La Pologne vire au brun

par Europeus
mercredi 10 mai 2006

Entendez-vous le silence assourdissant qui a accueilli l’entrée au gouvernement polonais dirigé par Kazimierz Marcinkiewicz des populistes anti-libéraux de Samoobrona (Autodéfense) et de l’extrême droite ultra-catholique et antisémite de la Ligue des familles polonaises, dont les chefs sont même promus au rang de « vice-Premier ministre » ? Andrzej Lepper, le leader d’Autodéfense, hérite du portefeuille de l’agriculture alors que Roman Giertych pourra façonner les têtes polonaises à l’éducation... Où sont les protestations indignées de nos politiques et intellectuels européens de tous bords qui avaient conspué l’entrée au gouvernement autrichien du FPÖ de Jorg Haider en 2000 ? Stefan Meller, un universitaire sans parti, qui a démissionné de son poste de ministre des affaires étrangères pour protester contre cette alliance, doit se sentir bien seul. C’est déjà un silence de même qualité qui avait été réservé à l’annonce, le 2 février dernier, du « soutien sans participation » accordé au gouvernement conservateur de Droit et justice. Seuls les médias semblent s’émouvoir de ce qui se passe dans la patrie des « plombiers polonais »...

Ce virage vers la droite extrême d’un grand Etat membre de l’Union de près de 40 millions d’habitants est pourtant préoccupant pour les « valeurs européennes » (démocratie, justice, tolérance, antiracisme, etc.), qui sont la marque de fabrique de la construction européenne et que nous prétendons exporter vers le reste du monde. Mais, à bien y regarder, ce silence gêné peut se comprendre : depuis 2000, une bonne partie de l’Union semble gagnée par cette idéologie brune, mélange détonant de xénophobie et d’antilibéralisme : la France bien sûr, où l’extrême droite, comme le rappelle mon confrère Gilles Delafon du Journal du dimanche, a réalisé un score, au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, de 19,2%, soit à peu près le chiffre obtenu par Samoobrona et la Ligue des Familles. Au Danemark, en Italie (où Berlusconi associé à la Ligue du Nord et à l’extrême droite n’a perdu que de très peu), en Belgique (où le Vlaams Belang va sans doute devenir le premier parti de Flandre), en Norvège (hors Union, mais proche de nous), et même en Grande-Bretagne, des partis fascistes ou néo-fascistes consolident, élection après élection, leur implantation.

Et là où l’on peut s’inquiéter, c’est lorsque l’on voit une partie de la gauche de la gauche (notamment en France) jouer avec les mêmes thèmes souverainistes et antilibéraux (voir mon post sur le social-souverainisme), comme on a pu le constater à l’occasion du référendum sur le projet de Constitution européenne (toujours ce fameux « plombier polonais »). Il n’y a que les démocraties récentes (Espagne, Portugal, Grèce) ainsi que l’Allemagne qui semblent immunisées contre ce virus brun qui gagne les esprits, mais aussi les élections. Preuve, s’il en est, que la démocratie, comme la paix, est un acquis qu’il faut défendre pied à pied.

Par Jean Quatremer (journaliste)


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