L’euro, dopant oublié du pseudo-modèle allemand
par Laurent Herblay
lundi 25 septembre 2017
Aujourd’hui, les Allemands votent pour les législatives. Beaucoup a été écrit pour décrire la situation de l’Allemagne, ses forces et ses faiblesses. Mais trop souvent, la doxa eurobéate empêche de prendre en compte un élément majeur de contexte : son appartenance à la monnaie unique, qui est un extraordinaire dopant pour l’Allemagne, au détriment des autres pays de la zone euro.
Amphétamines monétaires pour « modèle » antisocial
Il y a deux mois et demi, The Economist avait réalisé un très intéressant dossier sur l’Allemagne, évoquant « le problème allemand ». L’hebdomadaire des élites globalisées voit dans l’ampleur des excédents commerciaux allemands, plus de 8% du PIB, un élément de déséquilibre majeur de l’économie mondiale et appelle, pour une énième fois, à des hausses de salaires et un desserrement du budget local, tout en notant que la dynamique démographique du pays, et son histoire ne l’y poussent pas. Mais ce dossier n’en reste pas moins extravagant pour deux raisons : l’oubli complet de la prise en compte des facteurs monétaires dans cette situation et celui des carences sociales du pays.
L’absence de prise en considération du facteur monétaire est tout de même assez effarant de la part de The Economist et en révèle sans doute le caractère dogmatique, pour ne pas dire religieux ! Ce magazine sait mieux que quiconque que les déséquilibres commerciaux ont en général une conséquence sur le cours des monnaies, et qu’un pays avec des excédents voit en général sa monnaie s’apprécier et un pays en déficit la sienne se déprécier. Les excédents allemands sont aussi le produit du caractère bon marché de l’euro pour une économie comme celle de l’Allemagne. Le FMI a ainsi récemment estimé que l’euro est trop faible de 18% pour l’Allemagne (et trop cher de 6,8% pour la France).
L’effarante tour de Babel monétaire européenne offre à l’Allemagne une monnaie beaucoup moins chère que si elle avait gardé le deutsche mark, tout en imposant une monnaie trop chère à bien de ses partenaires européens. L’Allemagne bénéficie donc d’un avantage compétitif colossal par rapport à la France, l’Italie ou l’Espagne, sur le dos desquelles elle s’enrichit depuis des années. Avant, le deutsche mark s’appréciait régulièrement, ce qui maintenait les déséquilibres commerciaux dans des proportions raisonnables. Avec la monnaie unique, les déséquilibres ne cessent de grossir, provoquant un phénomène de concentration progressive de l’industrie européenne autour de l’Allemagne.
Pire encore, malgré ces excédents extravagants, la situation sociale allemande est préoccupante. La pauvreté a augmenté de 54% en 10 ans, le nombre de travailleurs pauvres a doublé, à près de 10% du total, et le nombre de travailleurs cumulant deux emplois a augmenté de 80%, à plus de 2 millions ! Enfin, il faut rappeler que près de la moitié de la population a vu son revenu baisser depuis le début des années 2000. Pour être compétitive, l’Allemagne a sacrifié ses travailleurs, sous les applaudissements de ces élites inhumaines qui jugent que la baisse du prix du travail de plus de 15% « marche bien », en oubliant totalement ce que cela signifie pour de si nombreux allemands.
The Economist a un sacré culot de faire de tels reproches à une Allemagne qui applique pourtant presque toutes ses recettes et en lui demandant de desserrer son portefeuille, quand on sait ce qu’il en coûte de le faire dans ce monde, tout en fermant les yeux sur l’explosion de la pauvreté outre-Rhin et le rôle joué par la monnaie unique dans les succès économiques actuels.