La grandeur de l’Allemagne justifie-t-elle que la France joue son siège permanent au conseil de sécurité ?

par Breton8329
samedi 26 janvier 2019

Selon Giuseppe Conte, « Le Conseil de sécurité de l'Onu est construit selon une architecture dans laquelle les droits de véto ont été attribués aux vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ». Plus de 50 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, le monde a changé et cette clé de répartition est sans doute contestable mais ce n’est certainement pas la France qui devrait s’en plaindre puisque, à bien y regarder, elle est certainement celle qui a le plus à perdre dans une remise en cause de l’ordre établi.

La principale force du conseil de sécurité de l’ONU découle de son aptitude à émettre des résolutions contraignantes, qui ont valeur d’obligation pour les Etats membres. Ces résolutions, émise sous chapitre VII de la Charte, permettent d’imposer des sanctions à un Etat ou d’intervenir militairement pour faire cesser une situation qui menace la paix, constitue une rupture de la paix ou constitue une agression. Dotés d’un droit de véto, les 5 membres permanents sont en mesure de bloquer ce type de résolution, ce qui leur donne un pouvoir considérable puisqu’ils peuvent se protéger, ainsi que leurs alliés, contre une résolution de nature à assurer la licéité d’une intervention militaire. A lui seul, ce super pouvoir explique les raisons pour lesquelles les Etats de ce cercle très fermé sont extrêmement courtisés. Je n’irai pas jusqu’à écrire que les Etats dotés d’un véto monnaient leur alliance, mais la nature humaine étant ce qu’elle est, chacun est évidemment libre d’imaginer ce qu’il veut. Pour le reste, tout le monde sait que le fonctionnement du conseil de sécurité est bloqué par l’opposition entre la Russie et les USA depuis 1999 et la guerre du Kosovo, et que le déblocage exceptionnel de la guerre de Libye ne risque pas de se reproduire compte tenu de l’interprétation très souple qui fut faite de la résolution 1973. La Russie et la Chine en ont certainement déduit que seul le véto permettait d’éviter toute ambiguïté de ce type.

Il est aisé de comprendre que le conseil de sécurité n’est pas tant un organe pour réguler la paix dans le monde qu’un organe d’influence pour les Etats dotés d’un véto, et que cette influence conforte la position des membres permanents dans cette compétition que se livrent les Etats sur la scène internationale. Ainsi, Bachar Al Assad n’a eu qu’à se féliciter de son amitié avec la Russie, puisqu’elle lui a permis d’écarter tout risque d’une résolution du conseil de sécurité qui aurait appelé tous les Etats de bonne volonté à conduire une opération militaire destinée à le renverser. En échange de ce service, et de bien d’autres, il est probable que la Russie obtiendra des avantages significatifs pour l’exploitation des hydrocarbures et pour la reconstruction de la Syrie.

Dans ce contexte, le traité d’Aix-la-Chapelle soulève des interrogations qu’une lecture au premier degré ne peut dissiper. Rappelons que l’Allemagne est l’un des 10 membres non-permanents du conseil de sécurité pour une durée de 2 ans. L’article 8 prévoit que « Les deux États [France et Allemagne] s’engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’admission de la République fédérale de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande. » Pourquoi diable la France, remet-elle sur la table la question de la réforme du conseil de sécurité, alors qu’elle est à l’évidence l’Etat qui a le plus à perdre dans cette réforme.

Tout d’abord, historiquement, rappelons que la Brésil avait été pressenti pour occuper la place aujourd’hui attribuée à la France au conseil de sécurité de l’ONU, puisqu’initialement, Roosevelt, Churchill et Staline voyait surtout dans la France un Etat qui avait renoncé trop tôt face à l’Allemagne pour mériter de siéger avec les vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Il fallut toute l’habileté de de Gaulle pour rétablir la position de la France et obtenir ce siège permanent au conseil de sécurité. Tant que la clé de répartition se fonde sur une approche historique, le siège de la France reste incontestable. Pour autant, ce n’est pas la seule clé possible ; la répartition des sièges permanents pourrait s’appuyer sur une clé géographique, une clé démographique ou une clé économique.

Le classement des Etats, selon ces différentes clés de répartition, s’établit aujourd’hui de la façon suivante :

L’utilisation de la surface peut surprendre mais sa valeur reflète, certes imparfaitement, l’impact écologique que peut avoir un pays sur l’écosystème de la terre, ce qui peut fonder sa légitimité à intégrer un conseil de sécurité doté d’outils lui permettant d’agir aussi en cas de menace contre l’environnement.

A l’évidence, aucune de ces clés ne fonderait la légitimité de la France pour l’attribution d’un siège permanent dans un conseil de sécurité au format actuel. Par ailleurs, la volonté française d’offrir un siège permanent à l’Allemagne ne peut s’appuyer que sur des critères économiques, puisque l’Allemagne – tout comme la France - est un petit pays en termes de surface ou de démographie. Or, l’économie n’est clairement pas la vocation du conseil de sécurité, il existe d’autres instances internationales pour traiter ce type de considérations. Bien entendu, l’approche historique disqualifie d’emblée l’Allemagne. In fine, la proposition française risque fort d’exclure à la fois l’Allemagne et la France du conseil de sécurité, à moins que les deux Etats parviennent, avant la réforme attendue, à créer une Europe souveraine et dotée du statut d’Etat, ce qui, soyons lucide, reste un objectif assez utopique. Pour mémoire, les USA viennent tout juste de refuser ce statut étatique à l’Europe et le représentant de l’UE à Washington est désormais traité au même rang que les représentants des autres Organisations Régionales.

Pour finir, cette passion franco-allemande pour la restauration de la grandeur historique de l’Allemagne risque fort de ramener la France au rang de puissance moyenne, ce qui, dans une perspective à long terme, ferait probablement aussi l’affaire de l’Allemagne. Quant à l’intérêt des français dans cette affaire, dommage qu’on ne puisse pas demander au général de Gaulle ce qu’il en pense, parce que lui au moins avait ce souci, dans une perspective historique.


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