Pays scandinaves et faux-semblants

par RealScandinavie
mercredi 27 juin 2018

Pays les plus heureux, les plus compétitifs, les plus agréables à vivre, où les inégalités hommes femmes sont les plus faibles… A chaque classement établi, les pays scandinaves font rêver. Au-delà des chiffres, c’est une façon de vivre qui est plébiscitée, un modèle social bâti sur une grande tolérance et une redistribution des richesses prédominante. Cependant, de plus en plus de voix s’élèvent pour appeler à un changement de cap, dénonçant un système usé par les excès qui faisaient hier sa force : l’égalité et la solidarité. A cette contestation d’ordre idéologique, s’ajoute un rapport de 2014 du Boston Consulting Group (BCG) pointant des faiblesses d’ordre économiques. Alors, malgré les bons résultats apparents, les pays scandinaves sont-ils si remarquables ?

Egalité, confiance, collaboration : un credo et des résultats qui laissent rêveur

Selon Helle Thorning-Schmidt, première ministre sociale-démocrate du Danemark, le modèle nordique repose sur trois fondamentaux : « l’égalité, la confiance et la collaboration ». Cette égalité se traduit aujourd’hui par une forte redistribution des richesses : en Scandinavie, les dépenses de l’Etat représentent ainsi 56% du PIB en moyenne, contre 47% pour la Belgique et l’Allemagne et seulement 32% aux Etats-Unis. Ces fortes redistributions permettent par ricochet de créer un climat de confiance en ôtant la peur du chômage ou de fonder une famille. Enfin, la collaboration se traduit dans la sphère politique, avec une tradition du consensus qui permet de gouverner de façon collégiale, bien que cela s’apparente parfois à un jeu d’équilibriste fragile.

Puisqu’il est ici question de rêve, admirons tout d’abord quelques données, en commençant par l’économie. Selon le rapport de compétitivité globale 2014-2015 réalisé à l’occasion du forum économique mondial (FEM), les pays scandinaves trustent effectivement les premières places. La Norvège arrive ainsi en deuxième position en termes de PIB par habitant, suivie par le Danemark (6ème) et la Suède (7ème). La Finlande et l’Islande ferment la marche aux 14ème et 16ème places. Pas mal pour un pays ruiné par la crise en 2008… A titre de comparaison, la Belgique et l’Allemagne sont juste derrière.

De même, les chiffres témoignent de la confiance comme étant l’un des trois piliers de la société scandinave. Toujours selon les données du FEM, les populations norvégienne et finlandaise accorderaient ainsi une grande confiance à leur classe politique, avec une note moyenne de 5,8 sur 7, loin devant la France et l’Italie par exemple (3,5 et 1,7…). Une confiance qui s’applique également à la justice puisque la Finlande, le Danemark et la Norvège font partie des quatre pays estimant le plus leur justice comme indépendante de pressions, que ce soit aussi bien de la part du gouvernement, de la société ou des entreprises.

Le but ici n’est pas d’assommer avec des classements et des statistiques en tous genres (il y en a beaucoup d’autres !) mais bien de montrer qu’aujourd’hui, s’il fallait dresser un portrait de la Scandinavie, il serait élogieux. Elogieux certes, mais incomplet. Car à la différence d’un portrait couché sur une toile, celui d’un pays est en perpétuel mouvement. Et la présence d’une multitude de signaux indique que la situation en Scandinavie n’est pas aussi idyllique que les données veulent bien le montrer.

Un modèle économique à bout de souffle ?

« Si les pays nordiques étaient des entreprises, ils auraient besoin d’une transformation. Quant au Danemark et à la Finlande, ils auraient besoin d’un redressement ». Cette remarque cinglante est signée Lars Faeste, directeur Europe du Nord du BCG, l’un des cabinets d’audits les plus prestigieux au monde. En 2014, le BCG a publié un rapport d’une quarantaine de pages intitulé Nordic Agenda : transforming for the next wave of success. Estimant que les pays nordiques ont atteint une sorte de suffisance, les auteurs du rapport dressent quatre grandes faiblesses auxquelles il s’agit impérativement de trouver des solutions dans les années à venir.

1. La perte de compétitivité. Certes, la compétitivité est aujourd’hui bonne, voire très bonne, mais la tendance est inquiétante. L’augmentation des coûts de production (en Norvège, les salaires ont augmenté de 63% depuis 2000) entraine une hausse des prix qui rebute de plus en plus de clients. Le directeur de Kvaerner, une entreprise spécialisée dans la construction de plateformes pétrolières offshore, partage ce constat. Il estime ses coûts supérieurs de 15% à ceux de la concurrence et évoque une incapacité à « compenser par la qualité ». BCG estime que depuis 2006 la compétitivité des pays nordiques baisse par rapport à celle de ses principaux concurrents (les pays industrialisés).

2. La productivité qui augmente trop lentement. Selon le rapport du BCG, environ 900 000 emplois manufacturiers ont disparu au profit des services depuis les années 1980.

3. La prédominance du secteur public. Le secteur public représente de 23% de l’activité en Finlande à 31% en Norvège, quand la moyenne de l’OCDE se situe aux alentours de 15%. Cette prédominance réduirait la mise en compétition des entreprises et, par conséquent, la recherche d’efficacité et de compétitivité. A cela s’ajoute le manque d’investissement : ainsi, pour chaque euro de prestation sociale, les pays nordiques ne dépenseraient que 10 à 20 centimes pour préparer l’avenir, contre 30 au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.

4. Le vieillissement de la population, qui va créer à terme des problèmes pour financer le généreux système de retraite. Il s’agit là d’un mal récurrent des pays européens : la durée de vie s’allonge, la génération baby-boom devient celle du papy-boom et le nombre d’heures travaillées par chacun est trop faible pour équilibrer les comptes.

Alors que les deux premiers points traitent strictement d’économie, les deux autres sont étroitement liés à l’aspect social et donc à l’identité des pays scandinaves. Le BCG préconise dix solutions pour redresser la barre. Si certaines sont éculées (attirer les talents du monde entier, inciter les citoyens à travailler…), l’une d’elle dénote : réduire la part des dépenses publiques dans le PIB de 3 à 9 points. Autrement dit « déscandinaviser » quelque peu le système.

La question de l’immigration divise de plus en plus

Comme souvent dans les pays démocratiques, la manière la plus facile d’identifier la défiance vis-à-vis du système est d’observer la montée de ses extrêmes. Dans leur ligne de mire, et il s’agit là d’un point commun à l’extrême droite des quatre pays (qui divergent sur d’autres questions, comme les allocations) : l’immigration. Les nordiques se sont toujours voulus accueillants, au point, peut-être, de se laisser dépasser. En témoigne par exemple la ghettoïsation des banlieues de Malmö en Suède. Si la capacité effective d’intégration est un problème, le véritable risque est l’incapacité (voire l’autisme) des Scandinaves lorsqu’il s’agit d’évoquer le sujet. Et l’extrême droite a su profiter du (non-)débat pour réaliser une percée.

Il s’agit là d’un fait : la population s’interroge sur l’immigration et seule une frange de l’échiquier politique ose en parler et en profite. Partout, les résultats des élections sont la preuve que cette stratégie paye : de 4% en 2007, le parti des Vrais Finlandais est passé à 19% en 2011 ; en dix ans, les Démocrates Suédois sont passés de 1,4 à 12,9% ; Au Danemark, le Parti Populaire est devenu le premier parti aux européennes (26,6%) et devrait continuer sur sa lancée. Seule l’extrême droite norvégienne connait une stagnation.

Un système éducatif peu efficace, une armée qui n’a pas les moyens de l’être

Bien entendu les problématiques sociales ne se limitent pas à la simple capacité d’intégration. Il y a aussi le problème du vieillissement, déjà évoqué, et celui de l’éducation. En quelque sorte chantres de l’ « enfant-roi », les pays scandinaves dépensent de plus en plus pour l’éducation de leurs générations futures. En 2010, les pays de l’UE dépensaient en moyenne 5,4% de leur PIB pour l’éducation, contre 7,3% en Scandinavie. Si certains observateurs admirent ce système, les résultats sont pourtant loin d’être excellents :

Dernier point qu’il semble important d’évoquer, bien qu’il concerne plus la Suède et la Norvège que la Scandinavie dans son ensemble : la question de la défense. Depuis la fin de la guerre froide, ces deux pays ont en partie financé leurs réformes sociales en réduisant la voilure côté dépenses militaires. De 51 000 personnes en 1990, l’armée norvégienne n’en emploie plus que 21 000. Quant au budget militaire suédois, sa part dans le PIB a été réduite de moitié. Face à la grogne des états-majors, et à la crainte des populations (notamment vis-à-vis de la Russie), les budgets sont désormais réévalués à la hausse. Il faut dire qu’en janvier 2013, le général Sverker Göranson, chef d’état-major suédois, avait jeté un pavé dans la mare en déclarant qu’en cas d’attaque son pays ne serait pas capable de se défendre plus d’une semaine. Comme le résumait alors un responsable politique « la défense ne peut continuer à être utilisée comme une variable de régulation du budget ». Nouvelle preuve que le modèle ne peut pas se réduire qu’aux prestations sociales.

En définitive, il ne s’agit pas de dire que le modèle scandinave est mort, ou qu’il doit changer du tout au tout. Seulement, longtemps idéalisé, il commence aujourd’hui à montrer certaines limites : l’intégration des minorités n’est pas une réussite, les hauts salaires entrainent une baisse de compétitivité, la population vieillit tandis que le nombre d’heures travaillées à tendance à diminuer. Enfin, l’éducation, qui ponctionne une part importante du budget, ne donne pas les résultats escomptés. Il s’agit toutefois de relativiser ces critiques, qui restent des problèmes de riches. La Scandinavie est une région prospère où patronat, syndicats et politiques collaborent étroitement, ce qui devrait permettre de trouver des solutions à des problèmes désormais identifiés et de moins en moins tabous.


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