Grèce : La défaite annoncée de la droite
par Michel Koutouzis
vendredi 2 octobre 2009
Il y a pratiquement un siècle que deux familles (ou trois) se partagent le pouvoir en Grèce. La famille Karamanlis (actuel premier ministre en déroute) celle de Mitsotakis (dont sa fille est aujourd’hui ministre des affaires étrangères) et Papandréou (qui gagnera sans doute les élections du dimanche 4 Octobre) sont un exemple flagrant de « l’Histoire longue ». Figée, la Grèce est encore au diapason d’une division politique vieille de plus d’un siècle, celle qui opposa Venizélos, libéral, au palais et une droite nationaliste et putschiste. Entre temps, une gauche communiste (dans toutes ses variantes) s’est payée le luxe de multiples harakiris, depuis le temps de l’occupation allemande et de la résistance (ou elle fut hégémonique) jusqu’à ses divisions successives entre idéologues staliniens et post staliniens et les autres, modernistes mais toujours inaudibles. Les libéraux vénizelistes ont muté, suivant la radicalisation des classes moyennes et le désarroi des classes populaires orphelines, d’une représentation cohérente. Ils sont passés par des fronts centristes et, Pasok (PS) aidant, un socialisme atypique de Andréas Papandréou.
La droite aussi, dont le leader charismatique Costas Karamanlis est passé d’une gouvernance musclée à une opposition sans concessions au palais et aux lieutenants dictateurs analphabètes. Elle ira plus loin, devenant un parti de centre gauche qui sut déloger le Pasok après vingt ans de règne quasi ininterrompu. Le neveu Karamanlis, après une parenthèse Mitsotakis qui représentait les venizélistes ayant rejoint la droite, a su sortir la droite de ses derniers retranchements réactionnaires, inventant un populisme de droite en écho à celui des socialistes. Mais il les copia aussi pratiques corruptives et tropismes aux scandales financiers à la démesure.
Je n’oublie pas la guerre civile, les camps, les exécutions et les barbaries de tout genre dont fut victime tout progressiste durant les années d’après guerre. Elles donnèrent naissance au radicalisme du Pasok et au traumatisme nostalgique d’une gauche hors temps. Ce fut difficile, pour les socialistes, qui surfèrent longtemps sur cette vague de la revanche du peuple, de se moderniser : cela leur couta le pouvoir. Mais aujourd’hui, c’est quasiment chose faite. En effet, Georges Papandréou est, quoi qu’on en dise et qu’il en pense, l’antithèse absolue de son père. Celui ci avait un discours, Georges est loin d’être un orateur. Le langage sensuel du corps, c’est plutôt Karamanlis qui l’a hérité. Andréas Papandréou, charismatique, dialoguait avec le peuple du haut de son estrade, paternaliste et flamboyant. Son fils, subtil, hésitant souvent, nuancé et timoré, discourt avec la complexité. Son père aimait les tavernes, les cuites et les femmes (qui mèneront à sa perte). Georges aime le sport, le bio, l’éducation permanente et mène une croisade contre le réchauffement de la planète, bien en avance sur son temps, et surtout au temps des grecs. Son père aimait les coups d’éclat, les déclarations bellicistes, Georges lui, se sent à l’aise au sein des négociations internationales, et devient le président de l’internationale socialiste.
Les copains d’Andréas étaient une cour d’aficionados, ses chauffeurs, et les chanteurs de bouzouki. Les amis de Georges, il faut plutôt les chercher du côté des prix Nobel, d’économie et de littérature, de préférence. Bref, si dynastie persiste, il faut bien constater que elle aboutit, positivement, à une mutation de pouvoir, qui est, paradoxalement, en avance sur son temps. Comme disait Foucault, le pouvoir engendre le savoir, ne crée pas uniquement des fous furieux. Il peut être aussi à la racine d’une transformation entropique. Oui, Georges Papandréou sera probablement un excellent premier ministre. Et sa difficulté principale sera de gérer une société qui n’a pas évolué aussi vite et aussi positivement que lui…