Grèves et manifestations : de l’art de trouver à qui parler

par Nicolas Cavaliere
samedi 7 juin 2008

Le 21 mai dernier, Michel Barnier annonçait des mesures : 40 millions d’aides qui n’auront pas suffi. Quelques jours plus tard, les pêcheurs étaient de nouveau dans la rue.

Mais pas la rue française. En effet, les grévistes montaient directement manifester à Bruxelles. Ils n’ont pas tenté Paris, une manifestation près de l’Assemblée, de Matignon ou de l’Elysée. Non, ils étaient à l’étranger, près des commissaires européens qui usinent les directives que nos représentants entérinent à l’Assemblée, sans se poser la question de la représentativité de leurs manœuvres purement informatiques.

De mémoire de jeune homme de 27 ans, c’est la première fois que je vois ça dans ce pays (ou alors, c’est que les précédentes m’avaient échappé…) : des manifestants court-circuitent les lieux nationaux du pouvoir pour aller dire leur façon de penser à l’étranger. C’est invraisemblable. Car les lieux sont les fonctions. Autant dire que notre Président, notre premier ministre, nos députés ne sont que des marionnettes et que ceux qui tirent les ficelles sont ailleurs (comme la vérité). Et ce serait asserter que les gens reconnaissent que les décisions ne se prennent plus au même endroit qu’avant.

Pourquoi aller grogner contre quelqu’un qui ne peut rien faire pour vous ? Pourquoi s’échiner à hurler des slogans, à peindre sur des bouts de bois, à marcher des kilomètres, pour s’entendre dire au bout du chemin qu’on a gaspillé son temps de travail, une partie de son salaire, et perdu une journée d’activité acharnée (la manifestation est une activité physique qui exige de se lever tôt, mais qui n’est pas rémunérée) ?

En tout cas, on n’entend plus Michel Barnier de la même façon dans les médias depuis que les marins-pêcheurs sont montés à Bruxelles. Son simulacre de pouvoir a disparu lorsque les grévistes sont allés adresser leurs revendications autre part : "j’ai demandé à la Commission européenne si nous pourrions anticiper le versement de certaines aides européennes au début de l’automne pour faciliter la trésorerie des exploitations qui sont pour beaucoup en grande difficulté", dit-il, enfin conscient officiellement qu’il n’a pas son mot à dire.

Le 5 juin, on réapprend que Bruxelles entend réduire le quota de pêche pour l’année 2009. Elle l’avait déjà dit le 30 mai. Ce n’est pas le Ministre de l’Agriculture et de la Pêche ou le Président de la République, sur lesquels on peut poser les noms « Michel Barnier » et « Nicolas Sarkozy », qui font la déclaration. C’est « Bruxelles ».

« Bruxelles » s’est sentie agressée et a fait savoir par voie de presse qu’elle était prête à couper les vivres de certains pêcheurs au nom de l’environnement. Les nobles causes au service des grands groupes, c’est une politique dont « Bruxelles » est familière.

Alors oui, les pêcheurs français n’étaient pas seuls, il y avait des italiens et des espagnols.

Mais on peut déjà tirer quelques belles leçons de cette histoire (qui n’est pas encore finie).

1) Manifester est et reste un moyen efficace de pression. Certes, « que les manifestations ne mobilisent plus beaucoup, que les grèves ne soient plus trop suivies n’est pas nécessairement une bonne nouvelle », c’est un fait. Qu’elles se dirigent enfin vers les lieux du pouvoir en est un autre.

2) Les pêcheurs donnent l’exemple à suivre pour de nombreuses catégories de professionnels menacés : agriculteurs, routiers, pharmaciens et peut-être électriciens, gaziers, enseignants, facteurs, fonctionnaires…

3) Si les mécontents se rendent enfin compte qu’il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints, peut-être qu’ils auront gain de cause.

4) « Bruxelles » n’a pas encore de nom, mais si ces offensives continuent, elle va bien être obligée de s’en trouver un ou plusieurs, de façon à ce qu’on sache à qui s’adresser directement dans le futur ou à brouiller un peu plus les pistes pour continuer à faire croire aux gens que la politique et le droit ne peuvent rien pour eux.

5) Nicolas Sarkozy peut être réélu dans 4 ans, ce ne sera pas bien grave. De toute façon, n’importe qui pourra être à sa place d’ici là. Les pantins font de vieux os de bois.


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