Les lobbies, instrument de la démocratie ?
par Ceri
lundi 14 avril 2008
L’Europe traverse une grave crise de légitimité démocratique, pendant ce temps-là, on nous présente les lobbies comme un atout démocratique, justement. Les lobbies contribueraient à renforcer la démocratie européenne en informant les citoyens sur les sujets chauds à Bruxelles. Hélas, il ne s’agit-là que d’un mensonge éhonté, qui se base sur l’ignorance qu’ont les citoyens des rouages bruxellois. Les lobbies, répétons-le, ne travaillent pas pour l’intérêt général, mais pour des intérêts particuliers.
« Le lobbying a un rôle démocratique en Europe. »
Voilà
la soupe qu’on nous
sert actuellement, alors que nous sommes bien obligés de constater les failles
du processus démocratique
Mais aujourd’hui, les lobbies sont gentils. Du moins, c’est l’angle d’attaque de la propagande pro-lobbies actuelle. Propagande orientée vers l’opinion essentiellement car, à Bruxelles, ça ne choque personne. La Commission, en 1992, a même déclaré qu’elle recherchait « Un dialogue ouvert et structuré entre la Commission et les groupes d’intérêt ». Les « groupes d’intérêts » et les lobbies travaillent donc la main dans la main, comme l’a reconnu Jacques Delors quand il était président de ladite Commission au sujet de sa collaboration avec l’ERT (European Round Table, qui regroupe une cinquantaine de multinationales européennes) pour réformer l’éducation et préparer la « stratégie de Lisbonne », destinée à « faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive ».
Où l’on est capables d’entendre, de la plume de deux pros de la science politique et des affaires internationales que les lobbies sont des vecteurs comme les autres d’information sur l’Europe, d’autant plus qu’il existe « un déficit structurel d’information des Français sur l’Europe ». Les 1 500 et quelques « groupements d’intérêts évoluant au contact de la sphère européenne » (dont 350 multinationales) œuvreraient donc pour l’intérêt général (d’autres sources plus fiables parlent de 2 600 groupements d’intérêts à Bruxelles, dont 70 % représenteraient l’industrie). Au total, officiellement, on compte un peu plus de 15 000 lobbyistes à Bruxelles. Il n’y a rien, là, qui choque, nos deux spécialistes. Celles-ci affirment d’ailleurs plus loin - comble de la mauvaise foi ou de la méchante propagande, au choix - que :
« Les groupes d’intérêt jouent un rôle de relais de diffusion, au niveau national, d’un certain type d’informations sur l’Europe. Ils agissent certes selon des logiques différentes, à destination de publics-cibles, en mobilisant une multiplicité de méthodes et stratégies de communication (et la « communication » n’a rien à voir avec l’information, ce n’est pas pour rien qu’il y a la section « info » et la section « com » dans facs), mais opèrent tous une sélection, souvent à travers un cadrage national ad hoc, de l’information sur l’Europe (et, apparemment, c’est vraiment génial que les lobbies sélectionnent les infos qu’ils fournissent aux citoyens, qui seraient probablement mieux informés avec une info relativement objective). En ce sens, ils assurent une médiation partielle de l’information produite massivement par la « machine communautaire » pour l’adapter à leurs publics. Il n’en demeure pas moins que, en dépit de leurs stratégies propres de communication et du rapport instrumental qu’ils ont à l’information, ces relais nationaux sectoriels jouent un rôle positif dans la sensibilisation des publics aux questions européennes, en particulier par l’éclairage expert qu’ils apportent sur ces dernières. Ils semblent ainsi participer de l’éveil d’une « conscience européenne » »
Quoi qu’il en soit, les canaux de cette « information » sur l’Europe sont bien rodés, puisque les médias reprennent complaisamment leurs communiqués de presse. On nous cite même en exemple le Medef, qui « forme » ses adhérents sur les questions européennes. Sur le site de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, on a même la diligence de nous fournir un guide intitulé « Réflexes et atouts du lobbyiste européen. Mémento des démarches à suivre », où l’on peut lire comme première recommandation de « démystifier le lobbying et comprendre qu’il s’agit d’un outil démocratique ». Etrangement, on retrouve le même argument que celui de nos spécialistes en sciences politiques, qui ont manifestement fait leur le credo des lobbyistes.
Une autre spécialiste nous explique la « place centrale » de l’ « expertise » des groupes d’intérêt (= lobbies) pour « l’efficacité du système politique communautaire ». Déjà, en parlant d’ « expertise », on frôle la désinformation. Les cabinets de lobbying sont certes « experts » dans leurs domaines, mais les rapports qu’ils fournissent à la commission sont évidemment complètement orientés, car c’est bien là leur raison d’être. Il est vrai qu’aujourd’hui on nous sort des « experts » et autres « spécialistes », comme un étendard justifiant tout et n’importe quoi, de la guerre en Irak aux OGM. S’il y a controverse « attention : expert ! », devient argument d’autorité. Par qui ledit expert est financé, pourquoi a-t-on fait appel à lui, tout cela n’est que détail.
L’auteure explique que la Commission est souvent dans « l’incertitude » par rapport aux dossiers qu’elle traite et que, fort heureusement, les « experts » sont là pour fournir foison de rapports et d’informations tout à fait objectives.
Elle cite l’exemple du nucléaire, parfaitement révélateur de la manière dont les choses se passent. Les étapes sont toujours les mêmes :
- la Commission décide de s’informer sur la question, et forme au début des années 90 une cellule (Nusac) d’experts externes et européens sur la question de la coordination de la sécurité nucléaire ;
- les entreprises et industries nucléaires européennes, comme par hasard, sont déjà regroupées dans le Twinning Programme Engineering Group (TPEG, avec dedans EDF, la Belge Tractebel et l’Italienne Enel, l’Espagnole DTN, la Britannique Magnox, la Suédoise Vattenfall, la Néerlandaise GKN, la Finlandaise IVO/TVO, et l’association VGB, représentant en particulier l’entreprise allemande RW, mais il y en a d’autres comme le TSOG...), et travaillent déjà régulièrement sur le sujet avec la Commission ;
- la commission commande des « études techniques » au TPEG, et les premières sont carrément faites par les entreprises (mais pour toutes les réformes, y compris celle du marché du travail ou des retraites, c’est le même système) ;
- en 1993, la Commission - après avoir bien lu les « expertises » des entreprises du secteur - élabore son « plan directeur » (c’est souvent un Livre Vert), « préparé suite à un rapport technique fourni par le TPEG », dixit l’auteure pro-lobbies. Comme par hasard, la Commission conclut que la fermeture des réacteurs les moins sûrs serait « économiquement difficile » car on dépend trop du nucléaire. (on aurait pu y penser avant, mais les experts ont dû dire qu’il y avait le temps).
Après, le processus législatif ou réglementaire est lancé.
Et puis, il faut à ce stade comprendre ce qu’est la technique dite « du tourniquet » : un attaché parlementaire à Bruxelles, par exemple,
Il est hélas un constat réel dans tout cela, corroboré par Florence Autret, journaliste très calée sur le lobbying et l’Europe : « la Commission a éminemment besoin des lobbies, au point de les solliciter, voire de les susciter ». La même explique que les consultations de la société civile par la Commission ne sont qu’un « vernis démocratique », car l’influence prépondérante n’est pas détenue par les citoyens, mais par les « experts » qui défendent des intérêts particuliers.
Il faut admettre aussi, hélas, que les lobbies sont parfaitement institutionnalisés au sein de l’Europe, au point qu’ils décident eux-mêmes de se doter (ou non) d’un code d’éthique, absolument pas contraignant faut-il le préciser ? On en est même, en France, à estimer que nous avons un gros retard sur le lobbying à Bruxelles, même si nos parlementaires considèrent qu’il y a depuis quelque temps « un léger mieux ». Car effectivement, à ce jeu-là on ne peut pas avoir moins d’influence que les autres. C’est donc lobby contre lobby, et alliances de lobbies en fonction des thèmes sensibles, à Bruxelles. Attac Bruxelles évoque d’ailleurs une « gouvernance des experts », qui n’a rien à envier à la bureaucratie soviétique.
Quand on sait, pour ne prendre qu’un exemple évocateur, que l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique, qui a pour but de défendre le nucléaire et a de nombreux « experts » proches des industries nucléaires qui font des rapports très objectifs) empêche toutes les études sérieuses sur les conséquences de Tchernobyl, on relativise l’objectivité des informations véhiculées par les groupes d’intérêts. Mais ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres.
Quelques exemples de lobbying à Bruxelles :
- sur le projet Reach destiné à limiter les produits chimiques dangereux en Europe ;
- sur les retraites ;
- sur les émissions de CO2 ;
- sur la transparence du lobbying à Bruxelles ;
- sur les médicaments génériques.