Politique économique suicidaire

par Michel Koutouzis
mardi 29 juin 2010

Ce n’est pas Mélenchon qui le dit, c’est le très respecté Eurostat. D’après l’organisme des statistiques de l’UE, l’impôt sur le travail est en moyenne de 40%, et celui sur le capital de 20%. Entre les deux, les entrées fiscales dues à la consommation (25%). Ceux qui pensent que le capital en France est surimposé se trompent : la Grande Bretagne (45,9) et le Danemark (43,1) par exemple viennent bien avant la France (38,8). Quant à la Grèce, « il n’existe pas de statistiques fiables sur l’imposition du capital » selon Eurostat. Le même organisme constate : plus l’imposition du travail est élevée et moins les entrées sont importantes : en Grèce elles ne sont que 32,6 du BIB à comparer à la moyenne européenne de 39,7. En d’autres termes, en surimposant le travail et en sous - imposant le capital, les entrées sur l’imposition de la consommation s’affaiblissent drastiquement : en Espagne par exemple elles ne sont plus que de 14,1, en Grèce de 15,1 et en Italie de 16,4. Par contre au Danemark (32,4) ou en Suède (28,4) elles sont bien au dessus de la moyenne (21,5) en 2009. 

La moyenne européenne en 2009 pour l’imposition du capital (26,1) se situe bien en dessus de la France. Pourquoi ? A cause des pays baltes (Estonie, 10,7%, Lituanie 12,4%), de l’Irlande (15,7%) - qui est proche désormais de la faillite -, ou la Bulgarie (10%). 

Les pays imposant le plus fortement le travail sont l’Italie (42%) la Belgique et la Hongrie (42,4), tous trois désormais en très mauvaise situation en ce qui concerne leur endettement et se situant en bas de l’échelle de l’imposition du capital. Malte et Chypre, s’en portent nettement mieux, ayant une imposition équilibrée entre le capital et le travail, le moins imposé en Europe (20% et 24% respectivement). Mais ils ont d’autres ressources, moins respectables, tenant le rôle d’offshore européennes (dont tout le monde profite, à commencer par les citoyens européens qui y délocalisent leur résidence).

La surimposition du travail par rapport au capital était en partie résorbée, dans la plus part des pays européens dits de « la vieille Europe », par ce que communément on appelle l’Etat Providence. Or, ce dernier, surendetté, exprime une volonté politique de faire des économies drastiques. Il arrivera un moment, comme en Grèce, ou le citoyen se demandera à quoi ça sert de payer des impôts si les services (santé, éducation, transports, poste, par exemple) deviennent de plus en plus défaillants. Face à une contestation généralisée, l’Etat deviendra impuissant, aussi impuissant que les coupes franches qu’il se fait à lui même (administration, police, gestion des territoires, etc.) seront importantes. Quand aux nouveaux venus, qui se désignent, par une sous imposition du capital, comme des eldorados pour les investisseurs et les « délocalisateurs », ils sont déjà en situation de cessation de paiement et ne doivent leurs infrastructures qu’aux investissements massifs de l’UE, qui ne garantissent ni leur pérennité ni leur fonctionnement. Quant aux services de l’Etat, pléthoriques par le passé communiste, ils se paupérisent et sont en manque de « budgets de fonctionnement » ce qui rend aléatoire l’attractivité de nouveaux capitaux privés pérennes et stimule l’économie parallèle voire criminelle, dont on espérait, naïvement, la disparition. Le renouveau du sentiment nationaliste et anti européen que l’on constate aujourd’hui (Pologne, Tchéquie, Hongrie, Roumanie, etc.) n’a plus la même signification (atlantiste) qu’il y a dix ans. C’est bien les espoirs déçus et le lent remplacement des « subventions » par des « obligations », qui les nourrissent. 

Dans l’ensemble de l’UE, le sentiment qu’une partie importante des capitaux du « marché » non seulement échappent à la justice fiscale mais en plus sont à l’origine de la frilosité des Etats et du chantage que l’on fait pour les amener à plus de « rigueur économique » génère un sentiment d’injustice et de mal gouvernance, et surtout de suspicion envers l’Etat mis à mal par le Marché qu’il a pourtant sauvé.

Même si ce sentiment est parfois injuste, il nourrit des lendemains difficiles. En Italie, la dette (115% du PIB) revient niveau d’avant la rentrée de ce pays dans la zone euro (1998). En Grèce, un tiers des commerces prévoit une fermeture définitive d’ici un an. Des millions d’habitations nouvellement construites en Espagne restent invendues. Le président de la banque centrale hongroise Andras Simor doit se défendre des accusations d’être propriétaire d’une banque offshore à Chypre. A Bucarest, le prix des appartements a baissé de 30% en quelques mois, la TVA a été augmentée de 19 à 24% afin d’obtenir un prêt du FMI, la Cour constitutionnelle ayant rejeté la baisse de 15% des retraites.. 

Comme le disait très justement à la « Tribune de Genève » Charles Wyploz « mener aujourd’hui une politique de restriction budgétaire n’a aucun sens ». Paul Krugman le dit encore mieux : « il s’agit d’une politique suicidaire ».


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