La Turquie dans l’UE ? Pour un débat digne

par Amine
lundi 18 février 2008

Dix députés UMP à l’Assemblée nationale et un député PPE membre du Parlement européen ont publié dans les colonnes du journal Le Monde daté du 29 janvier 2008, une tribune intitulée « La Turquie dans l’UE ? C’est toujours non ! ».

Sous ce titre d’une parfaite élégance, était développé un argumentaire tendant à démontrer que la Turquie n’a décidément pas vocation à adhérer à l’Union européenne.

Les auteurs avancent des arguments de nature géographique (la Turquie est un pays d’Asie mineure), politique (les lacunes en matière de droit de l’homme restent importantes, la liberté de la presse n’est pas assurée) et budgétaire (la Turquie dans l’UE « capterait » l’essentiel des crédits européens au détriment des autres Etats membres). Pour faire bonne mesure, ils se laissent aller à un léger populisme en rappelant que leur opposition à l’entrée de la Turquie dans l’UE est partagée par 71 % des Français.

Ils insistent cependant pour que le lecteur ne voie pas dans cette démonstration une hostilité à la Turquie elle-même. Ces derniers expriment ainsi clairement leur souhait de voir l’Union européenne nouer, avec la Turquie, un partenariat privilégié car disent-ils, « il est nécessaire d’avoir des accords commerciaux avec ses voisins immédiats ».

En réalité, rarement responsables politiques français n’auront fait montre d’autant de mépris et de mauvaise foi envers un grand pays, une grande civilisation et un grand peuple, au demeurant très francophile.

S’il est vrai que la question des droits de l’homme et de la liberté de la presse ne doit surtout pas être passée sous silence, encore faut-il rappeler le chemin parcouru par la Turquie au cours de la dernière décennie. Des progrès significatifs ont été accomplis, les pratiques démocratiques s’enracinent, l’alternance politique est une réalité peu contestable, le pouvoir de l’armée, encore trop important, est néanmoins en reflux.

La liberté de la presse est à l’évidence un sujet de préoccupation. La France sait avec quelle facilité un Etat peut y porter atteinte. Quelques années après avoir fondé la Communauté économique européenne, le gouvernement français n’a pas hésité à pratiquer, à propos de la torture en Algérie, la censure à l’égard du journal Le Monde ou de Témoignage chrétien. Plus récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour atteinte à la liberté d’informer (25 juin 2002).

D’une façon plus générale, depuis 1992, la France a été condamnée à plusieurs reprises, par les juges de Strasbourg, pour « torture et traitements inhumains commis par des policiers ». En 2002, notre pays a fait l’objet de 61 condamnations quand la Turquie n’était (si on ose dire) condamnée que 54 fois.

Bien sûr, le caractère démocratique de la France n’est pas en cause malgré les écarts évoqués ci-dessus. Cependant et à cause de ces mêmes écarts, nos représentants seraient bien inspirés d’éviter de poser notre pays en référence absolue en matière de droits de l’homme.

De la même manière, parler de choc budgétaire, consécutif à l’entrée de la Turquie dans L’UE, relève d’une forme de malhonnêteté. Ces mêmes arguments étaient avancés au moment de l’entrée de la Grèce, puis de l’Espagne et du Portugal dans la communauté économique européenne. L’accès aux fonds structurels a pourtant permis à ces Etats membres d’accélérer leur développement et de contribuer positivement à la compétitivité de l’Union. Pour quelle raison le même « retour sur investissement » serait-il exclu s’agissant de la Turquie dont l’économie connaît une croissance assez enviable (5,3 % en 2007) ?

Au total et hormis l’argument géographique (sur lequel beaucoup pourrait être dit), le réquisitoire dressé par nos édiles fait, pour reprendre une onomatopée chère notre ancien président de la république, « pshitt » ! M. Lamassoure et ses collègues sont trop fins connaisseurs de la construction européenne pour ne pas mesurer à quel point leur démonstration est peu susceptible de convaincre les lecteurs du Monde.

Alors pourquoi tant d’acharnement contre l’adhésion de la Turquie ? La réponse est à la fois simple et inavouable. Ce que refusent obstinément la plupart des parlementaires de l’UMP et du PPE c’est en vérité l’intégration à l’UE d’un pays majoritairement musulman. Le débat, récemment réactivé, sur les racines chrétiennes de la France et de l’Europe est sans aucun doute largement lié au problème de l’adhésion de la Turquie.

Si in fine la question religieuse demeure, pour certains, le principal obstacle à l’engagement de négociations véritables en vue de l’adhésion de la Turquie, ils doivent le dire nettement sans chercher à se réfugier derrière de fausses raisons. Dès lors, il appartiendra à chacun d’exprimer son point de vue sur la pertinence d’une référence formelle à l’héritage chrétien de l’Europe, en sachant que pour ses promoteurs, la dimension chrétienne de l’Europe est exclusive et doit nécessairement être préservée.


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