L’Europe des... Dix-Huit se concerte pour tenter de sauver l’essentiel du projet de constitution
par Daniel RIOT
jeudi 18 janvier 2007
Les dix-huit pays qui ont ratifié la Constitution se concertent pour chercher une « sortie de crise »... pour cette Europe qui ne se donne pas les moyens de tenir « le levier d’Archimède » prédit par de Gaulle.
Les gouvernements du Luxembourg et d’Espagne ont pris l’initiative d’organiser une réunion informelle, le 26 janvier, à Madrid, des Etats membres qui ont ratifié le traité constitutionnel (au nombre de dix-huit à l’heure actuelle), dans le but de réfléchir aux mesures susceptibles de préserver les « indéniables progrès » que représente le traité.
Tous ceux qui cherchent une « sortie de crise » à la panne actuelle de l’Union ne peuvent que s’en réjouir : une Europe non constituée, avec des institutions adaptées à vingt-sept membres, est plus que jamais un Opni, un « objet politique non identifié » bien impuissant pour peser sur les évolutions d’un monde qui évolue très vite, alors que nous n’avançons qu’à reculons, même si, heureusement, au niveau de l’Union, « les travaux continuent malgré la crise »...
Dans une tribune publiée par Le Monde, Jean Asselborn et Miguel Angel Moratinos, ministres des Affaires étrangères du Luxembourg et d’Espagne, développent les raisons de l’organisation de cette réunion informelle, tout en ménageant les susceptibilités de ceux qui ont dit non (Français et Néerlandais) et de ceux qui sont soulagés de ne pas encore avoir eu à se prononcer (Britanniques en tête).
En l’état, les Etats de l’Union ont ratifié, en majorité, ce projet de traité constitutionnel. Un minimum d’esprit démocratique exige que leurs votes soient respectés... même si l’unanimité est exigée pour que la Constitution devienne effective et applicable.
Les dix-huit pays pourraient même en toute logique former cette avant-garde dont certains rêvent... Les Français s’en trouveraient encore un peu plus affaiblis, à la grande joie de ceux qui détestent « l’arrogance de Paris » sur la scène internationale, ou qui rêvent d’un hexagone replié sur lui-même, ou qui jugent la France bien archaïque dans sa volonté de maîtriser une mondialisation et une globalisation qui favorisent la géofinance internationale et la loi des plus forts ! Une partie de l’opinion française pourrait ainsi, peut-être, prendre la pleine conscience du prix qu’aurait une « moindre Europe ». Quand la locomotive devient wagon de queue, elle ne joue plus le même rôle.
La boucle des non serait ainsi bouclée. Avec des non de droite qui pourraient vraiment remercier les non de gauche, d’extrême-gauche, et d’alter-attitudes. Avec des partisans du oui qui n’auraient plus qu’à se mordre les doigts d’avoir si mal argumenté leur choix. Avec un Chirac et un(e) futur(e) président (e) réduits à jouer les acteurs de second plan... Une belle leçon sur l’impérative nécessité de mesurer les conséquences de ses choix avant de les arrêter !
Politique-fiction, bien sûr ! Ceux qui ont ratifié le projet de traité constitutionnel sont trop réalistes pour faire montre d’irresponsabilité. La réunion informelle de Madrid a des buts moins spectaculaires mais plus sérieux. Comment sauver ce qui peut l’être, tout en respectant le vote des Français et des Néerlandais et les réticences de bien d’autres face à ce projet signé par tous les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept, Blair compris et Chirac en tête ?
« La consolidation du projet d’intégration européen, au sein d’un monde en pleine évolution et toujours plus complexe, sera - cela l’est déjà - le défi que notre continent devra relever dans ces premières années du XXIe siècle. Les générations à venir nous jugeront sur les efforts que nous aurons consacrés à cette entreprise. Pour entreprendre cette route, il est indispensable de retrouver, d’un côté, l’esprit des pères fondateurs, comme Robert Schuman et Jean Monet, et, de l’autre, de se doter des moyens nécessaires », disent les deux ministres. Très juste. Tant pis pour Chevènement (membre du Conseil politique de Ségolène Royal) qui titre son dernier pamphlet La faute de M. Monnet, confirmant ainsi que son non à la Constitution a d’abord été (contrairement à ses dires) un non à l’Union. Il n’accepte, comme tant d’autres beaux esprits, que le Conseil de l’Europe, le lion de Belfort. Et encore...
« Du comté de Kerry aux Carpates orientales, de la Laponie aux îles Canaries, près de cinq cents millions d’habitants connaissent la paix ainsi qu’un progrès économique et social probablement sans équivalent dans l’histoire », rappellent justement les deux ministres. Une réalité trop oubliée, ou minimisée.
Ils poursuivent : « Le texte de ce traité constitutionnel n’est certes pas parfait. La démocratie dont nous jouissons n’est pas non plus un système de gouvernement parfait, mais c’est bien le meilleur que nous connaissions. La politique est l’art du possible assorti de la saine ambition d’entreprendre demain ce qui semble aujourd’hui impossible. » Très juste aussi. La politique n’est pas faite de rêves de grands soirs mais de réalités de petits matins pleins d’entrain et de travail, riches en volonté, et non en volontarisme.
« Le traité constitutionnel tente d’apporter des solutions ou, à tout le moins, de tracer les voies pour que l’Union et les Etats membres puissent relever les défis majeurs de la nouvelle réalité sociale et économique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. Il s’agit de répondre efficacement aux attentes des citoyens en matière d’environnement, de politique énergétique, d’immigration, de coopération au développement, de sécurité intérieure et extérieure, etc. ». Les partisans du oui ont trop laissé dire de « contre-vérités » sur ce que la Constitution scellerait dans le marbre. Ouvrir des voies n’est pas imposer, mais offrir des champs d’action. Trop tard pour les regrets...
Il y avait en particulier deux domaines sur lesquels les « citoyens européens » (selon tous les sondages et les eurobaromètres) fondaient leurs espoirs : la construction d’un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice et, d’autre part, la politique extérieure. C’est dans ces domaines qu’il importe de vouloir sauver les meubles si l’on ne veut pas que la plus belle réalisation politique internationale du XXe siècle meure asphyxiée dans les marais de la médiocrité et de l’impuissance, mais qu’elle puisse relever les défis du XXIe siècle.
Les deux ministres soulignent notamment : « Dans ses relations avec le reste du monde, le traité constitutionnel insiste sur le fait que l’Union "va promouvoir ses valeurs" et ainsi contribuer à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international. » Ces valeurs restent minoritaires sur cette planète...
« Tous ces préceptes, ajoutent-ils, ne seraient qu’une liste de bonnes intentions si l’Union ne se dotait pas des moyens nécessaires pour une action efficace. C’est pourquoi le traité constitutionnel prolonge le mandat du président du Conseil européen et prévoit la création du poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union, secondé par un service européen pour l’action extérieure. D’où également l’insistance sur la cohérence des différents instruments de la politique extérieure, l’amélioration et l’assouplissement des processus de décision ou l’établissement de mécanismes, fondés sur la participation volontaire, pour renforcer la politique européenne de sécurité et de défense. » C’est plus impératif que jamais, au Moyen-Orient et ailleurs.
Conclusion de MM. Jean Asselborn et Miguel Angel Moratinos : « Le traité constitutionnel est sans doute le meilleur instrument dont nous disposions : s’il n’existait pas, nous devrions nous mettre d’accord pour le réinventer. » C’est ce qu’il s’agit de faire, bien sûr. Merci aux responsables des dix-huit pays qui l’ont ratifié de tenter de trouver de bonnes réponses.
J’aimerais dire aussi merci aux candidats à la présidence de la République française. Mais (Bayrou mis à part), nos candidats n’ont ni idées originales ni programmes crédibles en matière européenne. Pas assez médiatique, l’Europe... Trop complexe, la situation... Trop nombreuses, les contradictions internes des « grands » partis... Mais il leur reste un trimestre pour proposer de quoi redresser la France pour qui, selon la formule du général de Gaulle : « L’Europe doit être un levier d’Archimède. »