Immigration familiale : où en sont les Européens ?

par Christophe Beaudouin
mercredi 20 juin 2007

Le projet de loi de Brice Hortefeux sur le regroupement familial sera débattu cet été à l’Assemblée nationale. Depuis les restrictions apportées à l’immigration économique dans plusieurs pays européens, le regroupement familial est en effet devenu le principal canal légal d’entrée des immigrants en Europe. A titre de comparaison, l’immigration familiale représente les deux tiers de l’immigration permanente totale aux États-Unis, plus d’un quart en Australie et au Canada. Ce concept de regroupement se justifie par l’idée que la venue de leurs familles permet aux travailleurs immigrés de mener une vie familiale normale, gage de stabilité, droit d’ailleurs proclamé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950. Le regroupement devait aussi faciliter l’intégration des travailleurs étrangers dans le pays dans lequel ils se sont établis. En France, depuis le 1er juillet 1975, le regroupement familial, un temps suspendu, a repris, avant que le décret du 29 avril 1976, que signa le Premier ministre Jacques Chirac, ne fasse de l’immigration familiale un droit inaliénable. Le gouvernement tentera alors d’interdire le marché du travail aux familles, avant que par un arrêt rendu en 1977, le Conseil d’Etat ne lui oppose une fin de non-recevoir en consacrant le fameux « droit à une vie familiale normale ». Résultat : les flux d’entrées sont constants et même en nette augmentation depuis un peu plus de dix ans, de l’ordre de 80 % selon Maxime Tandonnet, conseiller technique du ministère de l’Intérieur pour les questions d’asile et d’immigration. Ils représentent, hors immigration clandestine, environ 217.000 entrées annuelles dont en particulier 100.000 entrées d’adultes au titre du regroupement familial (avec environ 50.000 entrées d’enfants qui les accompagnent), 50.000 étudiants et 10.000 réfugiés. Avant que le Parlement n’examine cette nouvelle réforme du regroupement familial, offrons-nous un tour d’horizon des législations et des politiques existantes en matière d’immigration familiale en France chez nos voisins européens.

I- L’actuelle législation française

1) Qui a droit au regroupement familial ?

Une loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et l’intégration a déjà quelque peu durci les conditions du regroupement familial en France. Pour être rejoint par sa famille, un ressortissant étranger doit désormais justifier de 18 mois (au lieu d’un an) de séjour en situation régulière et d’un revenu au moins égal au smic (sans les allocations). S’agissant des mariages mixtes, le conjoint étranger d’un Français ne pourra obtenir une carte de résident qu’après trois ans de mariage. Pour obtenir la carte de séjour, il faut déjà avoir obtenu un visa de long séjour. Par ailleurs, les nouveaux arrivants souhaitant s’installer en France de façon durable doivent signer un « contrat d’accueil et d’intégration » par lequel ils s’engagent à suivre une formation linguistique et civique. La carte de résident peut être accordée à trois conditions : « L’engagement personnel de respecter les principes qui régissent la République française, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de la langue française ». Les étrangers dont "la personnalité et le talent constituent des atouts pour le développement et le rayonnement de la France" peuvent bénéficier d’une carte de séjour de trois ans renouvelable.

2) A quelles conditions de ressource et de logement peut-on y accéder ?

Il faut justifier de revenus stables et équivalents au moins au smic (au cours des 12 mois précédant la demande), toutes les ressources du foyer étant prises en compte, à l’exception des prestations familiales. Cependant, si les ressources ne sont pas suffisantes, une décision favorable peut être prise y compris après le dépôt de la demande, si le demandeur a un emploi et des revenus stables.

Par ailleurs, il faut justifier de disposer à la date d’arrivée de la famille d’un logement qui réponde aux normes minimales de confort et d’habitabilité. Le logement doit présenter une surface habitable pour deux personnes de 16 m², pour trois personnes de 25 m², pour quatre personnes de 34 m², etc.

3) Quelle est la procédure à suivre ?

Le demandeur s’adresse à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) ou directement à l’OMI dans certains départements. Si le dossier est complet, il est remis une attestation de dépôt. La Dsass transmet le dossier à l’Office des migrations internationales qui vérifie les conditions de logement et de ressources. Le maire reçoit le dossier de l’OMI pour avis. L’avis est réputé favorable à l’expiration d’un délai de deux mois. A l’expiration du délai de deux mois, l’OMI transmet pour instruction le dossier à la Ddass qui notifie au demandeur sa décision. L’absence de décision par la Dsass dans le délai de six mois à compter de la date de dépôt du dossier vaut rejet de la demande.

4) Le cas particulier des ressortissants du Maghreb

Les ressortissants des pays de l’Union européenne et du Maghreb relèvent de régimes particuliers. Si le demandeur est originaire d’Algérie et dispose d’un certificat de résidence d’au moins un an, la condition de durée de résidence (au moins 18 mois de séjour en France) ne le concerne pas. Un enfant qui lui est confié par décision judiciaire (kafala) est admis à séjourner en France au titre du regroupement familial. Pour les Algériens polygames, une seule épouse est en principe autorisée à résider en France avec ses enfants ainsi que les enfants nés des autres épouses (qui, elles, ne sont pas autorisées à résider en France). La procédure à suivre est alors la suivante. Pour être admis en France, les membres de la famille du demandeur doivent être munis d’un visa qui doit être demandé dans les six mois de la notification d’autorisation de regroupement. L’entrée en France doit intervenir dans un délai de trois mois à compter de l’obtention du visa. Les membres de la famille admis à le rejoindre doivent se soumettre à un contrôle médical effectué par l’OMI. Lors de la demande, l’intéressé s’engage à laisser entrer les agents de l’OMI dans le logement prévu pour accueillir sa famille afin de vérifier les conditions de logement et participer, ainsi que sa famille, au dispositif mis en place par l’OMI ou la Ddass. Les membres de sa famille admis à le rejoindre reçoivent un titre de séjour de même nature que le sien c’est-à-dire soit une carte de résident (ou un certificat de résidence pour les Algériens), soit une carte de séjour temporaire (ou un certificat de résidence d’un an pour les Algériens). La carte portera la mention " vie privée et familiale " ou " membre de famille " (pour les Algériens et les Tunisiens). Son conjoint doit effectuer la demande de titre de séjour dès son entrée en France. Ses enfants doivent faire leur demande dans l’année qui suit leur majorité ou entre 16 et 18 ans, s’ils souhaitent exercer un emploi.

II - Le regroupement familial dans les autres pays de l’Union

L’examen des dispositions en vigueur dans les pays étrangers montre que le regroupement devient partout particulièrement difficile, surtout dans les pays du Nord.

1) Subordonné à des conditions de revenus et de logement, le regroupement familial est limité à la cellule familiale au sens strict

Toutes les législations exigent que l’étranger à l’origine du regroupement puisse subvenir personnellement et durablement aux besoins de sa famille et lui offrir des conditions de logement décentes.

Par ailleurs, dans la plupart des pays de l’UE, les dispositions relatives au regroupement familial sont réservées aux membres de la famille proches, c’est-à-dire au conjoint et aux enfants mineurs, dans la mesure où ils n’ont pas encore fondé leur propre foyer.

Les autres membres de la famille ne sont qu’exceptionnellement admis au titre du regroupement familial élargi. Cette possibilité concerne surtout les ascendants âgés de plus de soixante-cinq ans, dans la mesure où ils dépendent financièrement d’un enfant installé en Europe et où ils sont seuls dans leur pays d’origine.

En effet, les pays les plus ouverts, comme l’Espagne et l’Italie, ont récemment supprimé de la liste des bénéficiaires du regroupement familial les « autres » membres de la famille (frères et soeurs, oncles et tantes...), dont la présence pouvait être justifiée par la dépendance financière.

2) Le regroupement familial devient particulièrement difficile, notamment dans les pays du Nord

L’Allemagne et le Danemark ont récemment modifié leur législation sur l’immigration. La loi allemande est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, tandis que la loi danoise est entrée en vigueur le 1er juillet 2002.

La récente législation allemande est restrictive pour les enfants : ces dispositions abaissent de seize à douze ans l’âge maximal permettant aux enfants de bénéficier de droit du regroupement familial.

Au Danemark, la loi du 6 juin 2002 dispose que le regroupement familial ne constitue plus un droit, même pour le conjoint et les enfants, et que chaque demande est appréciée séparément. En outre, le regroupement de conjoints n’est possible que lorsque chacun des deux a plus de 24 ans, l’étranger installé au Danemark devant par ailleurs disposer depuis au moins trois ans d’un titre de séjour d’une durée illimitée, lequel ne peut être obtenu qu’après sept ans.

Aux Pays-Bas, le gouvernement a récemment rendu le regroupement familial plus difficile : l’étranger qui souhaite faire venir sa famille aux Pays-Bas doit être âgé d’au moins 21 ans et apporter d’importantes garanties financières. Il doit notamment justifier d’un revenu égal à 130 % du revenu minimal.

III - Le test d’intégration civique de base au Pays-Bas, exemple à suivre ?

Les consulats néerlandais n’accordent plus de visas de longue durée qu’après la réussite à des tests payants de langue et de culture néerlandaises. Tous les non-Occidentaux désirant vivre ou se marier avec des Néerlandais doivent se soumettre au test, de même que les candidats au regroupement familial, soit quelque 240.000 personnes. C’est une première en Europe. Depuis la loi du 10 juillet 2006, cette mesure est étendue à tous les étrangers non occidentaux résidant aux Pays-Bas depuis 1975. De la réussite à cet examen, qui coûte 350 euros à chaque candidat à l’immigration, dépend désormais l’octroi d’un visa de plus de trois mois aux citoyens du « monde non occidental ». Sont exemptés de ce « test d’intégration civique de base » les ressortissants de l’Union européenne (UE) et de dix autres pays, de même que les nationaux de l’ancienne colonie néerlandaise du Surinam ayant fait leur école primaire en néerlandais, les immigrés hautement qualifiés (pouvant justifier d’un salaire supérieur à 4.500 euros mensuels), sans oublier les filles au pair et les étudiants étrangers. Depuis le 1er janvier 2007, le même examen est obligatoire pour tous les étrangers installés aux Pays-Bas après 1975 (date de l’indépendance du Surinam). Comme dans les consulats, le test d’intégration se déroulera en deux parties de quinze minutes chacune, l’une sur la culture, l’autre sur la langue. Les candidats répondent par téléphone à des questions posées par un ordinateur après achat d’un coffret en vente dans les librairies néerlandaises et sur internet, comprenant un livret, un film de présentation du pays traduit en quatorze langues et un CD de questions-réponses en néerlandais. En cas d’échec, l’examen peut être passé autant de fois que nécessaire.

Conclusion

La question de la redéfinition des conditions de l’immigration légale en France telle que l’envisage le gouvernement, ne peut être isolée du contexte général dans lequel se trouve ce dernier, avec marge d’action en réalité réduite à portion congrue : le traité de Schengen a aboli les frontières intérieures sans renforcer les frontières extérieures, et le traité d’Amsterdam a transféré à la Commission de Bruxelles et au Conseil statuant à la majorité qualifiée, la quasi-totalité de nos pouvoirs en matière d’immigration. Le futur traité institutionnel, s’il reprend les parties I et II de la Constitution européenne rejetée, achèvera de rendre obsolète le tout nouveau ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. En outre, avec une économie de la zone euro qui reste l’éternel "îlot de stagnation dans un océan de croissance", des taux de chômage et de délinquance toujours élevés, une école publique et des quartiers en crise, et plus généralement une société en quête d’identité collective, cet afflux continu de familles que nous ne sommes pas capables d’intégrer apparaît comme une bombe à retardement. Du côté de ces populations qui émigrent, le prétexte humanitaire au regroupement familial est d’ailleurs de plus en plus perçu comme une vaste escroquerie morale, dès lors que l’on fait croire à des familles entières que la France va les accueillir dans de bonnes conditions, pour au final, ne leur offrir que chômage, misère et désintégration.

S’il était décidé à récupérer un certain nombre de pouvoirs et à rétablir les contrôles fixes aux frontières, quitte à bousculer nos engagements européens, le gouvernement pourrait enfin prendre cet immense problème à bras le corps. Cela passe aussi en effet par la réduction drastique du regroupement familial en France, mais encore par le nécessaire retour à la fermeté s’agissant de l’exécution des arrêtés de reconduite à la frontière. "Fermeté aux frontières, francisation à l’intérieur, et codéveloppement avec le Sud" : tels étaient les trois piliers de la politique d’immigration proposée par Philippe de Villiers. Fort d’une expérience exemplaire de dix ans de coopération entre son département de Vendée et plusieurs pays africains comme le Bénin ou Madagascar, l’ex-candidat à l’élection présidentielle préconise un regroupement familial qui se fasse "dans le pays d’origine", politique de codéveloppement à l’appui, afin d’aider les forces vives à se fixer dans leur propre pays. Selon une étude, la politique vendéenne de codéveloppement avec le tiers-monde transposée à l’échelle nationale pourrait en effet tarir jusqu’à 70 % des flux migratoires. Comment ne pas l’imaginer même à l’échelle européenne ? Puisse un jour l’Union européenne être refondée sur le principe des souverainetés nationales coopérant à géométrie variable, telle que nous la proposons, pour être enfin capable de relever cet immense défi.


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