Non à un référendum national sur le traité européen

par jmfayard
mardi 18 décembre 2007

Comment ? Pas de référendum en France sur le traité européen ? La mobilisation contre ce "déni de démocratie" prend - doucement - de l’ampleur sur Internet. Jean-Luc Mélenchon lance son comité national pour le référendum ; parallèlement le Front national dévoile son comité du non français tandis qu’Etienne Chouard et le Mouvement pour la France (Christophe Baudoin) sonnent ensemble la mobilisation sur Facebook. Une professeure titulaire d’une chaire de droit public parle de haute trahison et en vient à regretter l’abolition de la peine de mort pendant que le site 29mai.eu propose par représailles d’engorger la Cour européenne des Droits de l’homme sous une avalanche de plaintes juridiquement farfelues. On vitupère contre les journalistes qui étouffent l’affaire - et a fortiori, on publie des articles impitoyables contre ceux qui lancent le débat tel Jean Quatremer de Libération sur son blog. Face à cet écho nostalgique de la virulence de débats référendaires lointains, est-il bien prudent de défendre explicitement le non-recours à un référendum national séparé ? C’est ce que je ferai pourtant, et voici pourquoi...


Le fond prime sur la procédure...

Tout d’abord, il n’y a aucune raison de se laisser intimider par ceux qui veulent focaliser le débat uniquement sur le choix de la procédure, y compris avec l’intention clairement affichée de détourner le vote des députés de son objet initial ("cher député, votez s’il vous plaît contre la ratification du traité de Lisbonne mais en fait ça ne voudra pas dire que vous êtes contre mais que vous vouliez un référendum"). Cette question de la procédure a son importance - on y reviendra - mais le choix du texte qui régira le fonctionnement des institutions communes à tous les Européens en a bien plus ! Mais, me diriez-vous, comment se prononcer sur le fond puisque le traité est "illisible" ? Repris par des adversaires et des partisans du nouveau traité, cet argument est à vrai dire assez malhonnête. De quoi s’agit-il ? Contrairement au TCE, le traité de Lisbonne se présente non pas comme une création ex nihilo, c’est-à-dire sous une forme consolidée, mais comme une suite d’amendements au droit existant. Ce n’est en rien une terrible innovation (la très grande majorité des lois françaises se présentent de la sorte) ni un très grand obstacle : cela veut simplement dire qu’il faut lire le traité de Lisbonne sous sa forme consolidée que l’Assemblée nationale met justement à votre disposition. Encore plus simple ? A votre service ! Je vous renvoie à ce PDF très complet d’OpenEurope, la meilleure synthèse que j’ai trouvée jusqu’ici et qui résume thème par thème les changements qu’apporterait le traité de Lisbonne. Cette présentation comme une liasse d’amendements au droit existant a un immense mérite si on fait un petit flash-back dans le temps. En 2005 se sont tenus partout des centaines de dialogues de sourds de ce type : - Noniste : Je vote contre l’article XXX qui est dans la partie III. - Réponse : Mais c’est l’article YYY du traité de Maastricht. - Nonniste : Et alors ? Je suis contre, je vote non. - Réponse : Mais il est déjà en vigueur et le restera si le NON l’emporte ! - Noniste : Ah mais non pas du tout, là maintenant il est constitutionnalisé, c’est très grave. Au passage, on peut s’amuser à faire un parallèle assez amusant entre ces arguments d’alors et ceux élevés aujourd’hui par les opposants au traité de Lisbonne tel Etienne Chouard dans Libération : "Ils ont retiré le mot Constitution et la partie III. Mais en réalité, elle est encore en œuvre. C’est le royaume de l’hypocrisie." Plutôt contradictoire avec l’argumentation d’alors ;-) Passons. Tout ça pour dire qu’à un moment donné, il faut prendre position sur le fond. La grande majorité des arguments du non de 2005 portait sur la partie non modifiée. Maintenant le vote va porter seulement sur la partie modifiée. Comme ça au moins les choses sont claires : qui vote non aux modifications vote pour le maintien des traités de Maastricht et de Nice en l’état. C’était déjà le cas en 2005, si on raisonnait une seconde, maintenant c’est clair et net. J’attends des nonistes d’aujourd’hui qu’ils défendent leur position d’aujourd’hui, ce sera plus intéressant et peut être même convaincant.

Le référendum n’est pas la démocratie

Le référendum n’est pas la démocratie, il est seulement une modalité possible de la démocratie, et suivant les cas, il est bien loin d’en être forcément la meilleure ! 1) Le non-recours au référendum n’est en rien scandaleux en soi. "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum." Dans quel horrible texte béni-ouiouisto-européiste figure ce déni de démocratie qui laisse un choix entre deux solutions mises sur un plan d’égalité ? La constitution de la Ve République, à contre-courant des fantasmes actuels de démocratie directe généralisée... Et effectivement les traités européens ont été ratifiés tantôt par une méthode (Acte unique, traité d’Amsterdam, traité de Nice) tantôt par l’autre méthode (traité de Maastricht, TCE). Doit-on considérer comme un déni de démocratie le fait que les députés aient modifié avec le traité d’Amsterdam un texte (Maastricht) qui avait été approuvé par les Français par référendum en 1992 ? 2) D’accord sur le point 1) mais dans ce cas précis vous auriez préférez un recours au référendum ? C’est un point de vue qui se défend, mais ce n’est ni à nous ni à vous d’en décider. La Constitution française prise comme la référence à suivre en 2005 stipule que c’est Nicolas Sarkozy et lui seul qui en décide ; or celui-ci avait clairement annoncé la couleur pendant la campagne, si faute il y a, elle repose sur les 53% qui l’ont élu tout en sachant qu’il refuserait de convoquer un référendum. 3) Etre pour le référendum est légitime. Mais les propagandistes pro-référendum qui posent l’équation "anti-référendum = anti-démocrate" sont tout à fait outranciers. Plus grave, cela est tout à fait contre-productif puisque leur but est logiquement d’aller convaincre des parlementaires, peu susceptibles d’être convaincus par une argumentation simpliste. Il faut au contraire connaître les arguments des anti-référendum. Écoutez en particulier ce que disait le député européen Jean-Louis Bourlanges sur la question - en colère contre les mensonges des uns ET des autres au point de claquer la porte du Parlement européen - : "S’agissant du référendum : moi j’étais très hostile à ce qu’on nomme le TCE, qui avait exactement la même valeur juridique que ces prédécesseurs, une constitution. Je disais comme Jacques Delors : ’il vaut mieux un bon traité qu’une mauvaise constitution’. Et à partir du moment où l’on a nommé cela ’constitution’, on a dit : ’il faut un référendum’. Mais ce qui rend très difficile le référendum c’est que la question ne peut pas être posée dans sa clarté. Les deux choses qui ont et qui vont animer la campagne - mais je comprends tout à fait, ce sont deux passions démocratiques comme dit Tocqueville, mais légitimes - c’est : est-ce que je suis pour ou contre le gouvernement et est-ce que je suis pour ou contre la construction européenne. Bon. Mais ce n’est pas la question qui serait posée ! La question du traité c’est de savoir si l’on ratifie le traité de Lisbonne. Et ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si l’on posait la question honnêtement - mais c’est bien évidemment impossible de la poser en ces termes - la question devrait être : Est-ce que vous préférez le traité de Nice [cochez] ou est-ce que vous préférez le traité de Lisbonne [cochez] ? Parce que si le traité de Lisbonne n’est pas ratifié, c’est le traité de Nice. Donc c’est une question extraordinairement circonscrite ! Et le référendum en revanche est une consultation qui est illimitée dans ses implications politiques." 4) Le référendum n’est de toute façon pas la panacée. Il a d’ailleurs tellement mauvaise presse que plusieurs pays n’y recourent jamais : l’expérience bonapartiste en France, la conception gaullienne du référendum où l’on ne répond pas tant à la question posée qu’à celui qui la pose, les souvenirs des manipulations par les régimes autoritaires font qu’il n’est spontanément le bienvenue ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Angleterre. L’illusion d’une forme par excellence de démocratie est vite mise à mal : en réalité, le peuple ne dispose ni du choix de la question, ni du moment de sa réponse, ni de l’opportunité d’y répondre d’une manière fine, ni d’une garantie que sa réponse soit prise en compte de la manière qu’il escomptait. La marque de ces défauts intrinsèques au référendum est la somme des frustrations qu’il engendre. Qui a ressenti une intense frustration dans l’après 29 mai 2005 ? Les 45% de ouistes bien entendu - tant que cela reste une minorité, rien de plus normal en démocratie. Mais aussi ceux qui ont voté pour une autre Europe et n’ont obtenu que le maintien de l’Europe préexistante avec tous ses défauts. Mais aussi ceux qui ont voté contre l’intégration européenne et qui l’on vu continuer telle quelle. Mais aussi ceux qui ont voté contre Chirac et en ont repris pour deux ans. Mais aussi ceux qui ont voté contre l’économie de marché et le principe de concurrence et qui en fait de socialisme ont obtenu Nicolas Sarkozy comme président. Ainsi de suite et au total, une écrasante et inquiétante majorité de la population française pour qui le référendum n’a pas débouché sur ce qu’elle espérait !

Si référendum il y a, ce ne peut être qu’un référendum pan-européen

Arrivé à ce point de l’exposition de la bêtise du référendum - et non de ceux qui y ont participé et ont fait pour le mieux - il manque encore paradoxalement le problème majeur du référendum de 2005, d’une simplicité aveuglante : le référendum était national, le traité européen ! Si finalement ce traité européen doit être ratifié par référendum - et cela peut surprendre mais j’y suis favorable ! -, cela doit être un référendum pan-européen à l’exclusion de tout référendum national séparé. Les règles du fonctionnement des institutions européennes ne concernent pas que l’Hexagone, pas que l’Espagne, pas que le Luxembourg. La question concerne tous les citoyens européens et tous les Etats européens et doit donc être posée dans toute l’Europe le même jour - ou la même semaine si c’est trop difficile, il pourra être consultatif ou décisionnel... on pourra discuter de tous les détails. Mais il en est un qui est essentiel : il faut dire ce qu’il adviendra si, par exemple, 62% des citoyens européens et 24 Etats sur 27 l’acceptent, mais que dans 3 Etats sur 27 une majorité s’exprime contre le nouveau traité. Il y aura des pressions fortes pour conserver la règle de l’unanimité, le droit accordé à chaque pays (la France, mais aussi Malte, le Luxembourg, la Lituanie...) de bloquer une réforme, même si elle est réclamée par une large majorité d’un demi-milliard d’Européens. Quelles en seraient les conséquences ? Ce serait la quasi-certitude de l’échec de toute réforme un tant soit peu ambitieuse, cela reviendrait à figer l’Union européenne dans ses défauts actuels, à laisser pourrir la situation jusqu’à... On comprend l’empressement des nationalistes à rallier les naïfs à une telle perspective ! Tout plutôt que le système kafkaïen de ratification du TCE où certains Européens votent et d’autre non et où le vote négatif d’un seul pays bloque tout le monde, les empêchant même de s’exprimer sur la question - plus précisément ils peuvent toujours le faire comme l’a fait le Luxembourg par référendum - mais koztoujours-tu-m’intéresses, l’affaire est déjà pliée. L’alternative est de procéder en deux mouvements. Acte I : référendum pan-européen : "Etes-vous pour ou contre la ratification du traité européen ci-joint ?" Si une majorité d’Etats est contre, on renégocie sans le problème actuel où les Etats nonnistes qui prétendent renégocier sont ultra-minoritaires (3 NON, 24 OUI dans mon exemple). Si une majorité d’Européens est contre : idem. Sinon, le traité entre en vigueur dans les pays s’étant exprimés pour le OUI, et un deuxième tour a lieu dans les 3 pays s’étant exprimés pour le NON. La question est cependant différente cette fois : "Sachant que l’Union européenne dispose désormais d’un nouveau traité, préférez-vous rester au sein de l’UE ou en sortir ?" Impossible ? Pourtant il y a des précédents : en mai 1949, le Landtag de la Bavière rejeta la loi fondamentale qui sert de constitution à l’actuelle République fédérale d’Allemagne et que les 10 autres Länder avaient ratifiée. Mais au lieu de bloquer tout le processus ou de devenir un Etat indépendant, il en accepta la validité sur le territoire bavarois.


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