Conséquence d’une lutte acharnée menée par nos ancêtres, ce principe fondamental est en train d’être piétiné par l’armée de technocrates bruxellois, sous couvert jadis de modernité mondialiste, aujourd’hui d’urgence économique.

Le parti pris à l’occasion de la construction européenne a été de grignoter progressivement les diverses prérogatives nationales dans l’objectif de soumettre les différents pays européens aux dogmes ultra libéraux adoptés par les instances européennes. Déjà en 1992 à l’occasion des débats autour du Traité de Maastricht, le ver était dans le fruit. Le mémorable discours de Philippe Seguin à la tribune de l’Assemblée nationale est là pour faire foi[3].

Cette conception d’un certain mondialisme a aujourd’hui montré ses limites. L’ouverture anarchique des capitaux, les dumpings salariaux et fiscaux en résultant, et l’allégeance idolâtre à une finance complètement dérégulée a eu raison du contrat social français. L’ensemble des décisions adoptées main dans la main par la droite et la gauche a eu pour effet de compartimenter la souveraineté nationale, qui a été peu à peu retirée des mains du peuple français. « L’anti 1789 » a atteint son apogée, les privilégiés ont repris le pouvoir.

L’Europe paraît ainsi être à la croisée des chemins.

Soit la résignation s’empare de l’opinion publique, qui devant la profusion des informations se succédant, semble paradoxalement être encore moins consciente des périls tapis dans l’ombre : une Europe sans Nations verra le jour, une Europe de la gouvernance par la dette, une Europe sans âme, sans substance, et sans projet commun.

Soit l’opinion publique relève fièrement le regard, et tient la dragée haute aux instances décisionnelles actuelles : pour cela nous devons replacer les Nations au cœur du dispositif européen, en exigeant que ce débat ait lieu, et qu’il ne soit pas amalgamé à un desiderata de l’extrême droite.

Essayons de voir le verre à moitié plein, et anticipons le déroulement de la seconde hypothèse. Elle se traduit forcément par une punition électorale. La droite et la gauche doivent rendre des comptes pour avoir mené une action de concert dans la construction européenne actuelle. Les présidentielles ou les législatives doivent consacrer la mort politique de ces deux partis faussement opposés et véritablement en accord idéologique sur cette question fondamentale.

Une fois les « représentants » en France de la Commission européenne mis sur la touche, notre réponse vis-à-vis de la nébuleuse financière mondialiste se doit d’être sans faille. En effet, toutes les décisions prises au cours des trente dernières années, sous la férule idéologique des boys de l’école de Chicago[4], ont eu pour effet d’avantager les grandes entreprises et les institutions financières par une dérèglementation généralisée des secteurs économiques, commerciaux et financiers. Cette dérégulation a progressivement vidé de sa substance les Etats, qui sont devenus de moins en moins capable de s’opposer efficacement aux comportements peu scrupuleux de certaines entités privées. Ainsi, les Nations doivent investir les instances décisionnelles européennes. Les apparatchiks de Bruxelles, Strasbourg, et Francfort doivent immédiatement être mis au pas. Le Parlement européen doit enfin remplir son rôle de représentant des peuples européens. Les Nations doivent recouvrer leur souveraineté. Un Glass Steagal Act[5] doit être décrété. Le boycott des banques ayant des activités dans les paradis fiscaux doit être institutionnalisé[6]. Le principe même du peuple « prêteur en dernier ressort » doit être prohibé[7]. Too big to fail ? Libéralisme économique devons nous répondre : le plus fort remplace le plus faible. Nous ne sommes pas tributaires de l’éventuelle baraka des institutions financières dans le casino mondial. Le processus de la crise actuelle a consisté en un gigantesque transfert de dettes privées (ayant éclaté à l’occasion de la crise dite des « subprimes ») aux entités publiques, faisant ainsi débuter la crise des « dettes souveraines ». Les Etats sont venus au secours d’entités privées défaillantes qui, si le véritable libéralisme économique était en vigueur, auraient dû disparaitre. Peut être que cette intervention était nécessaire, mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir subordonné le concours de l’autorité publique à la prise en main de ces entités par les Etats ? Au lieu de cela nous avons purgé sans garantie, ce qui a mécaniquement affaibli les Nations, qui se voient désormais demander des comptes par les rescapés d’hier. Maléfique mécanisme.

L’Europe se fera en prenant en compte les différences entre les Nations, ou elle ne sera pas.

L’Europe existera dans l’élaboration de projets d’intérêts généraux dans l’énergie, le spatial, la recherche, et l’environnement. Des projets qui bénéficieront à l’ensemble des citoyens européens. Des projets qui feront naitre une fierté européenne, et permettra de souder les différentes Nations en créant des ponts entre elles.

Vouloir régir le quotidien de 500 millions d’européens est une hérésie. Cette technocratie européenne doit cesser. La profusion de décisions et autres règlements émanant de l’Union européenne enferme jour après jour cette dernière dans une bureaucratie administrative mortifère qui n’a rien à envier à l’ex URSS. Et au profit de qui sinon des institutions bancaires et financières mondiales ?

Le processus décisionnel nous a été retiré insidieusement, ce sera à nous de le reprendre. Et pour cela, il faut reconsidérer notre vision de la Nation, de ce que représente la souveraineté nationale. Des sacrifices et efforts mis en œuvre pour arriver à ce que soit écrit dans le marbre les lignes fondatrices de 1789. Prenons conscience des défis actuels, et réapproprions nous le sens des mots et des valeurs.

« Bientôt, les gouvernements et leurs spadassins qui se sont eux-mêmes attribués par la violence, un pouvoir illégitime, seront voués à l’élimination ou à la mort s’ils n’entendent pas, dans le lointain, les grondements de la tempête qui monte et dont le souffle va les balayer.

Sans une évolution programmée par des Etats déterminés à s’appuyer sur la raison et le génie de leur peuple pour promouvoir une politique novatrice, le capitalisme financier et ses hommes de main continueront inexorablement à étendre le tissu des lois et règlements qui leur permettent d’étrangler dans l’œuf la plus légère velléité de transformation.

Or, de rares exceptions prouvent, a contrario, qu’une volonté étatique, appuyée sur une organisation sociale et économique qui catalyse et coordonne les forces vives de la nation, peut parvenir à s’abstraire des nuisances du capitalisme financier grâce au choix déterminé d’un type différent de société en termes de production, de gestion et de répartition des richesses ».

Extrait de l’ouvrage

« Un terrorisme planétaire, le capitalisme financier »,

de Claude Mineraud


[1] http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=194641.html

[2] http://online.wsj.com/article/SB10001424052970203960804577241221244896782.html

http://www.presseurop.eu/fr/content/article/1553891-draghi-enterre-le-modele-social-europeen

[3] http://www.dailymotion.com/video/xiphz5_conspiration-du-silence-extrait-du-discours-de-m-philippe-seguin-le-5-mai-1992_news

[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Chicago_(%C3%A9conomie)

[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Glass-Steagall_Act

[6] Proposition tiré de l’ouvrage « Pour éviter le krach ultime » de Pierre Larrouturou

[7] Voir à ce sujet l’ouvrage « Le commerce des promesses » de Pierre-Noël Giraud


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