L’Union européenne et la Turquie : l’amour impossible !

par Infotex
lundi 23 octobre 2006

Depuis près de quarante ans, la Turquie frappe aux portes de l’Union européenne, hélas sans succès ! Pourtant, elle n’a jamais cessé de clamer un amour passionnel à l’Europe des valeurs humaines et démocratiques. Les Turcs, eux, vivent un dilemme : comment concilier mode de vie oriental et désir d’Europe ? Explications Explications ...

« La démocratie n’est pas un but mais un moyen. » Ces propos font froid dans le dos, surtout lorsqu’on sait qu’ils émanent du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, ancien passionné de football converti à l’islamisme « modéré », ex-disciple de Necmettin Erbakan. Alors que l’Union européenne fait de la démocratie et des droits de l’homme deux principaux critères d’adhésion, l’homme fort de la Turquie nous rappelle que la démocratie n’est qu’un outil utilisé sur la voie du but ultime, la charia, qui outrepasse tous les droits de l’homme (et surtout de la femme). Certes, il nie avoir tenu ces propos dans les colonnes du quotidien Milliyet (14 juillet 1996).

Mais, nous assure-t-on, Recep Tayyip Erdogan a changé ; il ne serait plus l’ancien islamiste radical, mais un musulman démocrate, comme on connaît en Europe l’équivalent chrétien. La Turquie a changé aussi, à l’image de son Premier ministre, nous dit-on à tout va ! Il ne passe pas un jour sans qu’on nous parle des réformes turques et des bienfaits de l’adhésion de ce pays à 95 % asiatique à l’Union européenne. Y a-t-il, néanmoins, une comparaison sérieuse et cohérente entre les bienfaits et les méfaits, les avantages et les inconvénients d’une adhésion turque ?

Les dés sont, semble-t-il, jetés depuis longtemps. Et pour cause, l’entrée de la Turquie ne peut qu’être bénéfique à nous, Européens et citoyens du monde : l’Europe aura tenu ses engagements envers la Turquie - bien sûr, entre temps, on a oublié les conditions imposées à ce pays en 1987 après la déposition de la candidature officielle, notamment la reconnaissance du génocide de 1915 et le retrait des troupes turques de la partie Nord de Chypre - et surtout prouvé à ce pays laïque qu’il n’est pas un « club chrétien ». Pourtant, la logique voudrait qu’il revienne justement à la Turquie de prouver qu’elle n’est pas un « club musulman », après l’élimination des chrétiens par différentes méthodes judicieusement choisies et mises en pratique. Peu importe le passé ! L’UE se sera dotée d’un partenaire économique et commercial incontournable, mais surtout d’un pays tampon contre l’islamisme et le choc des civilisations.

Ironie de l’histoire, il est vrai que la Turquie a une certaine expérience du choc des civilisations. Souvenons-nous des Arméniens et des Assyro-Chaldéens passés au fil de l’épée ou massacrés sur le chemin de la déportation en 1915. Souvenons-nous, aussi, des Grecs - plus d’un million - échangés contre quelques centaines de milliers de Turcs au début des années 1920. La Turquie ne s’est construite qu’au prix de lourds sacrifices. Si ce pays est aujourd’hui à 99 % musulman, c’est parce que la Turquie n’a jamais considéré les minorités non musulmanes comme une richesse mais plutôt comme un facteur de danger. Cependant, le Premier ministre turc n’arrête pas d’affirmer que la Turquie est un pays laïque. Le souvenir de Turgut Özal revient : « La Turquie est laïque, mais moi je suis musulman ».

Venons-en aux inconvénients de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne : l’Europe sera culturellement et politiquement affaiblie. Elle ne sera plus qu’un bloc d’échanges commerciaux et non une Europe puissance. Dominée par la force turque, discrètement menée par les Américains, elle ne sera plus que l’ombre d’une union jadis fondée sur des référents culturels et civilisationnels communs. Quel est le degré d’européanisme d’un habitant de l’extrême Sud-Est turc ?

Néanmoins, le plus grand des dangers est que l’Union européenne aura trahi sa propre histoire basée sur la réconciliation et la reconnaissance des erreurs du passé. Or, la Turquie moderne, laïque et démocratique, est fondée sur la négation d’un fait historique : le génocide de 1915, savamment orchestré par les ténors d’un empire mourant et exécuté par ceux qui feront partie, quelques années plus tard, des premiers gouvernements de la jeune République turque.

Malheureusement, la négation des crimes passés n’est qu’une partie du jeu. Les enfants et les jeunes doivent apprendre, au sein des écoles, à nier le génocide. C’est le ministre de l’Education nationale qui le leur demande. Et les petits Arméniens et Assyro-Chaldéens n’échappent pas à la règle. On forme, en quelque sorte, les négationnistes de demain.

L’Europe devrait-elle laisser le passage libre à un pays qui n’a cure de ses valeurs démocratiques ? La Turquie a de très nombreux problèmes à résoudre. Et la première des choses à faire est un devoir de mémoire et de reconnaissance. C’est uniquement par la reconnaissance de ses erreurs, et non par l’achat de quelques Airbus, que la Turquie aura prouvé qu’elle fait siennes les valeurs démocratiques de l’Europe.


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