L’extrême droite scandinave au lendemain des attentats de Paris

par RealScandinavie
lundi 25 juin 2018

Aux tragiques attentats survenus un peu partout en Europe, se sont succédées des manifestations d’une ampleur historique, appelant au respect et à la liberté d’expression, et une flambée des actes islamophobes. Cette recrudescence se manifeste partout en Europe, notamment en Scandinavie. Entre l’apparition discrète de Pegida et les attaques de mosquées, les pays nordiques ne sont en effet pas épargnés. Retour sur les contrastes dans ces pays où tolérance poussée à l’extrême et rejet du multiculturalisme se confrontent plus que jamais.

Un climat social déjà tendu

Si la recrudescence des tensions est réelle, il convient de ne pas occulter le climat déjà existant dans les pays scandinaves. En effet, les résultats des dernières élections (montée des extrêmes) témoignaient déjà d’un rejet de plus en plus important du modèle d’intégration scandinave. Ce rejet fait notamment écho à des politiques d’immigration / assimilation jugées inefficaces, alors que la population immigrée oscille entre 9% pour le Danemark et 14,3% pour la Suède.

La Suède, justement, a en 2014 été le théâtre d’une vague d’islamophobie, marquée par une série d’incendies criminels touchant quatre mosquées, entre Noël et le jour de l’An. Depuis, des tours de garde sont assurés 24 heures sur 24 au sein des mosquées afin d’assurer la sécurité. En parallèle, au niveau institutionnel, la ministre de la Culture et de la Démocratie, Alice Bah Kuhnke, a annoncé le 2 janvier 2015 le lancement d’une « stratégie nationale contre l’islamophobie », avec pour idée d’éduquer la population sur ce qu’est l’Islam et par la même occasion réduire les préjugés.

Moins violent, le Danemark n’est tout de même guère plus reluisant. En avril 2014, un rapport du Conseil de l’Europe rapportait ainsi une hausse des actes et discours islamophobes, aussi bien dans la sphère privée que publique, en passant par les médias. A propos de ces-derniers, le sociologue Brian Arly Jacobsen relève d’ailleurs le portrait généralement peu élogieux qu’ils font des Musulmans, et qui « contribuent à ternir leur image dans l’opinion ». Il convient aussi de rappeler la victoire historique de l’extrême droite lors des élections européennes de mai 2014.

En fait, la xénophobie et la peur de l’Islam sont des phénomènes rampants en Scandinavie depuis une quinzaine d’années. Alimentés au gré des faits divers et des problèmes économiques, ils font le jeu des partis d’extrême droite, qui n’hésitent pas à surfer sur l’argument sécuritaire. Avec les attentats de Paris en 2015, tous ont trouvé un argument choc pour manifester, se réunissant sous la bannière de Pegida.

Pegida s’installe discrètement dans le paysage politique

Né en Dresde en octobre 2014, Pegida est l’acronyme allemand de « Patriotes Européens Contre l’Islamisation du Pays ». Le mouvement a pris pour habitude de se réunir en centre-ville le lundi, amassant toujours plus de participants. Le 12 janvier 2015, ils atteignaient un nombre record de 25 000 participants. Selon des propos rapportés sur sa page Facebook, le mouvement refuse le « politiquement correct » et entend « exercer son droit constitutionnel à la liberté d’expression ». Fort de cet argument si cher en Scandinavie, Pegida se développe désormais dans les pays nordiques.

Le 12 janvier 2015, à Oslo, environ 200 personnes ont défilé contre l’Islam. Il s’agissait alors de l’une des premières manifestations de Pegida hors d’Allemagne. Réunis à l’appel de Max Hermansen, professeur de lycée, les manifestants ont dénoncé des pratiques culturelles (oppression des homosexuels, mariages forcés…) contraires « aux valeurs humanistes ». Plus grave encore, dans le pays au 2ème plus gros PIB par habitant, les Musulmans sont directement accusés par Pegida d’être « une catastrophe économique pour le pays ». Si le nombre de manifestants peut paraitre dérisoire en comparaison des 25 000 présents à Dresde, il convient de préciser qu’il s’agit du plus gros rassemblement d’extrême droite depuis les attentats d’Anders Breivik, qui avaient marqué au fer rouge la mouvance extrémiste norvégienne. Cela témoigne également qu’un mouvement commence à émerger et n’hésite pas à se revendiquer : il faut donc aussi y voir une action symbolique forte.

De la même manière, 200 personnes se revendiquant du mouvement Pegida ont manifesté à Copenhague, une semaine après leurs homologues norvégiens. Selon Nicolai Sennels, l’organisateur de la manifestation, l’objectif était de « donner à la classe moyenne une chance d’exprimer son inquiétude vis-à-vis d’un islam violent ». Nicolai Sennels est une personnalité connue au Danemark, notamment pour un livre polémique, Parmi les criminels musulmans. L’expérience d’un psychologue à Copenhague, paru en 2009.

En Suède et en Finlande, les pages Facebook Pegida spécifiques à chacun des deux pays rassemblent respectivement 8 000 et 1 800 personnes, contribuant ainsi à l’émergence de communautés. Il faut toutefois relativiser l’importance du mouvement en Scandinavie. Pegida émerge certes, mais pour chaque manifestant il faut compter (au moins) deux contre-manifestants. Il ne s’agit donc pas (et de loin) d’un courant dominant, mais plutôt d’un mouvement émergent, certes organisé et qui aura désormais son mot à dire.

Quelles conséquences au niveau politique et dans l’opinion publique ?

Outre ce qui pourrait être qualifié de réactions d’humeur (manifestation de soutien ou actes de vandalisme), les événements ont également provoqué des réactions plus profondes au niveau politique et ont fait quelque peu bouger les lignes, notamment au Danemark. Depuis la publication des premières caricatures par le Jyllands-Posten en 2005, la société danoise se divisait en trois catégories : l’extrême droite, à la rhétorique antimusulmane prononcée ; le centre (-droit) prônant une liberté d’expression absolue ; la gauche pour qui les caricatures offensantes n’ont pas leur place (emploi systématique d’une rhétorique anti-raciste).

Depuis, comme le rapporte Morten Ebbe Juul Nielsen, « quelque chose est en train de changer ». D’un côté, la gauche s’est montrée extrêmement discrète, voire muette, ne sachant pas comment réagir. Difficile en effet de critiquer les victimes et de les accuser indirectement d’être responsables… Tandis qu’en Suède une frange importante de la gauche pointe du doigt la responsabilité de Charlie Hebdo, personne au Danemark ne défend cette position, du moins publiquement. A l’inverse, les événements ont renforcé l’opinion des centristes qui, plus que jamais, défendent la liberté d’expression tout en prenant soin de faire le distinguo entre Musulmans et extrémistes. Idéologiquement, ce sont eux qui sortent vainqueurs d’un débat vieux de dix ans.

Au final, il ne semble pas exagérer d’établir un lien entre les attentats en France et la montée de l’islamophobie dans les pays scandinaves, la preuve avec l’implantation (certes discrète) de Pegida. En revanche, il serait tout aussi faux de tout attribuer aux seuls événements des 7/8/9 janvier 2015. Il existe depuis longtemps une islamophobie rampante en Europe du Nord, celle-ci vient juste de trouver un nouvel argument pour se justifier. Reste à savoir si Pegida prendra autant d’ampleur qu’en Allemagne (même s’il faut relativiser) ou si le mouvement s’estompera.


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