La Pologne interdit toute référence au communisme dans l’espace public
par knail
lundi 30 mai 2016
On a peu parlé en presse alternative, voire pas du tout, de la fameuse manifestation des 240 000, versus 45 000, à Varsovie, ce samedi 7 mai 2016. Rassemblement organisé par l'opposition réunie, contre le gouvernement musclé actuel, ultra catholique et euro-sceptique. Manifestation relayée par contre en long, en large et en travers, par toute la presse conventionnelle, sous la seule bannière - étoilée - des … 240 000 !
240 000 revendiqués par la mairie de Varsovie, tandis que la police de la même ville s'obstinait à n'en avoir compté que 45 000. Ces batailles de chiffres nous connaissons, nous avons les nôtres !
La presse alternative relate par contre un peu plus régulièrement le glissement qui s'opère et tend sur certains points à imiter le modèle du voisin tout proche de l'autre côté de la frontière ukrainienne. Notamment ici sur Agoravox.
Tout récemment la presse conventionnelle, après s'être émue de la très controversée loi sur les médias publics, puis des tentatives de contôle du Tribunal constitutionnel, s'inquiète une nouvelle fois, quoi que de manière plus discrète, dans certaines de ses colonnes, sous le titre : « La Pologne interdit toute référence au communisme dans l’espace public »
Par exemple ici : http://www.lesoir.be/1216590/article/actualite/monde/2016-05-20/pologne-interdit-toute-reference-au-communisme-dans-l-espace-public
Les réactions des lecteurs, à cette découverte interpellante, souvent gravitent autour d'une apparente évidence : « Oui mais, au vu de l'histoire de la Pologne etc. on peu comprendre … »
On peut comprendre oui. Sauf que, il faut aussi se méfier des a priori, et des lieux communs .
Lors de l'anniversaire des vingt ans de la chute du mur, en 2009, France Culture avait réalisé une superbe série d'émissions intitulée « Vent d'Est ». J'en conserve d'ailleurs précieusement le contenu, que j'ai écouté et réécouté à de multiples reprises. On y décrivait au travers de témoignages nombreux, d'analyses, de commentaires, l’atmosphère pour le moins surréaliste, invraisemblable, d'un système chaotique présenté comme une machine folle, dont l'effondrement était inéluctable. Les intervenants locaux, mi figue mi raisin, entre l'embarras et les éclats de rires, parfois nerveux, s'interrogeaient encore, et témoignaient avec beaucoup de réalisme, nous transmettant avec une réelle émotions des tranches de leurs vies passées.
Je vis depuis quelques années plusieurs mois par an en Pologne, et je finis donc naturellement un jour par raconter le contenu de ces émissions à mes amis Polonais, qui me demandaient, curieux, de le leur en décrire le contenu. Déjà qu'ils s'étonnent en général, un peu ahuris, de l'intérêt que je porte à un mur qui ne me concernait pas, il s'interrogeaient cette fois, intrigués, sur le contenu de ces émissions françaises. Que pouvaient elles bien raconter de ce mur et de ce qui se passait de l'autre côté, c'est à dire chez eux ? Une façon certainement aussi de connaître la façon dont la France parlait d'eux. En tout cas de leur passé récent.
Je précise le contexte, qui est primordial pour comprendre la suite de ce récit. La conversation se déroule dans un petit village traditionnel, constitué encore en bonne partie de coquettes maisons en bois posées directement sur l'herbes toujours soigneusement fauchée. Les fleurs débordent des jardins, délicieusement simples, entretenus sans ostentation, et les vergers généreux sous le ciel d'un bleu tranché, s'entourent de simples clôtures de planchettes de bois colorées. L'église St Jacques et ses bulbes bleutés, superbe construction de bois entourée d'une muraille blanchie à la chaux, couronne la seule éminence locale, modeste motte qui y tient lieu de colline, que l'on gravit par un escalier blanc lui aussi, et de laquelle nous apparaissent dans leur immensité, les espaces déguagés ininterompus des prairies, sans aucunes délimitaions autres que la forêt, découpée de généreuses percées champêtres. Les cigognes, symbole de bonheur, objet d'attention, nichent à proximité des habitations, leurs nids de branchages, imposants, perchés au sommets de mats et de structures installés à leur intention. Et à la fin de l'hiver, les bisons de passage, que l'on y dénomme Zubr, paissent librement à proximité, avant de rejoindre pour la belle saison les frondaisons de l'immense forêt de Bialowieza. Nous sommes à la campagne, campagne préservée, et jusque tout récemment encore rythmée principalement par les travaux de la terre et de la forêt.
Ma description des émissions de France Culture faite - la France intéresse toujours beaucoup mes amis polonais - je les vois, une fois de plus, dubitatifs. Un peu embarrassés. Comme si mon récit, finalement ne les concernait pas vraiment. Je ressens vaguement une déception, une interrogation.
Il y a bien mon plus proche ami, Dariusz, qui dans l'enthousiasme qui le caractérise lance, sans doute un peu aussi pour me rassurer, à la cantonade : oui c'est vrai, le communisme c'était nul ! Et d'ajouter : mais de toute façon c'est la même chose aujourd'hui, rien n'a changé, ce sont encore tous des 'communistes' …
J'ai appris depuis belle lurette que chez mon ami, 'communiste', indépendamment de la gauche, de la droite, et de toute autre tendance et nuance, cela signifiait seulement profiteur à la petite, ou à la grosse semaine. Un catholique d'extrême droite fait pour lui, sans contradiction aucune, aussi un parfait 'communiste' s'il le faut. Communiste est là bas un quolibet. Pas bien méchant en général d'ailleurs, j'ai pu le constater.
Halina son épouse lui rétorque du tac au tac. Mais Darek, enfin, souviens toi, nous ne manquions de rien ! Nous vivions bien ! Nous étions heureux ! Dariusz acquiesce un peu dépité.
Comme Halina vit la majeure partie de l'année à Bruxelles, elle ajoute à mon égard : J'adore la ville et les magasins. J'aime pour ça la Belgique, où je me plais bien. Les gens y sont gentils et ne font pas de différences, alors qu'ici, en ville, surtout les petites villes, les gens des campagnes sont un peu méprisés. C'était en tout cas comme ça avant. Mais je ne trouve pas que la Belgique c'est forcément mieux que ce que nous vivions ici avant.
C'est vrai, poursuit elle, à l'époque je ne changeais de paire de chaussures que quand la précédente était usée, et je n'avais pas le choix du modèle. Mais c'était comme cela pour tout le monde et je n'imaginais même pas que cela puisse être autrement. Maintenant, ma fille me réclame pour aller à l'école un cartable à plus de mille euros parce que c'est ce qu'ont ses copines, et qu'elle voudrait la même chose. Tu trouves que c'est mieux ? Pour moi, c'est complètement ridicule.
Et puis nous vivions à l'époque beaucoup plus ensemble. Tu ne peux imaginer en voyant ce que le village est devenu aujourd'hui l'animation qu'il y avait ici il y a encore vingt ans, et même dix. C'était des allées et venues incessantes chez les uns et les autres. Et le soir venu, le travail achevé, c'était la fête.
Maintenant, c'est un désert, plus personne ne se rencontre la journée, et le soir, tout le monde est devant sa télévision. C'est devenu comme en Belgique.
Elle ajoute cependant : Il y a une chose que je regrette, que je regrette vraiment, c'est de ne pas avoir fait des études plus importantes. Nous ne manquions de rien, nous avions du travail, nous étions jeunes et nous avions déjà une maison à nous, des champs et des prés à cultiver, un magasin, une menuiserie, on se sentait en sécurité. Les études semblaient inutiles, sans aucun intérêt. Nous avons fait plus ou moins les mêmes que celles de nos parents. Et ça, c'est un peu à cause du communisme et de la sécurité qu'il nous donnait. Ces études, nous aurions pu les faire, la possibilité était là, mais nous n'en ressentions pas le besoin. Cela oui je le regrette.
…..
C'est alors que m'a sauté aux yeux la faille des émissions de France Culture, que je n'avais pas repérée jusque là. Les personnes qui y sont interviewées appartiennent principalement aux classes privilégiées, de la cultures, des arts, et même du système politique de l'époque. C'est à dire la bourgeoisie, si ce terme avait encore eût un sens à l'époque communiste (En fait j'ai l'impression que oui, cela en avait encore un… même s'il était hypocritement dissimulé).
Une tentative y est bien effectuée à un moment donné auprès d'un ouvrier, mais il est justement stigmatisé comme vieux communiste aigri, n'acceptant pas les changements opérés, préférant rester enfermé dans la nostalgie d'un monde pour lequel il avait la plus grande estime. Le reportage semble présenter cela comme un cas isolé.
Plusieurs fois mes voisins m'ont expliqué comme leur travail était mieux considéré, respecté, et rémunéré à l'époque communiste. Sans être nostalgiques du tout par ailleurs, je n'ai pas perçu non plus une seule fois de critique acerbe pour ce passé là. Sur les absurdités d'une pénurie incompréhensible, oui ; de tracteurs par exemple, rouillant par milliers sur des dépôts, alors que les listes d'attente aux alentours étaient interminables. On s'y moque aussi un peu, et gentiment, de l'un ou l'autre voisin nostalgique qui subsiste dans l'une ou l'autre famille, mais un peu comme si on me décrivait une personnalité excentrique, originale ou romantique, passionnée excessivement.
En fait tout cela est très respectueux de l'histoire, de ce qu'a été la vie jusqu'à tout récemment. Bien loin de notre vision caricaturale en Europe occidentale, qui je m'en rends compte aujourd'hui, n'est finalement en dépit de son intérêt et de ses émissions culturelles sur le sujet pas respectueuse du tout, minée par son esprit partisan et ses a priori. Je comprends maintenant le silence embarrassé de mes amis après ma narration naïve et finalement indélicate.
Alors je me le demande et je vous le demande aussi : à quoi s'attaque vraiment le président conservateur Polonais Andrzej Duda en promulguant cette loi « interdisant dans l'espace public toute référence dans les noms de rues ou d’installations dans l’espace public censée propager le communisme ou un autre régime totalitaire… » ?
Sans aucune intention de ma part de faire ici l'apologie d'un système qui a trop bien montré ses failles, ou d'un autre, qui ne cesse de découvrir chaque jour l'abîme des siennes propres, n'assiste t-on pas en ce moment à Varsovie, émanant du centre du pouvoir polonais, à la tentative de consolidation d'une élite inquiète et agressive tentant de bétonner les acquis de sa contre révolution, usant pour cela du procédé répendu plus que jamais, de négation de son histoire ?
En guise d’épilogue, j'aimerais terminer par la remarque d'un autre amis et voisin, Geniek, jeune retraité de la Légion étrangère française, qui me disait ceci tout récemment : tu vois Laurent, dans ce petit village où tu habites maintenant une partie de l'année, comme dans tout ceux qu'il y a par ici et plus loin encore de l'autre côté de la frontière, et plus loin encore, jusqu'en Sibérie certainement, c'est la même chose, la vie des gens est restée souvent simple et modeste, elle n'a pas beaucoup changé à travers les siècles, survivant presque indifféremment à tous ces régimes autoritaires, ces invasions, ces guerres, ces incendies, ces déportations. Mais une chose est demeurée intacte, fondamentale pour les gens ici, c'est que, qui que tu sois et d'où que tu viennes, tu peux aller frapper à n'importe laquelle des portes des maisons de ces villages, tu y seras toujours bien accueillis, et reçu avec joie, parce que tout le monde sait bien ici à quel point, ne fusse qu'en raison seulement des conditions climatiques, la vie est fragile et à quel point donc nous avons tous besoin des uns et des autres.
Les Polonais des campagnes me paraissent en tout cas infiniment plus sages que ceux qui les représentent et qui siègent au gouvernement. Mais ceci, il faut bien le reconnaître, n'est pas l'apanage de la seule Pologne.
Knail