Non irlandais et présidence française du Conseil de l’Union européenne

par Le Taurillon
mardi 29 juillet 2008

Le « non » irlandais ne doit pas plonger l’Europe dans une nouvelle crise, elle souffre déjà de trop de désamour de la part de nombreux citoyens européens. Ce « non » est évidemment un choc pour les défenseurs du Traité, choc qui suscite beaucoup de déception, de tristesse et d’incompréhension à travers l’Europe.

En effet, depuis son adhésion en 1973, l’Irlande est un des pays ayant reçu le plus de subventions de l’Union européenne. On estime en effet à près de 58 milliards d’euros la somme reçue, soit près de 800 euros par Irlandais. Cependant, comme l’a très justement fait remarquer Jean-Perre Jouyet « il faut prendre acte de la décision du peuple irlandais et la respecter tout en la regrettant ».

C’est un coup dur pour l’Europe politique car le Traité de Lisbonne a été pensé pour créer un cadre institutionnel adapté à une Europe à 27 et ainsi faciliter la prise de décision pour les sujets qui nous concernent tous. C’est un traité équilibré entre les États membres et totalement égalitaire entre petites et grandes nations. Il vise à rendre l’Europe plus efficace, mais aujourd’hui l’unanimité nous stoppe et impose un moment de réflexion à l’Europe. Malgré cela, nous pouvons continuer à avancer et cela est même indispensable car nous ne pouvons pas nous permettre de baisser les bras alors que le reste du monde avance à grands pas.

Comment expliquer ce rejet ?

Il semble que plusieurs facteurs aient joué.

Tout d’abord, comme cela avait été le cas en France, le référendum n’a pas porté que sur la nature du traité, mais plutôt sur des questions de politique intérieure. Ce fut un vote sanction à l’égard du gouvernement de Brian Cowen. Les Irlandais connaissent en effet un certain ralentissement après quelques années de croissance extraordinaire et de quasi plein-emploi. Les Irlandais n’ont pas vu les bienfaits que leur avaient apportés l’UE et n’ont retenu que l’image d’une administration européenne jugée distante et bureaucratique.

De plus, dans un pays qui n’a acquis sa pleine souveraineté qu’au début du XXe siècle, l’argument d’une perte de souveraineté porté par les « nonistes » a eu un effet dévastateur. Il y a eu des dérives et surenchères nationalistes autour des questions de défense, de politique agricole, de fiscalité et d’avortement notamment.

Quelles leçons en tirer ?

La critique d’une Europe trop éloignée des citoyens et de leurs préoccupations doit amener les responsables européens à faire un effort considérable de communication. L’information sur les bienfaits de l’Europe, sur ses impacts concrets dans notre vie de tous les jours, doit être accessible et démultipliée. Jacques Barrot affirme ainsi « qu’il faut montrer sans cesse et sans relâche les bienfaits européens ». L’Europe doit être expliquée, des efforts doivent être faits en termes de pédagogie, de lisibilité et de communication.

Il faut casser le préjugé d’une Europe technocrate qui ne s’occupe pas des citoyens et qui serait « business as usual ». Les responsables politiques nationaux doivent prendre leurs responsabilités, cesser de communautariser les problèmes internes et faire la promotion du projet européen et de ses grands acquis tels que la PAC, le marché commun, la libre circulation ou la résolution des crises internationales.

Ce « non » ne doit pas stopper le projet européen, mais il doit au contraire aider à s’attaquer aux préoccupations majeures de notre temps à savoir la croissance, le chômage, l’inflation, l’environnement, la sécurité énergétique, l’immigration ? Les Européens ne représenteront bientôt que 5 % de la population mondiale, il est urgent qu’ils s’unissent pour faire face aux défis futurs car les nations sont trop petites pour y répondre seules. Le projet européen doit être plus visible pour les citoyens qui doivent comprendre que l’Europe est une chance dans la mondialisation et peut nous aider à faire valoir nos idées et valeurs dans le monde.

Que faire ?

Différents cas de figure ont été envisagés, mais l’abandon définitif du Traité de Lisbonne (et le retour au Traité de Nice) ou la renégociation générale du Traité semblent des options irréalistes et inadaptées aujourd’hui. Nous nous dirigeons plus vers l’octroi de clauses dérogatoires aux Irlandais (opting out) comme cela avait été le cas pour le Traité de Nice en 2002 pour les questions de défense.

Les responsables européens veulent accélérer la ratification dans les autres pays en espérant qu’une fois que les 26 autres auront accepté le Traité, les Irlandais, qui ne représentent que 4,4 millions d’habitants, ne voudront pas s’exclure de l’Europe et accepteront de revoter moyennant quelques dérogations.

Un blocage de la présidence française du Conseil de l’UE ?

Sur le plan institutionnel, il y aura évidemment une perte de plusieurs mois pour les renégociations et la mise en oeuvre du nouveau traité ne pourra sans doute pas se faire d’ici janvier 2009. Cependant, ce rejet ne remet pas en cause de manière drastique les ambitions de la présidence française car ses priorités sont assez indépendantes de la date d’application du traité. De plus, le programme français est plus que jamais pertinent car il répond aux préoccupations des citoyens en cherchant à répondre aux défis globaux qui nous préoccupent tous comme la hausse des prix alimentaires, les flux migratoires, le réchauffement climatique, l’approvisionnement énergétique ?

Si l’on regarde plus en détails, les quatre priorités de la présidence française devraient souffrir différemment du retard dans l’entrée en vigueur du Traité.

En ce qui concerne le changement climatique et la réforme de la PAC, cela ne nécessite pas de nouvelles bases juridiques donc nous pouvons espérer des avancées. Pour le pacte sur l’immigration, la France va tenter de faire adopter le plan Hortefeux sur l’immigration avant que ce domaine ne soit communautarisé (et démocratisé) par le Traité de Lisbonne. En effet, la France va tenter d’imposer sa vision de l’immigration en activant son réseau diplomatique avant que cela ne soit rendu plus difficile par la fin de l’intergouvernementalisme et la communautarisation de ces questions. Quant à la défense, les ambitions risquent d’être revues à la baisse car l’Irlande est très attachée à sa neutralité et est très réticente sur les questions d’intégration au niveau militaire.

Le climat de la présidence française sera donc quelque peu alourdi par ces questions institutionnelles, mais elle ne sera pas pour autant bloquée. Les ambitions de la présidence française portent sur des sujets aussi concrets que la hausse du prix des matières premières, l’agriculture ou l’immigration. Or, la meilleure réponse à donner au « non » irlandais, c’est de montrer que l’Europe répond aux attentes des citoyens dans des domaines concrets. La présidence française doit donc être citoyenne et chercher à répondre aux besoins des Européens.

Mais les citoyens doivent également prendre leurs responsabilités et s’impliquer dans les débats européens. L’opportunité de faire entendre leurs voix et de peser sur les décisions européennes se présentera lors des élections du parlement en 2009, ils doivent impérativement saisir cette chance pour montrer aux dirigeants que l’Europe ne peut pas se faire sans eux. Les responsables nationaux doivent, eux, proposer de vraies élections européennes sur des sujets européens et non des scrutins séparés nation par nation avec des débats sur des questions de politique intérieure.

Illustration : visuel de l’article issu d’une photographie du site de la Commission européenne et du logo de la PFUE. 


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