L’Institut européen de technologie : innovation majeure ou usine à gaz ?

par Krokodilo
vendredi 4 janvier 2008

Les statuts et les détails de fonctionnement commencent à prendre forme.

L’acte de naissance de l’Institut européen de technologie (IET) est sur le point d’être signé, début 2008. Les statuts sont prêts, finalisés comme on dit maintenant. Ce serait fermement décidé, même si tout n’est pas des plus clairs :

"Après confirmation, le Conseil "Compétitivité" sera invité à parvenir à un accord politique sur ce texte lors de sa session des 22 et 23 novembre 2007. Sous réserve de l’accord séparé qui doit intervenir à un stade ultérieur sur les sources de la contribution communautaire au financement de l’IET, il est envisagé que le Parlement européen procède à une brève deuxième lecture pour confirmer l’accord pris en considération dans le texte de la position commune du Conseil, en vue de l’adoption finale du règlement au début de 2008."

Dossier interinstitutionnel (document pdf)

Au vu de ce micmac administratif, il est difficile au commun des mortels de comprendre si c’est décidé ou pas !

Dossier de presse (document pdf)

Le futur Institut européen de technologie sera constitué de deux structures, le comité directeur et un réseau appelé CCI :

"Un comité directeur constitué d’acteurs de premier plan du monde scientifique, académique et des entreprises. Il définira les priorités stratégiques globales, sélectionnera les CCI (voir ci-dessous), évaluera et coordonnera leur travail. Le Parlement européen souhaite que la sélection de ses membres soit transparente et qu’il ait son mot à dire quant aux stratégies définies."

Les communautés de la connaissance et de l’innovation (CCI) constitueront le niveau opérationnel de l’IET. Ce seront des partenariats regroupant des établissements européens d’enseignement supérieur, des instituts de recherche, des entreprises, sous la forme de réseaux, dans le domaine de l’innovation.

"Un Institut européen de technologie pour combler le fossé de l’innovation"

Un IET, mais dans quel but ? Eh ! bien, autant viser très haut :

"L’IET devrait avoir pour objectif principal de contribuer au développement de la capacité d’innovation de la Communauté et des États membres en mettant à contribution les activités de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation selon les normes les plus élevées. Dans ce contexte, il convient que l’IET facilite et renforce la mise en réseau et la coopération et crée des synergies entre les communautés de l’innovation en Europe."

Ce ne sera donc pas un institut classique, avec des enseignants et des étudiants, mais un institut virtuel, sans prof ni élève, mais plutôt un réseau, voire encore plus ambitieux : un réseau de réseaux !

Un des buts est de "décourager la fuite des meilleurs cerveaux européens", car peu de gens le savent, mais Airbus a été entièrement conçu par des ordinateurs livrés à eux-mêmes, les ingénieurs étant tous partis construire des tours à Dubaï et à Hong Kong.

Le fonctionnement ?

Dans cet institut virtuel, il n’y aura donc aucun enseignement :

"La convention passée entre l’IET et les CCI devrait prévoir que les titres et diplômes décernés par l’entremise des CCI soient délivrés par les établissements d’enseignement supérieur participants, qui devraient être encouragés à les estampiller également "IET"."

Il s’agit donc, entre autres, d’un coup de tampon ! Chacun a entendu parler de l’augmentation du coût des matières premières : l’encre des tampons est devenue hors de prix.

Sa composition ?

Un comité directeur, un comité exécutif, un directeur, un audit interne et d’éventuels observateurs.

Le comité directeur (18 membres) sera désigné par la commission, d’après une liste de candidats proposée par 4 experts indépendants de haut niveau (c’est précisé "haut niveau"), mais par la suite ce comité directeur proposera lui-même ses candidats, exit les experts indépendants...

Il sélectionne, désigne et évalue les CCI, nomme le directeur et créé un audit interne.

Il aura aussi une fonction qui fera beaucoup de jaloux : il fixera lui-même le salaire de ses membres ! Le comité directeur " fixe, avec l’accord de la Commission, des honoraires appropriés pour les membres du comité directeur et du comité exécutif (...)".

Ah ! Une surprenante innovation : à peine créé, cet IET pourra lui-même se reproduire, se dupliquer en engendrant à son tour une fondation !

"L’IET est habilité à créer une fondation (ci-après dénommée "Fondation de l’IET") dans le but spécifique de promouvoir et appuyer les activités de l’IET".

Au vu de la composition des CCI, on devine que ça ne va pas être facile à gérer :

Une CCI comprendra au moins trois partenaires, d’au moins deux États membres différents. Mais à l’occasion aussi des organisations de pays tiers. Chaque CCI comprend au minimum un établissement d’enseignement supérieur et une entreprise privée.

Quel sera le régime linguistique de l’IET ?

"Les documents et publications officiels de l’IET sont traduits conformément au règlement n° 1/195817. Les services de traduction requis sont fournis par le Centre de traduction des organes de l’Union européenne, créé par le règlement (CE) n° 2965/94 du Conseil18."

L’IET ne traduira pas lui-même ses documents, trop compliqué, trop cher, ça grèverait son budget : si besoin, il fera faire le boulot par les services de l’UE.

De toute façon, son régime linguistique demeure un mystère, alors même que les statuts sont finalisés... Seule info disponible à ce jour à ce sujet : le Comité directeur "décide du régime linguistique de l’IET, compte tenu des principes existants en matière de multilinguisme et des exigences pratiques liées à son fonctionnement".

Le coût ? Une paille, disons une botte de paille, voire une pleine grange, allez savoir !

"L’enveloppe financière prévue pour la mise en application du présent règlement pendant une période de six ans commençant le 1er janvier 2008 s’établit à 308,7 millions d’euros (coût hors traductions)."

Bof, une misère, d’ailleurs c’est écrit en toutes lettres dans les statuts : "Les dépenses administratives sont réduites au minimum".

Ce projet ambitieux est néanmoins contesté par une partie des politiques et des scientifiques :

"Les députés ont rejeté la proposition de la Commission qui voulait que l’IET puisse délivrer lui-même ses titres et diplômes." Ils ont transformé cette délivrance en label qui confirmera les diplômes obtenus ailleurs. Certains parlementaires ont aussi craint que des fonds d’autres projets européens lui soient affectés.

Côté scientifiques, ce faux "MIT" européen, puisque virtuel ("simple" réseau) n’a pas reçu un soutien inconditionnel, beaucoup craignant qu’il n’absorbe une partie des fonds de différentes universités ou écoles, voire menace les structures elles-mêmes.

Cet IET "pourrait jouer un rôle utile d’intégrateur de réseaux à forte visibilité internationale" et "créer des modèles de partenariats stratégiques plus intégrés que par le passé et de renommée internationale" (article du site Le Taurillon), car c’est un fait trop peu connu qu’il existe encore des Asiatiques qui croient que l’euro est la monnaie de l’Amérique du Sud, des Africains qui pensent que le TGV roule sur la muraille de Chine, et des Américains du Nord et du Sud qui pensent que l’Airbus est assemblé dans le désert du Kalahari ! Grâce à l’IET, tous ces gens-là vont enfin savoir placer l’Europe et ses réalisations sur une mappemonde.

Dernier "détail" : où se situera cet IET ?

On ne sait pas ! Pas encore : ce sera décidé dans les douze mois qui suivront l’accord final...

Conclusion

309 millions d’euros pour le lancement et la première année, c’est cher pour un tampon sur des enseignements réalisés ailleurs, mais c’est donné pour un "projet phare de la commission" qui atteindrait ses objectifs grandioses de faire rayonner la science et la technologie européennes au plus haut niveau, dans l’union du public et du privé, en favorisant la coopération de partenaires multiples dans de grands projets, évitant la fuite des cerveaux, attirant au contraire ceux des autres continents, rien de moins, rien de plus !

Il faut remarquer que cette somme ne représente que le montant alloué à la "phase pilote", un concept qui a été sagement rajouté aux statuts, une période d’essai durant laquelle seuls quelques partenariats seront démarrés, le temps d’en évaluer les résultats.

Le vrai coût d’un futur IET tournant à plein régime sera donc beaucoup plus élevé, un peu comme les devis des programmes militaires de tous les pays qui se révèlent systématiquement sous-estimés...

Remarquons aussi que le danger des partenaires multiples est bien connu... et la difficulté de les gérer tout autant !

En cas de succès, ce serait donc totalement novateur à plus d’un titre : institut technologique virtuel, sans prof ni élève, réseau de réseaux de haut niveau scientifique, privé et public unis dans l’effort d’innovation.

Mais ce futur IET peut aussi n’être qu’une nouvelle et formidable usine à gaz, un projet complexe, lourd à gérer, inutile, redondant et coûteux, qui détournera des subventions d’autres instituts et aggravera encore l’hégémonie de l’anglais dans la science, comme son cousin Erasmus mundus.

A ce sujet, les statuts étant fort discrets sur le régime linguistique de l’IET, nous sommes en mesure d’apporter une info exclusive grâce à une source bien informée : pour éviter la critique récurrente disant que la Commission subventionne et soutient massivement l’anglais lingua franca de l’UE, les trois langues de fonctionnement de cet IET seront l’espagnol, l’italien et le slovène ! Un signe fort pour démarrer 2008 l’année des langues, événement soutenu par l’Unesco et l’UE.

Enfin, l’article 10 fait preuve de prudence ou de sagesse...

"En cas de dissolution de l’IET, il est procédé à sa liquidation sous la supervision de la Commission, conformément à la législation applicable. Les conventions avec les CCI et l’acte portant création de la Fondation de l’IET établissent les dispositions applicables en pareille situation."

Meilleurs vœux 2008 européens.

European Institute of Technology

La Commission précise son projet de création d’un Institut de technologie européen


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