Nouveau rapport européen sur l’apprentissage précoce des langues

par Krokodilo
lundi 23 mars 2009

Le formatage des esprits se poursuit !

Sauf erreur, il s’agit du troisième rapport sur le sujet. Il est, comme le deuxième, favorable à l’apprentissage précoce des langues étrangères, alors que le premier était plus que précautionneux.

La rigueur scientifique dudit rapport est déjà apparente dans le résumé en français :

« La Commission européenne est très favorable à l’enseignement des langues vivantes aux jeunes enfants, afin de développer leurs connaissances linguistiques, mais aussi leur sentiment d’appartenance et leur sens de la citoyenneté et de la communauté, tout en leur donnant conscience des opportunités qui leur sont offertes dans une Europe multilingue. »

Quelques remarques :
A ce jour, il est disponible uniquement en anglais, énième exemple de la politique linguistique de l’UE...

« It is evident from the observation of primary school classrooms that young children generally are highly motivated by their learning of an additional language. »

Ma fille m’a dit exactement l’inverse : que la majorité de la classe détestait les leçons d’anglais au primaire. Mais ça n’a pas de valeur statistique, of course. Ni le témoignage pince-sans-rire d’un prof d’anglais, d’après lequel le système mis en place permet d’amener en 6e des enfants déjà dégoûtés de l’anglais !

Une longue liste de publications est censée donner du poids à leurs conclusions. Mais, à notre connaissance, il n’existe aucune étude scientifique sérieuse à l’appui de leurs dires. En 2006, une étude dirigée par un sociologue réputé, Hartmut Esser, a examiné les données empiriques et les études disponibles, en concluant à des lacunes méthodologiques et statistiques scandaleuses. En observant les données sur les enfants immigrés turcs en Allemagne parlant leur langue maternelle à la maison, aucun avantage particulier en matière cognitive ou scolaire n’apparaît. Ce n’est pas un handicap, et c’est une richesse culturelle, mais l’assimilation linguistique au pays d’accueil reste la meilleure voie (étude rapportée par Courrier international, N°847, 2007).

Mais ce qui ne va pas dans le sens du dogme actuel est vite archivé...

En outre, ils disent eux-mêmes manquer d’études et de preuves !


« There is a serious lack of such co-ordinated information which would not only combine research, good practice and principles but would do so on a recurrent basis and make the resulting information available. »

« Although it has been pleasing to report a considerable increase in published research studies since Blondin et al. (1998), in fact the research that has been published provides relatively little information on the extent to which principles such as those set out above are understood, accepted or implemented, but there is a strong suspicion that for this to happen, a great deal of discussion and elaboration would be needed, involving all the main stakeholders in early languages learning, such as transnational and national authorities, teachers, teacher educators, advisers, inspectors, school management, not forgetting pupils themselves and their parents. »

« Much of the best research offers insight into specific aspects, e.g. aptitude, motivation, strategies, but there is a lack of integrated research and development which could provide a ‘bigger picture’ of how the main variables leading to success in early language learning influence each other. Such research could result in forming different clusters of good practice. There is little information about certain key topics which can be regarded as crucial for the success of ELL. »

Lack of information, little information, lack of research, Bref, que du solide !

Il s’agit donc une nouvelle fois de doctrine, d’idéologie, non de science. Pourtant, les sciences sociales aussi savent faire montre de rigueur ou établir des protocoles d’étude, des statistiques fiables, lorsque le but est scientifique... Ici, le but est la manipulation de l’opinion publique, des médias, des pédagogues et des Européens, chaque maillon répercutant en cascade la parole venue d’en haut... Ce qui rappelle assez les religions.

Et, comme toute religion, ils en veulent toujours plus - étendre le territoire, augmenter son influence, multiplier les fidèles. En matière de langues étrangères, l’équivalent c’est la doctrine que les langues étrangères doivent être utilisées dans toutes les autres matières !

« These include the early introduction of reading and writing in children’s first language, home language and additional target language ; the development of a discourse about local community languages and cultures ; the embedding of the target language in the broader curriculum of the primary school, e.g. science, history, geography, physical education, art and design. »

Si on les laissait faire, des inspecteurs viendraient vérifier au domicile des parents s’ils obligent bien leurs enfants à regarder des dessins animés en anglais !

Un bon point quand même : le rapport précise qu’une langue au primaire peut correspondre à des situations très différentes. Ce peut être une langue étrangère stricto sensu, mais aussi une autre langue nationale du pays (Belgique, Suisse), ou une langue locale « indigène » sans statut officiel.

En somme, on mélange des carottes et des navets ! Toujours la rigueur scientifique.

Puisqu’il s’agit d’idéologie, une opinion différente est donc tout aussi légitime : par exemple que l’apprentissage précoce peut être une initiation linguistique non spécialisée dans une langue, comme le programme Evlang (éveil aux langues), avec apprentissage des sons différents, une découverte de quelques alphabets européens différents, histoire d’exploiter les aptitudes musicales des enfants, les seules démontrées en matière linguistique. Ce peut être aussi d’offrir un vrai choix au primaire, ainsi qu’au secondaire.

Notre proposition de réforme :

Au primaire, le CHOIX entre la langue régionale, l’anglais (ou une autre langue selon les possibilités de l’établissement), le programme Evlang (Éveil aux langues, non spécialisé) ou l’espéranto. Chaque enseignant chargé de cette initiation (il faut aussi accepter qu’il s’agit seulement d’initiation...) pouvant tourner sur quelques écoles primaires proches. Ainsi, cette réforme est simple, respectant à la fois la diversité linguistique et le libre choix, elle est de plus possible à coût constant.

Au secondaire, les choses sont plus compliquées, mais également possibles ; notre proposition.

Conclusion

On ne sait pas à l’école primaire, de quelle langue on aura besoin à l’âge adulte, car cela dépend du métier et du pays éventuel de résidence, d’expatriation.

L’école primaire est l’âge des découvertes, de l’initiation large, pas de la spécialisation.

A quoi bon discuter de la valeur des publications citées à l’appui de ces théories pédagogiques ? En cette matière, le seul bon sens suffit : qui pense sérieusement que ce rapport traite de l’apprentissage précoce de l’italien, du maltais ou du polonais ?

Le but de cette pression idéologique est d’intensifier l’apprentissage précoce et généralisé de l’anglais dans tous les pays européens. Mais ne le répétez pas, c’est un secret. De polichinelle.

« Last but not least », il est probable que des gens aient été payés pour pondre de tels rapports, inconsistants et manipulateurs... Zut, encore un secret d’État trahi !

(Nota : l’llustration ne représente en aucun cas un enfant équipé d’un appareil à apprendre l’anglais à la maternelle.)


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