Le suicide européen par l’élargissement vers l’est, drame en trois actes

par Laurent Courtois
jeudi 3 mai 2018

Longtemps gage de paix et de stabilité, l'idéologie de l'Union Européenne a été profondément impactée par la chute de l'URSS. La possibilité de réaliser une Europe de l'Atlantique à l'Oural s'est offerte par deux fois. Elle fut enterrée par les chrétiens démocrates allemands de la CDU. Cette dernière par peur atavique de la Russie préféra offrir l'Europe à l'OTAN, rouvrant ainsi toutes les boites de Pandore refermées après le 8 mai 1945 : guerres, fascisme...

Au lendemain d'une troisième guerre franco-allemande étendue au monde entier pour la deuxième fois, naquit le projet d'une union entre les peuples de l'Europe de l'Ouest. Cette union devait mettre fin aux guerres entre les nations européennes en substituant aux antagonismes du siècle passé, une collaboration économique, qui devait garantir au continent un avenir radieux.

En France, le projet initié par l'atlantiste Jean Monnet* est porté par Maurice Schumann qui, le 9 mai 1950, lança la construction européenne par ces mots :

« La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre.....  ».

Dès son retour au pouvoir, le Général de Gaulle dans un souci d'émanciper la CEE de l'emprise des USA, entreprit de renforcer les liens du couple franco-allemand. La réconciliation entre les deux nations fut concrétisée par le Traité de Paris le 22 janvier 1963. La signature se fit dans une ambiance rendue délétère par le chantage de Washington. En effet John F. Kennedy menaçait de retirer les forces US de la RFA si la ratification du Traité se faisait sans garantir l'entrée de la Grande Bretagne dans la CEE. Ces menaces eurent d'autant plus de poids que la RFA était par un heureux hasard depuis trois mois en pleine « Affaire du Spiegel * », qui avait révélé l'incapacité de la RFA à se défendre seule... Le 16 mai 1963, le Bundestag concrétisa le lobbying atlantiste en ajoutant au Traité de Paris un préambule qui le rendait caduque : «  une étroite association entre l’Europe et les États-Unis [...], l’intégration des forces armées des États membres du Pacte [atlantique], l’unification de l’Europe [...] en y admettant la Grande-Bretagne.  »

Les tensions autour du Traité de Paris montrèrent l'absence d'indépendance de la CEE vis à vis des USA. La RFA qui était dépourvue d'armée depuis 1945 était totalement dépendante des USA pour sa défense contre le danger soviétique et n'avait d'autre solution, que de courber servilement l'échine. La démission de Konrad Adenauer en Octobre 1963, plongea définitivement la CDU dans l'atlantisme.

 

Jacques Chirac, Vladimir Poutine, Gerhard Schroeder : la renaissance de l'Europe à l'Oural.

 

Deuxième Acte : 1989 – 2004, le rêve d'une Europe de l'Atlantique à L’Oural.

L'année 1989, marqua un tournant majeur pour l'histoire européenne. De cette redistribution des cartes, naquirent en Russie et en France des visions de l'Europe novatrices. Mikhaïl Gorbatchev développa l'idée de « Maison Commune Européenne » de l'Atlantique à L’Oural. François Mitterrand quant à lui, lança lors des vœux aux français le 31 décembre 1989 son projet de Confédération Européenne. C'est à dire, une solution de rechange à l'impossibilité d'intégrer les ex pays de l'Est à la CEE sans pour autant les laisser au bord de la route, ce qui reviendrait à les abandonner à la renaissance d'un nationalisme belliciste. Les USA firent valoir aux pays de l'Est qui s'imaginaient entrer très rapidement dans la CEE qu'un tel projet allait retarder leur intégration, ce qui le fit péricliter. D'un autre côté, le projet achoppa contre une Allemagne réunifiée qui maintenant libérée de la menace soviétique et donc du joug des USA, pouvait recréer la Mitteleuropa. selon le schéma pluriséculaire. La difficulté qu'eurent les européens à faire reconnaître la Ligne Oder Neiss par Helmuth Kohl, fut l'une des premières expressions de la renaissance de l’expansionnisme allemand. Mais cette dernière fut encore plus marquée par la reconnaissance impromptue et unilatérale de l'indépendance de la Croatie par l'Allemagne en 1991, qui fut le catalyseur de l'écroulement de la Yougoslavie.

 

Bon an mal an, buttant contre les conceptions américaines et allemandes de l'Europe, les projets de coopération avec la Russie continuèrent principalement sous l'initiative de la France. Son président d'alors, Jacques Chirac inscrivait sa politique dans le modèle « mitterrando-gaullien » d'ouverture à la Russie. Cette éclaircie dans les relations CEE-Russie se concrétisa par l'APC (Accord de Partenariat et de Coopération), signé en 1994 à Corfou, mais seulement entré en vigueur le 1er janvier 1997 après bien des tergiversations engendrées par la guerre en Tchétchénie.

Comme toujours dans l'histoire européenne un pas vers l'est engendre un croc-en-jambe américain. Cette fois-ci, il prit la forme d'une nouvelle guerre sur le continent européen : le Kosovo (1998-1999). Là encore les chrétiens démocrates allemands furent à la pointe (1 et 2).

L'arrivée au pouvoir en 1998 du social-démocrate Gerhard Schröder, permit le retour d'une politique de coopération EU-Russie, qui se concrétisa par le Sommet de Saint-Pétersbourg de 2003. Lors de ce dernier, il fut décidé de mettre en place quatre espaces communs (un espace économique, un espace de liberté, de sécurité et de justice, un espace de sécurité extérieure et un espace de recherches et d’éducation). Il est à noter que ce projet reprenait l'idée de la « Maison Commune Européenne à quatre étages » de Gorbatchev.

 

10 janvier 2014 : Funérailles de Harald Nugisek ancien SS estonien, capitaine de réserve de l'armée estonienne depuis 1992, décoré en 2008 de la médaille de la Gratitude du peuple estonien (Eesti Rahva Tänumedal).

Troisième Acte : 2004-2007 : L'élargissement vers l'est ou le suicide européen.

L'année 2004 marqua un tournant majeur dans les relations EU-Russie. Tout d'abord, elle voit, le 1er mai 2004 l'entrée dans l'EU de huit nouveaux membres issus du pacte de Varsovie, dont les Pays Baltes et la Pologne. Puis, en Novembre 2004 éclata la Révolution Orange téléguidée depuis Washington via la diaspora bandériste ukrainienne.

Le Conseil de l'Europe prend ses décisions à la majorité qualifiée (environ 2/3), ce qui a pour effet de fournir un levier aux partis du non. A partir de l'élargissement vers l'est de 2004, la minorité de blocage est de 87 voix sur 345. Les ex-pays de l'Est tous membres de l'OTAN depuis 1999 (Tchéquie, Hongrie, Pologne) ou 2004 ( Pays Baltes, Slovénie, Slovaquie) représentaient 77 voix. Autant dire qu'à partir de cette date, il n'est pas besoin d'être météorologue pour savoir qui fait la pluie et le beau temps au Conseil de l'Europe. De là, rien de surprenant qu'à Moscou on ne fasse plus guère de différence entre l'OTAN et l'EU...

Les premières illustrations de cet état de fait furent l'échec au sommet de La Haye en novembre 2004, qui devait permettre la misse en place des Quatre Espaces Communs. Lors du
Sommet de Moscou le 10 mai 2005, l'accord est signé in-extremis grâce à l'intervention personnelle de Vladimir Poutine, signature qui restera sans suite. En 2006, sur fond de « première guerre du gaz » et du « conflit de la viande », la Pologne fait capoter le Sommet EU-Russie d' Helsinki qui devait régler la question de l'approvisionnent énégétiquee de l'EU, en apposant son veto. Lors du 20éme Sommet EU-Russie de Mafra (Portugal), la Pologne apposa à nouveau son véto au renouvellement de l'APC. Le divorce fut consommé au 21éme sommet EU-Russie à Samara (Khanty-Massiik), qui fut victime de l'embargo russe sur la viande polonaise, du « blocus » pétrolier de la Lituanie et de la crise engendrée par le déplacement d'un monument soviétique à Tallinn.Il s'agit donc d'un état de fait, 46 millions d'habitants (baltes et polonais) ont fermé la porte de la Russie à 466 millions habitants de l'Union Européenne.

En échange qu'ont-ils apporté ?

L'Union Européenne repose dès sa création sur les concepts de réconciliation entre les peuples, de paix et de coopération. Aucun des pays baltes n'étaient prêts à partager ces valeurs, bien au contraire. Leur seul moteur était une rancœur, une haine de la Russie, un refus total de tous compromis, c'est à dire de toute diplomatie. Ces crispations flagrantes au sommet de Samara, n'étaient pas une surprise pour les européens.

Dès 1993, l'Estonie avait appliqué une politique ségrégationniste, en séparant la population en deux groupes. D'un côté, les citoyens à part entière estonophones dotés de tous leurs droits et d'un passeport bleu. De l'autre, les sous-citoyens russophones dotés d'un passeport gris et bénéficiant de droits limités. Bien évidement de telles mesures contraires à l'idéal européen posèrent un problème de façade à l'EU. Ce qui entraîna, le 29 mai 1995, l’ouverture d'une procédure de suivi selon la Directive 508 (1995). Cette procédure fut close deux ans plus tard, ce qui permit d'ouvrir les négociations d'adhésion. Or à ce jour, il reste environ 100.000 détenteurs de passeports gris en Estonie et ce en violation de l'Article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'EU, des articles 2 et 3 du Traité de Lisbonne...

 

Mis à part le ségrégationnisme, l’élargissement vers l'est a-t-il eu d'autres apports à l'Union Européenne ?

 

La « Nazistalgie » (nostalgie du nazisme) est un des points communs entre les pays baltes. A Riga, tous les 16 mars, sont commémorés les SS lettons (1 et 2). En Estonie chaque mois de juillet se déroule la commémoration de Sinimae, durant laquelle en 2012, M. Urmas Reinsalu, Ministre de la Défense rendit hommage aux combattants SS lettons. Il est fort possible que cette banalisation de la nazistalgie dans les Marches de l'EU, finisse par la légitimer dans le reste de l'Europe. En effet rien n'empêche un néo-nazi français ou allemand de réclamer son droit à commémorer le Troisième Reich au nom de l'Article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.

L'Europe a donc bien sacrifier ses valeurs philanthropiques pour pouvoir intégrer les pays de la sphère d'influence germanique. Il ne reste plus à Bruxelles qu'à accueillir l'Ukraine pour finir son suicide.

L'Union Européenne est morte, vive la Mitteleuropa, vive l'OTAN.

 

Le docteur Folamour letton, incarné par un ancien SS local (source).

 

* Jean Monnet fut avant d'être un des pères de l'Europe, un banquier américain fondateur de la Bancamerica, puis père du « Victory Programm » US. En 1943, il fut envoyé à Alger soutenir le général Giraud contre de Gaulle. Taupe US au sein du Comité Français de Libération Nationale, il fut un informateur très zélé, rôle qu'il continua dans les institutions européennes.

* Affaire du Spiegel : En 1962, en pleine négociation du Traité franco-allemand, l'OTAN réalise ses premières manœuvres en Allemagne : Fallex 62. Le bilan est terrible pour la Bundeswehr, les USA la jugent incapable de se défendre. Par un heureux hasard l'information sort dans la presse, c'est le premier grand scandale en Allemagne depuis 1945. En pleine crise, JFK conditionne la défense de l'Allemagne par les USA au rejet du Traité de Versailles. Cui bono  ?


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