La télévision grecque, nouvelle victime de la troïka
par Laurent Herblay
vendredi 14 juin 2013
Evènement rarissime, les autorités grecques ont décidé de fermer le service public audiovisuel avant d’en rouvrir un, beaucoup moins cher, très prochainement. Il est un peu facile de mettre en accusation le gouvernement local, qui ne fait qu’essayer de suivre la feuille de route de la troïka.
Scène de violence habituelle
Bien sûr, la décision du premier ministre, Antonio Samaras, est extrêmement violente, notamment vis-à-vis des salariés du service public, qui se retrouvent congédiés du jour au lendemain. Même s’il y avait des abus dans la gestion d’ERT, le procédé est peu civilisé, d’autant plus que certains soulignent le caractère politique de cette décision du fait des orientations politiques de la chaine publique, soutenue par le Pasok et Nouvelle Démocratie, qui appellent à la réouverture. L’Etat annonce vouloir passer de 2600 à 1200 salariés pour un budget réduit des deux tiers, à 100 millions d’euros.
Néanmoins, comment ne pas voir dans cette décision brutale une simple application à l’audiovisuel public des recettes concoctées par la troïka, qui ont abouti à 6 années consécutives de baisse du PIB, un taux de chômage multiplié par 4 ? Certes, cette décision est violente, mais la décision de baisser le SMIC de 22% (et de 32% pour les jeunes) l’était tout autant, de même que les baisses massives du salaire des fonctionnaires. Il faut se rendre compte également que le pays est embarqué dans un processus de ventes massives du service public, qui vont totalement démanteler l’Etat.
La troïka mène une expérience monstrueuse de régression sociale et économique dont la violence se diffuse dans la société. Ce n’est pas pour rien que les néo-nazis d’Aube Dorée sont aujourd’hui la troisième force politique du pays. A la violence de cette Europe qui les torture répond la violence du gouvernement vis-à-vis de ses fonctionnaires, devenus de simples coûts qu’il faut réduire, et la violence d’une partie de la population en révolte contre ce traitement de choc, quand elle n’est pas résignée. La fermeture d’ERT et la montée d’Aube Dorée sont les enfants de la troïka.
Une grave erreur d’aiguillage
Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de débattre à Montpellier avec le consul de Chypre et une professeure grecque de l’université de la ville. Le témoignage de l’horreur de ce qui se passe en Grèce était édifiant, mais de manière intéressante, et malheureusement, sans doute significatif, elle refusait d’envisager une sortie de la monnaie unique, affirmant qu’alors, la population ne pourrait plus se nourrir, du fait de la dévaluation qui provoquerait une flambée des prix de l’alimentaire. Elle a donc refusé de réfléchir à cette idée, pourtant défendue par de nombreux prix Nobel d’économie.
Bien sûr, tout ne serait pas facile en cas de sortie de la monnaie unique (le cas argentin nous rappelle que l’année de la cassure du lien avec le dollar, la crise s’est aggravée). Néanmoins, il faut voir que cela avait permis un fort rebond dès l’année suivante. En outre, l’expérience montre que si le pays était sorti début 2010, certes, son PIB aurait sans doute fortement baissé cette année là, mais il aurait rebondi dès 2011, car la dévaluation aurait boosté tourisme et exportations. Au lieu de cela, la richesse nationale a reculé de plus de 20% de 2009 à 2013, sans espoir de reprise en 2014.
Et sur les craintes concernant la possibilité pour les Grecs de s’alimenter, l’analyse des statistiques de l’OCDE démontre qu’elle n’est pas fondée. Tout d’abord, il faut rappeler que les produits agricoles ne représentent qu’un peu plus de 10% des importations du pays, moins de 3% du PIB et que le solde est négatif de 2,6 milliards de dollars, soit 1% du PIB. A supposer que les prix doublent, le coût serait d’un point de PIB. Bien moins que les potions amères actuelles. En outre, le pays est un exportateur de poissons et de fruits et légumes, qui seraient rendus bien plus compétitifs…
Le peuple grec a besoin de rompre avec cette mauvaise Europe qui le torture et conduit une expérience qui s’apparente à un crime économique. Il est malheureux que la peur de la Turquie et le refus de dire « non » à la main qui les a aidés pendant si longtemps ne leur permettent pas de le comprendre.