On a des raisons de s’abstenir le 7 juin

par Bernard Dugué
vendredi 5 juin 2009

La presse, unanime avec la classe politique, exhorte les citoyens à se rendre aux urnes. Pourtant l’abstention sera massive. Autant dire que le principal camp politique est celui des abstentionnistes. Peut-on dire, en paraphrasant un livre de Sartre, qu’on a des raisons de s’abstenir le 7 juin ? Trois citoyens ont décidé de s’exprimer en exclusivité pour Agoravox

Pour commencer, une lettre de Jean-Paul, citoyen européen inscrit à Albi, assez remonté contre la manière dont se déroule le scrutin européen en France.


« Je n’irai pas voter le 7 juin. Les dévots de la démocratie me jetteront la pierre. Dans les républiques bananières, les élections sont truquées et quelques autochtones en appellent au boycott des élections parce que les jeux sont faits par le pouvoir et nous Français, garant des tables infaillibles de la loi des droits de l’homme, applaudissons de nos deux mains et même plus. Pourtant, en réfléchissant, nous pourrions trouver des motifs pour ne pas voter aux élections européennes, des motifs aussi recevables que ce que nous recevons quand c’est un Etat africains qui organise les élections et que nous soutenons le parti qui appelle au boycott parce que les élections ne sont pas jugées équilibrées et équitables. Ce qui est un argument recevable. Alors, si on scrute le scrutin européen en France, on ne verra pas de déséquilibre majeur ni de trucage invalidant la légitimité de ces élections mais, question équilibre, déjà une faille. La régionalisation permet aux formations de tête, PS et Droite, de s’octroyer un bonus de députés (6 et 5 d’après les calculs) alors que le principe de la proportionnalité devrait permettre aux autres formations d’avoir quelques représentants. Les calculs ont été faits. Une simulation sur un parti proche des 10 points dans toutes les régions lui attribue deux sièges au Parlement européen, alors que la proportionnalité à l’échelle nationale lui aurait accordé sept sièges. Si en France, on loue les appels au boycott quand le scrutin se passe en Algérie ou au Libéria, qu’on ne me condamne pas, c’est la moindre des choses, quand je dis qu’on a des raisons de se révolter comme une basse combine électorale intolérable dans un pays qui comme la France, se dit de haute civilisation et même, se réclame de l’universel. » Jean-Paul, Albi.


Combien pensent comme Jean-Paul ? Un bon nombre dirons-nous. Le scrutin biaisé est certes un motif de grief contre le scrutin mais en scrutant la vie politique, nous trouverons peut-être d’autres motifs pour aller à la pêche le 7 juin. Ecoutons Jean-Pierre de Poitiers


« Depuis que le Parlement européen existe, je n’ai pas une bonne opinion de nos représentants, et surtout, la manière dont sont utilisées ces élections a fini par m’écarter des urnes européennes. On constate en effet que la fonction de député européen, si elle est incarnée parfois par de pieux et fervent passionnés de la chose, représente pour la plupart une sorte de récompense octroyée à quelques cadres des partis politiques pour les remercier de leur dévouement au parti et bien souvent, leur donner une place d’élu lorsqu’ils ont été balayés dans un scrutin national. Comme si la chose politique était une succursale de la Française des jeux. Une chance au tirage législatif, une chance au grattage européen. Et moi, citoyen, je commence à avoir quelques démangeaisons et je vais aller me gratter le 7 juin. Ces élections sont donc pour une bonne part dévoyées et moi, citoyen d’une démocratie, je demande aux politiques d’être exemplaires, ou du moins, de s’efforcer de l’être. Quel spectacle calamiteux que celui donné par une future ex ministre de la Justice découvrant l’Europe en ricanant et parachutée au Parlement en guise d’emploi de reclassement après un passage controversé et agité dans le gouvernement Fillon. Un emploi à plus de 10 000 euros par mois, avantages en plus. Un Parlement occupé par des reclassés finit par être déclassé. Et déconsidéré par les citoyens. Qui du reste en ont marre de se faire choper pour quelques mots lancés dans la rue ou sur le Net. Alors que ce jeudi chez Arlette Chabot, un mémorable pugilat opposa deux gosses dans une cours d’école se disputant une troisième place. Plus généralement, le débat a été non pas passionné mais musclé, théâtral dans ses piques de comptoir, entre crêpage de chignon et combat de coq. Moi qui suit un peu l’actualité, je n’ai rien compris sur les enjeux, sur qui a voté quelle directive qui va dans un sens libéral ou social, le smic et les délocalisations… et quoi de plus consternant que de voir ces élections détournées par des partis politiques français en quête d’un reclassement, d’un réajustement sur l’échiquier, aux côtés du roi UMP et de la reine PS, qui seront les deux fous et les deux tours ? ; bref, un tel spectacle mérite une réponse, l’abstention et ce sera mon dernier mot Jean-Pierre » Jean-Paul, Poitiers.


Bon, voilà donc des arguments tout à fait recevables. Le propre d’une démocratie est d’élire avec consentement et clarté des représentants, au même titre que les économistes escomptent un fonctionnement « sain » du marché quand les agents sont rationnels. Dira-t-on qu’un consommateur boude un mauvais produit alors qu’un électeur sanctionne un programme qu’il juge préjudiciable à son pays ? Ira-t-on jusqu’à légitimer carrément la sanction d’un scrutin par l’abstention ? Sans doute que oui du moment que les arguments sont recevables. Jean-François de Sedan nous a envoyé ce petit texte.


« L’Europe, c’est une bonne idée à la base. Une idée qui a permis aux nations européennes de se parler, d’échanger leur culture, de commercer et surtout, de rester en paix. Mais les nations, comme les hommes, savent y faire pour défendre leurs intérêts et jouer perso. Surtout quand l’économie donne des signes de ralentissement. Reconnaissons à l’euro un effet positif dans la crise actuelle. Mais soyons lucide, il y a l’envers de la médaille. Le bon côté fut d’éviter aux nations de répliquer dans la panique de la crise financière par des dévaluations. Un tel désordre eut été préjudiciable au commerce intra européen. Par contre, l’Europe donne les signes d’un colosse aux pieds d’argile. La croissance faiblit et le chômage augmente. L’Europe par la preuve, pour parler comme sainte Ségolène, est pour l’instant une Europe qui ne fait pas ses preuves et s’enfonce dans un marasme social pas très comestible pour un citoyen épris de justice économique. Alors une question vient à l’esprit. N’y a-t-il pas dans cette Europe un ensemble de vices de fabrication ? Avec en plus, un problème d’identité et d’espérance, traduit dans les cénacles intellectuels par une longue mélancolie depuis la chute du mur. Quelle Europe nous propose-t-on ? Les uns lancent des incantations sur l’Europe sociale qui en fait, est un concept vide et si c’est un programme, il ne tourne pas. Les lignes sont ou bien mal écrites, ou bien pas exécutables. Rien ne permet de penser que le traité de Lisbonne va éclaircir la situation. Je pense même le contraire. C’est flou, opaque et mon intime conviction et que cette Europe sert surtout une oligarchie. Les vraies questions ne sont pas mises sur la table. Quant à la taxe carbone et à la mission européenne contre le réchauffement, c’est une bonne farce et ma foi, Al Gore a bien joué de sa propagande. L’Europe écologique, c’est une bêtise. Ne pas voter, c’est faire acte de vérité philosophique, droit dans les yeux, contemplant au loin le soleil de juin et le bout de ma canne à pêche, je m’adresse à la classe politique pour leur signifier que je ne crois pas à l’Europe telle qu’elle se construit depuis dix ans ou plus. Mais comme l’Europe est un fait accompli, elle doit poursuivre sa course ; sans mon assentiment de citoyen. Un croyant qui a perdu la foi ne va plus à l’Eglise, un citoyen qui ne croit plus en la politique européenne ne va pas aux urnes. Rien cependant ne s’oppose, dans l’absolu, à ce qu’un théologien puisse redonner la foi aux fidèles et pareillement pour la politique européenne » Jean-François, Sedan


Je remercie nos trois citoyens pour avoir exposé leurs motivations de non vote. Non sans relever que l’homme politique le plus populaire en Europe ces 5 et 6 juin, ce sera Obama. Au fait, est-ce qu’il y a une liste Obama pour voter ?



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