L’Allemagne, double bénéficiaire de l’euro

par Laurent Herblay
lundi 27 juillet 2015

Il y a près de 25 ans, la France a poussé l’adoption d’une monnaie unique européenne à son partenaire allemand, pensant le ligoter au projet européen. Mais en réalité, ce projet fou et artificiel s’est révélé être un effarant outil de domination économique de l’Allemagne sur ses partenaires.

 
Une dette souveraine moins chère
 
C’est Alterecoplus, d’Alternatives Economiques, qui a levé un aspect peu connu de la crise de la zone euro : le fait qu’elle a permis à l’Allemagne de faire des économies colossales sur le coût de sa dette souveraine, du fait de la divergence des taux d’intérêt entre les pays membres de la zone euro, après la convergence des premières années de la monnaie unique. Les chiffres sont stupéfiants : si les taux payés par l’Allemagne étaient restés stables depuis 2008, Berlin paierait 93 milliards d’intérêts en 2015. Cette année, notre voisin d’outre-Rhin n’en règlera que 48 milliards, soit près de deux fois moins, du fait du choix des investisseurs de privilégier la signature Allemande, la plus plus rassurante dans cette zone euro. Guillaume Duval a fait les comptes : l’Allemagne a économisé 193 milliards depuis 2008  !
 
 
Alors, bien sûr, la monnaie unique a aussi bénéficié aux pays aujourd’hui en difficulté car les taux de leurs dettes souveraines ont beaucoup baissé. Mais cette facilité accordée un peu rapidement par les marchés a également créé un fort effet d’aubaine qui camouflait les déséquilibres qui grandissaient, notamment au travers de la grande divergence des balances commerciales, relativement équilibrées au tournant du millénaire, et qui variaient entre -10 et +6% du PIB quand la crise s’est déclenchée. Et les gains colossaux réalisés par l’Allemagne (et les pays aujourd’hui privilégiés par les marchés) rendent d’autant plus insupportable les politiques austéritaires destructrices menées en Grèce car les différences entre les deux pays doivent beaucoup aux simples humeurs des marchés.
 
Outre un hold up commercial
 
Mais cette grande divergence des balances commerciales doit également beaucoup à l’unification monétaire européenne. En effet, avant l’euro, le deutsche mark était régulièrement réévalué et les monnaies du sud de l’Europe étaient dévaluées, reflétant ainsi des différences culturelles sur l’inflation. Ces réajustements ne posaient pas de problème et permettaient à chaque pays d’avoir une monnaie adaptée à son économie. Le projet fou d’unification monétaire européenne a cassé les mécanismes d’ajustement, ne permettant plus aux pays à plus forte inflation de compenser par une dévaluation de leur monnaie, que ceux qui avaient moins d’inflation n’avaient plus à subir, voyant progressivement leur compétitivité progresser, et donc les excédents commerciaux grimper, notamment au détriment de leurs partenaires.

C’est ce qu’a souvent souligné Jacques Sapir sur son blog. Non seulement l’euro n’a pas apporté le moindre bénéfice en matière de croissance ou de puissance, mais il a nourri, au contraire, bien des déséquilibres que certains pays européens paient cash aujourd’hui, quand d’autres, comme l’Allemagne, bénéficient d’une balance commerciale largement excédentaire, signe d’un enrichissement au détriment de ses partenaires, et d’une facture abaissée pour sa dette souveraine, tout en pouvant dicter ses conditions aux autres pays puisque Berlin est désormais le créancier de dernier ressort de la zone euro. L’euro s’est révélé être un outil impitoyable de domination des forts sur les moins forts, et encore, dans une compétition dont les dés sont largement pipés, outre le fait de ne clairement pas être justes.

Oui, l’euro a apporté croissance et puissance, mais uniquement pour l’Allemagne, et au détriment de ses partenaires, qui n’ont ni croissance, ni même libre-arbitre pour certains, obligés qu’ils sont d’accepter les règles venues de Berlin, comme la camisole budgétaire. Un destin malheureusement prévisible, d’autant plus que l’Allemagne s’est adaptée à la nouvelle donne.


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