L’Amour de la Forme du Droit

par JPCiron
lundi 2 août 2021

< L'Amour de la Forme du Droit > : qu'est-ce à dire ? C'est oublier l'esprit des lois ; c'est glorifier l'habit qui cache la misère morale ; c'est masquer des manœuvres déshonorantes ; c'est se mentir à soi-même.

Cet Amour de la Forme est peu à peu devenu notre quotidien en Europe, sans que l'on n'y prenne garde : même si nous n'approuvons pas, nous tolérons ou nous détournons le regard.

Alexis de Tocqueville confie « Les Américains des États-Unis ont atteint ce double résultat [exterminer la race indienne et l'empêcher de partager leurs droits ] avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement, sans répandre de sang, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l'humanité. (…) Plus j'y songe et plus je pense que la seule différence qui existe entre l'homme civilisé et celui qui ne l'est pas, par rapport à la justice, est celle-ci : l'un conteste à la justice des droits que l'autre se contente de violer. » (1) p. 498

Cette citation de Tocqueville illustre bien un mode de fonctionnement devenu progressivement assez généralisé en Europe : une marque de la civilisation occidentale.

Je propose donc ici quelques illustrations de la chose... il y en a bien d'autres... mais ce n'est qu'un Article et non un livre.

Et ce n'est pas une critique ; c'est une photo de famille...

 

 

Voici le plan de ce bref Article :

> Les Indiens d'Amérique

> L' Ordre du Monde : Islamique ou non ?

> L' Extraterritorialité : un parfait outil de sujétion.

 

 

Drapeau Européen proposé par Poucher, le 15 juillet 1951- Auteur Germenfer - CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication -

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Poucher_Flag_Proposal_(15_July_1951).svg

 

 

LES INDIENS D'AMÉRIQUE...

 

>> La Conquête de l' Ouest

Dès la Conquête de l'Ouest, « L'Amérique affirma énergiquement que son entreprise ne relevait pas d'une expansion territoriale au sens traditionnel, mais de la propagation des principes de liberté ordonnée par Dieu. » A ce propos (3), Henry Kissinger cite un article de "The United States Magazine and Democratic Review" (vers 1800) qui présentait les États Unis comme « la grande nation des temps futurs, distincte et supérieure à tout ce qui l'avait précédé dans l'histoire (...) » et rappelle « le grand principe de l'égalité humaine »

(Là aussi, il faut bien comprendre la forme dudit principe : nous sommes bien tous égaux, mais certains sont plus attardés que d'autres, et ne peuvent/doivent donc pas suivre les mêmes règles).

 

>> Le respect du Droit et de la morale

« La conduite des Américains des États Unis envers les indigènes respire (…) le plus pur amour des formes et de la légalité (…)  » (1)

Comment cela ? On le comprend mieux à la lecture du Rapport du Comité des Affaires Indiennes du 24 février 1830, que rapporte Tocqueville (2). Ce rapport explique que le Principe Fondamental (selon lequel les Indiens, en vertu de leur ancienne possession, n'ont acquis aucun droit de propriété ni de souveraineté), n'a jamais été abandonné, ni expressément, ni tacitement. C'est aussi le même principe qui s'applique depuis toujours à la faune sauvage.

En pratique, la forme des lois/règles qui ont été appliquées pour ''traiter'' les Aborigènes d'Australie et les Palestiniens ont produit le même genre d' effets :

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/le-viol-de-nos-actuels-principes-214231

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-sionisme-la-declassification-209989

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/quelle-paix-pour-les-indiens-de-211789

 

En synthèse, du point de vue de l'indigène, la Paix imposée aux Amérindiens n'a été possible qu'une fois qu'ils aient été écartés de leurs terres pour laisser la place aux colons, et parce qu'ils ont alors vécu de facto avec un statut inférieur à celui des nouveaux arrivants. En parfaite légalité et moralité :

« Les premiers colons de mon pays se voyaient aussi comme des pèlerins, envoyés par la Providence, pour construire une nouvelle Terre Promise. » (…). (Vice Président US Mike Pence)

 

En contraste, Michelle Vignes (9) rapporte que, dans les années 1880, le Bureau of Indian Affairs avait comme objectif la destruction des Indiens et de leur Culture. Un système d'internat avait été mis en place pour les enfants indiens : obligatoire et très dur (5 à 10 ans sans voir la famille/ interdiction de parler leur langue maternelle ni de pratiquer leurs cérémonies traditionnelles/ enseignement dispensé par des religieux missionnaires). Ce 'système' détruisait les liens familiaux et culturels. Et brisait les enfants, leurs parents, et leur structure sociale/culturelle.

C'est dans ce contexte historique, et en réaction aux autres violences infligées aux indigènes (maisons de correction, prisons, chômage, brutalités policières, racisme, …) qu'est né l'AIM (American Indian Movement) en 1968, avec comme objectif de changer les conditions de vie des indigènes.

Le fondateur de l'AIM disait : «  Les indiens ont survécu à l'intention évidente de les éliminer et, depuis que la tendance s'est inversée, ils ont dû supporter les bonnes intentions, qui sont parfois encore plus redoutables.  » (10)

 

 

L' ORDRE DU MONDE

 

>> Le problème que constitue l' Islam

Dans son livre ''L' Ordre du Monde'' (3), Henry Kissinger regrette que, « Inspiré par la conviction que son expansion unirait toute l'humanité et lui apporterait la paix, l'islam incarnait tout à la fois une religion, un super-État multiethnique et un nouvel ordre du monde. »

Et H.K. s'inquiète : « en cette période de résurgence islamique, -l'idéologie moderne, qui cherche à imposer les Écritures musulmanes comme arbitre majeur de la vie personnelle, politique et internationale- le monde islamique reste dans une situation d'affrontement inévitable avec le monde extérieur.  »

L'ennemi désigné est donc une religion qui empêcherait leurs adeptes de penser correctement. Mais qu'est-ce que penser correctement ? H. Kissinger nous l'explique au fil des pages, en soulignant que, depuis ses Pères Fondateurs, l'Amérique assimile « intérêt national et rectitude morale. » Ce qui vaut à l'intérieur vaut donc à l'extérieur... Et les seules questions qui doivent se poser à l'international sont : ''est-ce bien ?'', ''est-ce juste ?'', ''est-ce dans l'intérêt de l'humanité ?'' » ... et il serait superflu-inutile de confronter ces vues et les réponses apportées avec celles contrastantes venues d'ailleurs, car la Providence est avec nous.

 

>> Les Principes Américains sont universels

Quand on entend condamner les monothéismes qui ne font pas de distinction entre la Loi de Dieu et la Loi de l’État, il est nécessaire de clarifier que nous autres, en Occident, n'avons pas ce travers. Ainsi, H. Kissinger insiste sur le fait qu' « au fil du temps, le christianisme est devenu une notion philosophique, renonçant à s'affirmer comme un principe opérationnel de stratégie d'ordre mondial  » et explique que « ce processus a été facilité par la distinction qu'avait établi le monde chrétien entre ''ce qui est à César'' et ''ce qui est à Dieu'', permettant une évolution (…) au sein du système international reposant sur l’État. »

Après avoir ainsi clarifié les bases, H.K. martèle que « l'Amérique possédait des principes universels, tandis que les autres pays n'avaient que des intérêts nationaux (…). »

Et H.K. cite la formulation la plus éloquente pour la défense de la liberté, qui fut celle de J.F. Kennedy, le 20 janvier 1961. Dans son discours d'investiture, J.F.K. rappelle à ses compatriotes « que nous paierons n'importe quel prix, que nous supporterons n'importe quel fardeau, que nous surmonterons n'importe quelle épreuve, que nous soutiendrons n'importe quel ami et que nous combattrons n’importe quel ennemi pour assurer la survie et la victoire de la liberté. » J.F.K. appelait « non pas à créer un nouvel équilibre du pouvoir, mais donner naissance à un nouveau monde de droit. »

 

>> Une vision US constante à travers les siècles.

Notons la grande stabilité de vues aux USA depuis deux siècles : l'Article mentionné plus haut par H.K. "The United States Magazine and Democratic Review" (vers 1800) disait déjà : « Nous sommes la nation du progrès humain et (...) qui pourra imposer des limites à notre marche en avant ? Puisque la Providence est avec nous, aucune puissance ne le pourra. » Déjà aux origines, « Les États Unis n'étaient donc pas simplement un pays, mais le moteur d'un plan divin et la quintessence de l'ordre mondial. »

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/le-peuple-de-dieu-223483

« Tous les présidents, quel qu'ait été leur parti, ont proclamé que les principes américains étaient valables pour l'ensemble du monde.  » (…) « Ce postulat -si profondément ancré dans la pensée américaine qu'il n'est qu'occasionnellement présenté comme une politique officielle- suggère qu'une partie non négligeable du monde vit sous une forme d'organisation insatisfaisante, probatoire, et qu'elle accédera un jour à la rédemption (…).  » (3)

 

>> Le problème que constituent les voisins de l' État d' Israël

Henry Kissinger souligne que «  (…) l'Iran (…) doit faire un choix. Il doit décider s'il est un pays ou une cause. » Il va de soi que le problème ne se pose pas pour l' Amérique, puisqu'il ne s'agit pas d'une cause US, mais d'une mission divine. Ce qui change tout est donc bien la forme de l'engagement.

Parlant d’Israël, HK souligne qu' « (…) il faudra bien affronter tôt ou tard la question palestinienne, qui présente un élément majeur de l'ordre régional et, en définitive, mondial » et affirme que « ( …) la question se résume à la possibilité de voir coexister deux concepts de l'ordre mondial incarnés par deux États -Israël et la Palestine- dans l'espace relativement exigu situé entre Jourdain et Méditerranée.  »

Cependant, à mon sens, l'annexion des territoires occupés aidant, un Israël plus vaste devrait néanmoins initialement coexister avec des États musulmans voisins. Avec donc le même problème d'incompatibilité. Le plus simple serait bien sûr que les États Musulmans s'ajustent finalement et acceptent -comme tout le monde- les Règles Occidentales, et mettent en sourdine l'ancien et vieillissant ''Droit International'' et les "Droits de l'Homme" qui vont avec. Pour ce faire, certaines clefs essentielles du succès de l'entreprise semblent être de convaincre les dirigeants de ces Etats, et de faire en sorte que leurs peuples soient informés de manière appropriée.

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/medias-grand-public-et-politiciens-230211

 

 

L' EXTRATERRITORIALITÉ : un parfait outil de sujétion

 

« La situation juridique en France et en Europe ne pose pas de réelle limite à l’extraterritorialité des lois américaines. » (…) « Véritable passe-droit des autorités américaines sur les données des individus et entreprises, le prestataire a l’obligation de communiquer toutes les informations en sa possession sur une personne ou une entreprise utilisatrice de ses services. Et cela sans que la « cible » concernée n’en soit informée. » (…) Le lien de rattachement permet « aux sanctions internationales de bénéficier d’un champ d’application extraterritorial quasiment illimité, tant l’usage du dollar et donc la compensation des ordres aux États-Unis est répandu dans le commerce international. L’impact des sanctions américaines présente donc aujourd’hui un risque systémique pour les banques françaises et européennes et pour toutes les économies nationales. » (4) (afje)

Les lois extraterritoriales couvrent en fait tous les aspects politico-économiques de la vie des autres États du monde, qui ne disposent plus que de la forme de l'indépendance. En réalité, ces États ne sont que des ingrédients du Système qui les domine. Voir un extrait de la liste de ces lois extraterritoriales dans l'excellent Article de Jacques-Robert Simon : 

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/dsk-fut-il-le-seul-cocu-234787#forum6119125

 

>> Contournement-remplacement du Droit International par les Règles US.

En effet, l'extraterritorialité est devenue une ''arme de destruction massive'' tant dans le domaine économique que dans celui politique … Et certains pensent que «  Cette guerre juridique est d'autant plus illégitime d'un point de vue du droit international qu'elle est unilatérale. » (5)

L' Oncle Sam aurait-il oublié qu'il existe un Droit International ? Non, car il est bien commode qu'en pratique, ce Droit continue à être en théorie applicable pour les uns et pour les autres, tant qu'il ne contrevient pas aux Règles unilatérales US qui, elles, ne s'applique qu'à la discrétion des USA.

C'est donc la voie naturelle -un boulevard à sens unique- vers un monde unipolaire qui se met tranquillement en place, facilité par de bienveillantes passivités-lenteurs de nos élus en Europe, ainsi que par les orientations de nos Médias Grand Public indépendants.

 

>> Médias (auto-)contrôlés-muselés pour l'information-désinformation optimum des populations.

Il s'agit ici d'une ''couche'' supplémentaire par rapport à une situation initiale déjà en place dans certains domaines.

Pourquoi inculper Assange, auteur de publications du type de celles des lanceurs d'alerte  ? Pourquoi devrait-il être inquiété ? On peut avoir une activité de type journalistique et agir comme un activiste : c'est le cas pour tous les 'journalistes' des Médias "d' Opinion" Grand Public, qui lisent-commentent les papiers ''d'opinion'' qu'on leur donne : informations partielles, partiales, biaisées.

« Le journaliste est protégé par une jurisprudence très ancienne  : si ce qu’il publie est vrai, et si c’est d’intérêt public, il a le droit de le publier. » (6) Être protégé par la jurisprudence est une chose. Être néanmoins inculpé en est une autre : c'est toute la finesse du concept de l'amour de la ''forme'' du Droit.

 

Cette inculpation « pose une menace directe à la liberté de la presse et au journalisme d'investigation  » a renchéri Reporters sans frontières (8), tandis que l'organisation Freedom of the Press évoquait « un grand danger pour les journalistes  ». » En fait elle marque «  la fin du premier amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté d'expression. » (7)

 

Les ''sanctions'' pour les ''contrevenants'' étant massives, s'y frotter serait un suicide professionnel et social ! .... C'était beau l'idée de liberté qui émanait des livres d'images de notre enfance... !

En outre, l'extradition d'Assange consacrerait la suprématie de la loi américaine sur les législations nationales européennes. Mais me dira-t-on, dans d'autres domaines, c'est déjà pratiquement le cas...

Les Russes et les Chinois, qui font un peu la même chose dans leur coin, seraient-ils donc eux aussi engagés sur la bonne voie ?

 

 

Au final, alternativement, ne serait-il pas raisonnable de se demander si les élections ''démocratiques'' ont une quelconque utilité, puisque les décisions fondamentales ont été prises en amont par des entités non élues, et que les actions de nos élus sont inspirées par de brillants conseillers privés, ou lobbies amicaux, ... plutôt que par les orientations des électeurs.

 

 

JPCiron

 :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: : NOTES :: :: :: :: :: :: :: :: ::

.. (1) - De la Démocratie en Amérique – Alexis de Tocqueville (1835) – Gallimard - 2014

« Ne dirait-on pas, à voir ce qui se passe dans le monde, que l'Européen est aux hommes des autres races ce que l'homme lui-même est aux animaux ? Il les fait servir à son usage, et quand il ne peut les plier, il les détruit. » p. 467

« Les modernes, après avoir aboli l'esclavage, ont donc encore à détruire trois préjugés bien plus insaisissables et plus tenaces que lui : le préjugé du maître, le préjugé de race, et enfin le préjugé du blanc. » p. 501

 

.. (2) – Le Indian Removal Act (Loi sur le déplacement des Indiens) du 28 mai 1830 se base sur la décision de la Cour Suprême de 1823 qui statue que, si les Indiens occupent et contrôlent des terres à l'intérieur des États-Unis, ils ne peuvent pas avoir titre sur ces terres. « (…) Indians could occupy and control lands within the United States but could not hold title to those lands.  »

 

.. (3) - L'Ordre du Monde – Henry Kissinger – Fayard - 2016 / « (…) chaque président ou presque rappelait avec insistance que l'Amérique possédait des principes universels, tandis que les autres pays n'avaient que des intérêts nationaux (…).  » (HK) Voir aussi : https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/l-ordre-du-monde-de-henry-207974

 

.. (4) - https://www.afje.org/actualite/la-portee-extraterritoriale-des-sanctions-en-droit-et-en-fait—253

 

.. (5) - https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/extraterritorialite-du-droit-americain-le-grand-hold-up-832113.html

 

.. (6) - https://www.humanite.fr/eva-joly-sur-julian-assange-cette-affaire-est-manipulee-depuis-le-depart-684936

 

.. (7) - https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/julian-assange-inculpe-pour-espionnage-par-la-justice-americaine_2080014.html

 

.. (8) - https://rsf.org/sites/default/files/rapport_annuel_final_fr_24_avril_0.pdf

 

.. (9) - Indiens d'Amérique – Michelle Vignes – Ed. Léo Scheer/ Paris – 2003

 

.. (10) - Dennis J. Banks – Chef Indien Objibwa / Leader politique & spirituel, cofondateur de l' AIM (American Indian Movement) 1968.

 :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :


Lire l'article complet, et les commentaires