L’apostasie européenne

par Julien Rochedy
vendredi 27 novembre 2009

Il faut se souvenir d’une des frasques de Jacques Chirac, à savoir que « les racines de l’Europe sont autant musulmanes que chrétiennes », ainsi que de son refus de voir inscrit dans la constitution européenne un simple rappel des racines chrétiennes de l’Europe, afin de comprendre qu’est ce qui a pu pousser nos deux derniers papes à accuser l’Europe d’apostasie. Accusation grave, que l’on retrouvât dans la bouche de Jean-Paul II en 2003, et qui  revint à l’occasion d’un discours de Benoit XVI aux participants au congrès promu par la commission des épiscopats de la communauté européenne le 24 mars 2007. Inutile de faire ici un cours d’Histoire, n’importe quel livre sur l’Histoire européenne, fut-il une simple chronologie, démontre que l’Europe est chrétienne, et qu’elle n’a en tous les cas aucune autre racine religieuse, hormis, à la limite, païenne, mais le christianisme incorporât en lui-même nombre de ses traditions anciennes.  

Notons juste, pour la petite histoire de l’Histoire, que Sylvain Gouguenheim prouvât, avec son livre ô combien polémique « Aristote au mont Saint-Michel », que l’Europe médiévale conservât en son sein les traditions grecques, ce qui dément le truisme selon lequel la renaissance intellectuelle de l’Europe, s’il y en eut une, vint des apports islamiques. Il est assez étonnant de constater que ce livre fut reçu, dans les cénacles universitaires gauchisants, avec une singulière levée de boucliers, comme si une telle vérité attentait à la religion musulmane, ou comme si elle dénotait une fierté malsaine. Il est pourtant difficile de comprendre en quoi dire que l’Europe fut nourri du seul lait du christianisme est infâmant, et en quoi cela entache-t-il la grande religion musulmane de quoi que ce soit. Si j’écrivais un livre montrant que l’Iran ne doit rien au christianisme, cela serait-il calomnieux pour Rome ? Il y a décidément des réactions modernes qui sont parfois difficiles à saisir, si l’on ne prend pas en compte leur farouche volonté névrotique de n’avoir ni racines, ni identité, ni fierté d’aucune sorte.


L’Europe, donc, ne veut plus se dire chrétienne ; elle ne veut plus l’être carrément : elle est laïque, démocratique, droit-de-l’hommiste, et point c’est tout. Déjà, il convient de remarquer comme tout ceci porte une contradiction en soi, parce que sans christianisme, jamais démocratie, laïcité ni conception de droits pour l’homme n’eussent été conçues. C’est sur le terreau du christianisme que ces idées apparurent en Europe ; en reniant leur génitrice, celle-ci se trouve bien ingrate, bien orpheline, et l’on découvrira bientôt qu’elle est perdue, suspendue dans le vide, virevoltante dans le fameux abîme de l’athée, pour parler comme Chateaubriand. Autre ingratitude à souligner : la création de l’Union Européenne fut en grande partie d’inspiration démocrate-chrétienne. Alors là encore, l’Europe se comporte comme un gamin capricieux et parricide.


Mais, en vérité, tout ceci n’est pas très important : l’Histoire n’a que faire des rappels de formes et des ingratitudes. Le problème de la déchristianisation de l’Europe touche des points plus essentiels, il touche, par exemple, la nature de son âme tout entière. En reniant ses racines, l’Europe se nie dans son identité et dans son essence, ce qui, conséquemment, entraine le corps politique européen à être inefficace, à se chercher, et à ne susciter aucune grande adhésion. Car l’on ne rattache pas les peuples à de banals et prosaïques projets de libre-circulation, de marché commun ou de démocratismes ; non, on les rattache à des identités fortes, fortes parce qu’anciennes, fortes parce que transcendantes. Au sujet de la transcendance, Jean-François Mattéi vient d’écrire un livre formidable sur l’actuel manque de perspective de l’âme européenne, âme qui se vide de jour en jour de ses particularités et de son potentiel ; ce livre s’appelle « Le regard vide. Essai sur l’épuisement de la culture européenne », livre que je conseil à tous. Il rappelle que la singularité de l’Europe fut toujours un regard éloigné sur le soi et sur le monde, un souci d’idéalité et de transcendance, soucis que le christianisme nourrit pendant des siècles grâce à sa nature et la grande culture qu’il permet et suppose. En abandonnant le christianisme, en niant son influence et son Histoire (attitude proche d’un négationnisme pur et simple), l’Europe perd non seulement de son âme, mais se détache surtout de ce qui la permet.


Pour terminer mon propos, simple et rapide réflexion d’un jeune qui déplore la perte des repères, l’absence de sens donné désormais à l’existence et la vacuité qui gagne partout du terrain, je laisse la parole à Benoit XVI en citant un passage de son discours du 24 mars 2007 dont j’ai parlé plus haut, et qui, que l’on soit d’accord ou non, donne à réfléchir sur l’Europe, son passé, son avenir et sa nature :


« Tout cela fait apparaître clairement que l’on ne peut pas penser édifier une authentique "maison commune" européenne en négligeant l’identité propre des peuples de notre continent. Il s’agit en effet d’une identité historique, culturelle et morale, avant même d’être géographique, économique ou politique ; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles, que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle non seulement historique, mais fondateur à l’égard de l’Europe. Ces valeurs, qui constituent l’âme du continent, doivent demeurer dans l’Europe du troisième millénaire comme un "ferment" de civilisation. Si elles devaient disparaître, comment le "vieux" continent pourrait-il continuer de jouer le rôle de "levain" pour le monde entier ? »


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