Oui à la poursuite des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne !
par Frédéric Dalmas
jeudi 19 avril 2007
Cet article vient en réponse de celui de Gérald Cursoux publié sur ce site, très hostile à toute idée d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Les adversaires de l’intégration de la Turquie n’ont guère qu’un seul argument pour s’opposer à cette idée : la Turquie est un pays dont la culture est trop différente de celle des autres pays européens. Souvent, cette affirmation a pour signification véritable que la Turquie est un pays musulman et que la religion musulmane est difficilement compatible avec notre culture européenne. Pourtant, de nombreux musulmans (et de nombreux Turcs) vivent déjà dans l’Union européenne.
Mais cet argument est de toute façon fallacieux vu que la Turquie, certes à majorité musulmane, est un pays laïque, contrairement à la Pologne par exemple, où la prière est obligatoire dans les écoles. Comme le fait remarquer très justement Thierry de Montbrial, le directeur de l’IFRI (Institut français des relations internationales) dans son remarquable ouvrage Quinze ans qui bouleversèrent le monde, la Turquie a fait, avec Mustapha Kemal Atatürk, le choix de l’Europe et de la laïcité et a entrepris de démontrer qu’islam et modernité n’étaient pas nécessairement incompatibles. Et ce mouvement se poursuit de nos jours. L’arrivée au pouvoir, en 2002, du parti islamiste réformé, le Parti de la justice et du développement de Recep Tayyip Erdogan, n’a pas inversé la tendance ; il se reconnaît davantage comme le tenant d’une « démocratie musulmane » que comme un parti religieux.
D’autre part, il est évident que la diversité culturelle est synonyme de richesse ; accepter la Turquie dans l’Union européenne ce serait intégrer un regard différent du nôtre sur le monde, afin de mieux le comprendre et donc mieux intervenir pour le transformer. Ce serait aussi accompagner le passage de l’islam vers la modernité car, comme toute religion, c’est dans un espace démocratique qu’il aura plus de chances de parvenir à se soustraire au joug de la tentation extrémiste.
Et voici qu’apparaît une troisième raison d’accepter la Turquie dans l’Union européenne : le développement de la démocratie dans le pays. En effet ce pays, qui ne respecte pas toujours les droits de l’homme et où l’armée a beaucoup trop de pouvoir, se trouvera obligé, s’il veut vraiment entrer dans l’Union, de satisfaire aux critères de Copenhague, donc d’évoluer vers plus de démocratie.
D’autre part, une fois la Turquie intégrée dans l’Union, le problème kurde pourra peut-être enfin être résolu, ce qui serait une bonne occasion pour l’Union de démontrer sa capacité à résoudre les crises, de manière pacifique si possible. Certains diront que l’Union risque d’éprouver des difficultés à avoir des frontières communes avec l’Irak ou l’Iran, certes, mais il est un peu trop facile, voire hypocrite, d’affirmer vouloir faire de l’Union européenne un promoteur de la paix dans le monde, tout en refusant de mettre vraiment les mains dans le cambouis, préférant s’isoler du reste du monde. Cette intégration permettrait également de régler le conflit gréco-turc autour de Chypre.
Le dernier argument que l’on peut avancer en faveur de l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne est d’ordre économique. En effet, il se trouve qu’un oléoduc est actuellement en construction qui doit relier Bakou, en Azerbaïdjan aux côtes turques, afin d’acheminer vers la Méditerranée le pétrole de la mer Caspienne. Que l’Europe contrôle cet oléoduc serait un moyen pour elle, dans l’avenir, de faire pression sur les Etats-Unis afin qu’ils freinent leurs ardeurs au cas où ils envisagent d’intervenir militairement en Asie centrale, dans le but de s’assurer le contrôle des gisements de pétrole de la région. Objectif qui serait évidemment masqué derrière l’excuse habituelle de lutte contre le terrorisme islamiste ; de nombreux mouvements fondamentalistes profitent des difficultés économiques de la région et des frustrations de populations pressurées par des régimes autoritaires, pour y étendre leur influence. D’ailleurs les Etats-Unis ont déjà commencé à installer leurs pions en installant des bases militaires dans certains pays. D’autre part, les risques de tensions ethniques pourraient également fournir aux Etats-Unis l’excuse d’une intervention « humanitaire ».
Pour parvenir à calmer l’ardeur américaine, l’Europe pourrait s’associer à la Russie et à la Chine, qui ont également des intérêts dans la région et qui ont d’ailleurs signé, en 1996, un accord de coopération militaire avec trois pays d’Asie Centrale : Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan ; les Etats- Unis, eux, étant plutôt présents en Ouzbékistan, au Turkménistan du dictateur Niazov et en Afghanistan, sans oublier les liens qu’ils entretiennent, au nom de la lutte contre le terrorisme, avec le régime autoritaire du général Moucharaf au Pakistan.
On voit que les perspectives ouvertes par l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sont vastes ; elles pourraient même aller jusqu’à permettre d’éviter un embrasement de l’Asie centrale en cas d’intervention américaine. Voilà de nombreuses raisons pour lesquelles il me semble une bonne chose d’accepter à terme, la Turquie dans l’Union européenne.
En ce qui concerne la question arménienne, comme le dit André Kehayan, Marseillais d’origine arménienne favorable à une réconciliation Arméniens / Turcs, il faut distinguer les Arméniens d’Arménie et de Turquie, qui sont plutôt favorables à l’adhésion, et la diaspora, qui en France est très hostile aux Turcs. Dans cette question, je pense que les Arméniens d’Arménie et de Turquie ont plus de légitimité que ceux qui vivent en France sur la question de l’adhésion.