La faute à l’euro... depuis 40 ans ?!
par Laurent Simon
mercredi 30 juillet 2014
Le chômage augmente, et il va continuer encore à augmenter pendant au moins un an, malgré les mesures à prendre (et absolument nécessaires, mais seront-elles prises ?), car elles n'auront pas d'effet visible sur le chômage immédiatement.
Si le chômage persiste depuis 40 ans, c'est que les vrais problèmes ne sont toujours pas traités. Les baisses sous Jospin, puis avec la droite, ne doivent pas faire illusion, elles ont été trop ponctuelles, et le déficit commercial français, en hausse régulière depuis des années, est vraiment alarmant.
Du fait de l'habitude prise en France de déficits budgétaires chroniques depuis près de 40 ans, les problèmes à traiter ont été mis sous le tapis de la dette publique, qui a commencé à enfler, enfler, enfler...
Et l'on nous bassine que c'est la faute à l'euro... alors que notre décrochage date de bien avant la mise en place de la monnaie unique !
Et nous sommes bien d'accord sur le lien avec l'euro, qui a joué un rôle, mais d'anesthésiant...
Les articles sur l'euro, sur le drame que représenterait pour la France la monnaie unique, sur l'épouvantable Union européenne et ses horribles eurocrates bruxellois, sont légion sur Agoravox. Et le lecteur pourrait finir par se laisser toucher par cet euroscepticisme dévastateur, car dénué de grand fondement.
Bien sûr il est possible de faire des comparaisons entre pays qui sont dans la zone euro, et ceux qui n'y sont pas, mais il y a tellement de paramètres qui jouent, et sur des années, que ces comparaisons sont le plus souvent très peu fondées.
- les avis donnés par des Français sur la situation de la zone euro souffrent le plus souvent de lunettes frano-françaises, portant le regard sur la situation d'autres pays qui n'ont pas nécessairement les mêmes problèmes que la France
- ils supposent trop souvent que nous serions dans une économie fermée, et qu'il suffirait d'une relance de la consommation (par augmentation du déficit budgétaire) pour relancer la croissance en France, sans inconvénient pour le déficit commercial (regardez ce qui s'est produit en 1981-83...), et sans effet positif et durable sur les fondamentaux de l'économie française
- ils sont pétris de raisonnements 'socialistes' sur les entreprises et les patrons, sur les actionnaires qui s'en metrraient plein les poches, et dont le seul plaisir quotidien consisterait à savoir jusqu'à combien de personnes on va pouvoir licencier
- ils méconnaissent la réalité économique quotidienne des entreprises françaises, qui sont essentiellement des PME, ne disposant pas des possibilités qu'ont les entreprises du CA40 pour diminuer leurs impôts
- ils font l'impasse sur le niveau exceptionnellement bas des marges des entreprises françaises, et font croire qu'il serait possible d'investir quand il n'y a pas d'argent dans les caisses, et alors que les banques françaises ont perdu depuis des décennies l'habitude de prêter de l'argent aux PME, faute de garanties
- ils laissent ainsi penser que la très faible compétitivité-coût n'est pas un problème, en faisant croire que les mesures qui permettraient une meilleure compétitivité -hors coût (celles qui permettraient de monter en gamme notamment, ou d'assurer une meilleure satisfaction du client) seraient possibles dans un contexte incroyablement défavorable
- ils méconnaissent les avantages, et les contraintes d'une économie ouverte, globalisée, et les atouts fantastiques dont la France et ses entreprises disposent, ou disposeraient si les entreprises françaises n'étaient pas entravées par d'énormes boulets aux pieds alors que leurs concurrentes sont particulièrement agiles, dans les pays développés, qu'il soient en UE ou non, et de plus en plus dans les pays émergents
- ils se méprennent sur les nécessaires délocalisations, qui ne sont pas à diaboliser mais à intégrer dans la stratégie des entreprises françaises (et donc de l'Etat français) de façon intelligente ; l'industrie automobile allemande a montré l'exemple aussi dans ce domaine, sous-traitant massivement dans les pays de l'Est mais gardant en Allemagne une part très importante, à forte valeur ajoutée, de la production
- ils se bercent d'illusion à la pensée que les entreprises peuvent (encore et toujours) payer, que les investisseurs ne sont pas nécessaires, qu'ils peuvent partir à l'étranger
- ils s'appuient sur la force illusoire que représenterait le fameux taux de productivité horaire - record français, sans voir que ce record est obtenu par exclusion massive de travailleurs (donc au chômage, ou à temps trop partiel), par un nombre d'heures travaillées encore faible, et par une proportion de personnes à la retraite croissante
- ils méconnaissent l'ampleur du goufre que représente le déficit chronique de la Sécurité sociale, dont nous avons aussi pris l'habitude de le cacher dans une dette croissante qui devient également abyssale
Mes commentaires consistent aussi à mentionner que l'euro, et l'Union Européenne sont des boucs émissaires faciles :
- ces avis essaient d'accéditer l'idée que les problèmes de la France viennent nécessairement de l'extérieur, et donc de l'Union européenne, des traités que la France a signés par simple obligation responsable
- les problèmes dateraient de la mise en place de la monnaie unique
- les mesures prises dans les pays européens pour rétablir les équilibres financiers seraient contre-productives, et seraient une cause majeure de la faible croissance actuelle dans la zone euro.
Car s'il est bien clair :
- que les mesures prises dans plusieurs pays d'Europe tendent à réduire la croissance, ce qui n'est pas très positif, temporairement en tout cas,
- qu'une relance en Europe est possible, du fait de l'absence actuelle d'une dette 'européenne' (au sens spéfiquement UE, ou zone euro), et qu'elle serait bénéfique pour les pays de l'UE (et pour le monde)
il est tout aussi clair que cela ne profiterait pas mécaniquement à tous les pays de la zone euro, de la même manière. Comme l'annonçaient les économistes de tous bords, les 56% de dépenses publiques français ont amoindri en France l'impact de la crise 2008-2011, mais diminueront aussi considérablement l'impact positif en France d'une possible reprise européenne.
il est donc bien vain d'attendre, comme l'a fait François Hollande pendant 2 ans, que cette reprise arrive en Europe, et d'espérer que cela puisse avoir le même effet positif que celui constaté sous Jospin, après le 'sale travail' qu'avait commencé à faire le gouvernement Jupé !
Il convient donc, en revanche, et enfin, de traiter les vrais problèmes en France, en commençant par réduire l'ampleur de ces dépenses publiques, même si cela aura un effet recessif temporaire.
Donc comparer un niveau de dépenses publiques entre France et pays nordiques n'est pas suffisant, il est absolument nécessaire de comparer l'ampleur de l'effet bénéfique de ces dépenses publiques.
En d'autres termes, les contribuables des pays nordiques "en ont pour leur argent", alors que les dépenses publiques françaises sont souvent des puits sans fond, et sans grand retour. Faute notamment d'une démarche pragamatique qui consisterait à évaluer systématiqyuement les effets des lois votées, des règlements ajoutés, des empilements successifs de toutes les mesures prises successivement, sans remettre en question les mesures précédentes. et quelquefois 'préhistoriques', anachroniques.
Le raisonnement ultrakeynésien fait par les économistes de gauche, et le FN au passage, est donc bien vain, car il ne prend pas en compte cette dimension qualitative de l'effet positif des dépenses publiques, et quantitative par ces effets.
Si d'ailleurs il suffisait d'augmenter les dépenses publiques en France, pour retrouver une prospérité bien nécessaire, alors nous serions les champions du monde de la croissance économique, étant donnée l'ampleur de nos dépenses publiques depuis des décennies !
Pour revenir au thème central de cet article : les détracteurs de la monnaie unique ont une logique franco-française sur un sujet éminemment transnational, et ils ne remontent pas assez tôt quand ils font leurs comparaisons intra-européenne.
Et ceci pour pouvoir attribuer à la monnaie unique toutes les tares dont l'économie française fait preuve depuis des décennies...
Je ne résiste pas à en reprendre de longs extraits, tellement ils cadrent avec notre sujet :
"... ce recul se manifeste à l’égard des pays avancés comparables à la France. En vingt cinq ans, le Pib par tête français a reculé de 6 % par rapport à ses compétiteurs de même calibre, souligne le dernier rapport de France stratégie. Et la crise de 2008 et ses conséquences nous a fait passer d’un appauvrissement relatif à un appauvrissement absolu.
Au cœur de ce processus : la faiblesse de nos gains de productivité. Irresponsabilité des politiques, inconséquence des partenaires sociaux, complaisance des médias, indolence de l’opinion publique : la faute du déclin est au minimum partagée entre tous ces acteurs Mais c’est la classe politique qui en n’ayant pas su organiser le sursaut est assurément la plus coupable.
C’est la fin d’un déni collectif et d’un aveuglement tricolore vieux d’au moins 25 ans.
En ouverture de son rapport prospectif sur la France en 2025, Jean Pisani- Ferry, le nouveau commissaire général à la stratégie et à la prospective, pose un diagnostic sans concessions sur l’état du pays. Par rapport à une moyenne de pays ayant un Pib comparable au nôtre en 1988, le Pib par tête français est aujourd’hui inférieur de 6 %.
C’est la première fois qu’un document officiel souligne avec autant de netteté le décrochage français et l’appauvrissement relatif du pays et de ses habitants. En 2003, dans son essai La France qui tombe, Nicolas Baverez avait bien essayé de tirer la sonnette d’alarme mais le message “décliniste” n’était pas passé. Le polémiste focalisait l’essentiel de ses griefs sur les méfaits du conservatisme jospino-chiraquien alors qu’en réalité la responsabilité du déclin est collective, s’étalant sur plusieurs décennies.
... le résultat de cette inconscience collective fait sentir aujourd’hui pleinement ses effets négatifs sur le niveau de vie de la nation.
... Une récente note du Trésor a ausculté les performances de croissance du pays depuis les années 70. Sur cette période, la France a présenté un déficit annuel moyen de croissance du Pib par habitant de 0,4 % par rapport aux pays de l’OCDE, soit un recul de plus de 15 points sur la période. Rapporté à l’échelle de la nation, en rythme annuel, cela représente un “manque à gagner” de l’ordre de 8 milliards d’euros. Soit [chaque année NDLR] l’équivalent de 3/4 du trou de l’assurance maladie ou l’intégralité du coût du porte-avion nucléaire Charles-de-Gaulle (y compris sa maintenance).
.. Sur les quatre décennies couvertes par le calcul des experts du ministère de l’Economie, le manque à gagner atteint 300 milliards d’euros soit près d’une année complète de recettes fiscales perdues !
...
Quelle a été la mécanique de ce décrochage ? Il est bien sûr réducteur de chercher une cause unique au déclin français. Dans leur étude les économistes du Trésor n’en pointent pas moins la moindre productivité par tête des travailleurs français depuis le milieu des années 90 comme facteur explicatif du déficit de croissance hexagonal.
Ils soulignent que depuis cette date, “les gains de productivité ne suffisent plus à compenser le recul des heures travaillées”. La diminution des heures travaillées est corroborée par l’institut Coe-Rexecode qui l’estime à moins 10 % depuis 1999. Résultat : c’est en France (avec la Finlande) où la durée effective annuelle moyenne de travail des salariés à temps complet est la plus courte : 1 661 heures en 2013 , soit 186 heures – ou l’équivalent de cinq semaines de travail – de moins qu’en Allemagne ; 120 heures de moins qu’en Italie et 239 heures de moins qu’au Royaume-Uni.
On a longtemps cru que les travailleurs français compensaient leur durée de travail plus courte en étant plus productifs que leurs homologues étrangers. “Cette idée très répandue selon laquelle les exploits français en matière de productivité horaire compensaient la réduction de la durée du travail est fausse”, affirme Jean Peyrelevade. Un jugement validé par les experts du Trésor.
Autre point d’analyse consensuelle chez les économistes : le ralentissement des gains de productivité renvoie à l’insuffisance des investissements de modernisation, elle- même liée à l’insuffisance des moyens financiers des entreprises.
Mais pour Jean Peyrelevade, le “tableau” français s’aggrave surtout du fait que les salaires réels par tête ont continué à croître plus vite que la productivité par tête moyenne. “Il s’est installé au cœur du système de production du pays un foyer de perte permanente de compétitivité lente et cumulative”, décrit le banquier. Et ce foyer est à l’origine du mal français.
...
Le mal remonte à loin, aggravé par les erreurs des politiques. Gauche et droite, les torts sont partagés. Après le premier choc pétrolier de 1973-1974, Jacques Chirac, alors Premier ministre, choisit de faire peser l’ajustement sur les entreprises et non pas sur les ménages. En 1982, les socialistes abaissent l’âge de la retraite à 60 ans, à contre-courant de l’augmentation de l’espérance de vie, et en 2000, ils font passer la France aux 35 heures, seule dans le monde. Question : comment ce mal de la sous-productivité a-t-il pu s’enkyster à ce point dans le système sans susciter de réaction d’autodéfense ? En réalité, la France a vécu au-dessus de ses moyens en recourant tout au long de ces années-là à l’endettement pour compenser sa faiblesse productive.
Il y a eu depuis 2000 l’effet anesthésiant de la monnaie unique. Sous la protection de l’euro, la France a pu laisser dériver ses comptes et ses coûts sans en passer par une dévaluation de son taux de change. Dans cet environnement permissif, les rares lanceurs d’alerte lucides sur l’état du pays – Artus, Attali, Baverez, Camdessus, Pébereau – n’ont guère été crus ni a fortiori écoutés. Un refus de voir la réalité qui n’a d’égal que l’irresponsabilité de la classe politique dans son ensemble. “Les politiques, majoritairement des fonctionnaires, apparaissent déconnectés des réalités économiques et addicts à la dépense publique. Au fond ils ne s’intéressent pas à l’économie, ni a fortiori à la croissance économique.
Sous la protection de l’euro, la France a pu laisser dériver ses comptes et ses coûts sans en passer par une dévaluation de son taux de change. Dans cet environnement permissif, les rares lanceurs d’alerte lucides sur l’état du pays – Artus, Attali, Baverez, Camdessus, Pébereau – n’ont guère été crus ni a fortiori écoutés. Un refus de voir la réalité qui n’a d’égal que l’irresponsabilité de la classe politique dans son ensemble. “Les politiques, majoritairement des fonctionnaires, apparaissent déconnectés des réalités économiques et addicts à la dépense publique. Au fond ils ne s’intéressent pas à l’économie, ni a fortiori à la croissance économique."
Mais non, définitivement non, l'euro n'est pas la source de nos problèmes. Dans la situation présente, les effets de l'euro sont ambivalents, il permet à l'Etat d'emprunter chaque année à un taux bas les sommes coloosales nécessaires, évite les dévaluations répétées (et qui nous obligeant à regarder les choses en face), et pourrait aussi nous endormir.
Et ce n'est vraiment pas en gaspillant de l'énergie et du temps sur les 'effets supposés désastreux' de l'euro que nous règlerons les problèmes, bien réels, de la France et des Français, ni bien sûr des européens.