Pour construire une Europe fédérale, arrêtons d’avoir peur du Traité Européen

par Hugo Zylberberg
mardi 9 octobre 2012

Transformer A Gauche, un courant du MJS - majoritaire depuis si longtemps qu’on ne se souvient plus de ses prédécesseurs - a publié le 1er octobre un texte contre le Traité de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance intitulé "le TSCG ou l'aboutissement de l'Europe néolibérale" qui avance deux arguments principaux. D'un point de vue démocratique, ce traité entérinerait un gouvernement des juges en soumettant le pouvoir législatif national au pouvoir judiciaire européen et, d'un point de vue économique, il abolirait le keynésianisme en interdisant aux Etats de mener des politiques contra-cycliques et en leur enlevant les outils d'action de la politique européenne.

Ces deux arguments ne tiennent pas debout et soulèvent une question plus fondamentale sur laquelle le texte de TAG fait l'impasse : quand accepterons-nous que nous ne construisons pas l'Europe seuls et qu'il faut dépasser les clivages politiques pour faire adopter des textes qui feront avancer la construction européenne tout en conservant la possibilité d'une interprétation différente lorsque la gauche sera majoritaire au niveau européen ?

Intéressons-nous d'abord à l'argument démocratique : dès le deuxième paragraphe, TAG estime que ce Traité acterait la "soumission du politique au pouvoir des juges de la Cour de Justice Européenne". Cette Cour aurait autorité sur les "sanctions financières aux Etats qui n'auront pas respecté les termes du TSCG" et ce serait donc la "fin de la séparation des pouvoirs".
 
Comment peut-on s'imaginer faire respecter un Traité si l'on ne met pas en place des sanctions qui s'appliqueraient à ceux qui ne le respecteraient pas ? Prévoir des sanctions lorsqu'on édicte des règles est une obligation démocratique ; ne pas en prévoir, c'est laisser aux plus puissants la possibilité de dévier tout en contraignant les moins puissants à les respecter à la règle. C'est donc bel et bien un acte démocratique que de prévoir des mécanismes de sanction, pour mettre tout le monde au même niveau face à une autorité ayant compétence à les condamner. Et quelle autre autorité que celle dont l'Europe s'est elle même dotée, la Cour de Justice de l'Union Européenne ?
 
Il ne s'agit pas de gouvernement des juges, mais bien d'un Traité sur lequel les contractants s'engagent. Si TAG ne veut rien de plus qu’une déclaration de principe, qu’ils considèrent le manque d’impact du protocole de Kyoto sur la politique environnementale mondiale, précisément à cause de l’absence de telles dispositions contraignantes.
 
Ce mécanisme de sanction n'est d’ailleurs rien de plus que la prolongation du dispositif déjà existant dans le cadre du Pacte de Stabilité et de Croissance. Il suffit de compter les sanctions prononcées dans ce cadre - aucune - pour se rendre compte que les mécanismes du pouvoir européen évitent à tout prix de passer par une sanction financière pour les Etats membres. Rappelons également que depuis l’adoption en 2001 de la Loi Organique relatives aux Lois de Finances, le gouvernement propose désormais des lois de finances publiques contraignantes et soumises à la certification de la Cour des Comptes chaque année. L’Etat français ne fait pas des budgets en l’air : il s’engage devant le Parlement à les respecter !
Refuser que ce Traité soit contraignant, n’est-ce pas refuser, au nom d’un souverainisme qui se cache, l'idée même d'un contrat entre les Etats membres et l'Union Européenne, qui serait pourtant à la base d'une Europe fédérale opérationnelle ?
 
Le TSCG n’est pas un "obstacle supplémentaire à la construction d'une Europe fédérale" mais bel et bien une pierre de plus sur laquelle bâtir demain cette Europe que nous appelons tous de nos vœux.
 
Sur le plan économique ensuite, signer un tel Traité contenant des mesures contraignantes aura d’emblée une influence positive importante sur les marchés financiers. Parmi les premières notions que l’on apprend en macroéconomie figure en effet celle d’anticipation rationnelle des agents : si les agents anticipent que les Etats vont dépasser la dette maximale qu’ils se sont fixée, le marché va naturellement leur fixer des taux d’intérêt plus élevés. S’ils prennent des dispositions les contraignant à respecter leurs engagements, ces mêmes taux d’intérêt vont naturellement baisser et accélérer la sortie de la crise de la dette en Europe.
 
Voulons-nous sortir de la crise ou bien défendre à tout prix une souveraineté qui coûterait plusieurs dizaines de milliards d’euros pour une dette publique dépassant déjà 1500 millards d’euros ?
 
Selon TAG, ce Traité acterait également la “désappropriation pour la souveraineté nationale ou européenne des outils que sont la politique monétaire et budgétaire”. Pourraient-ils imaginer que dans une Europe fédérale aboutie, les politiques monétaires et budgétaires soient décidées à un niveau national ? La dynamique entamée par la création d’une Banque Centrale Européenne forcément indépendante - c’est la base de sa crédibilité - doit être poursuivie par des règles qui constitueront demain la base de l’adoption à un niveau européen d’un budget global. Assainir les finances publiques de chaque État et s’engager sur des objectifs contraignants mais raisonnables est le socle d’une confiance mutuelle qui conduira à la création d’une politique économique - voire de l’impôt européen que nous voulons tous mettre en oeuvre.
 
Par ailleurs, si “dans les calculs de la Commission, le déficit structurel prend en compte les dépenses de relance de l’économie”, quelle est la différence avec la notion de déficit réel ? Évidemment, la notion de solde structurel ne prend en compte aucune des dépenses temporaires liées à la conjoncture, c’est la raison d’être de cet indicateur.
 
Quant à l’affirmation que le Traité “porte en lui l’abolition du keynésianisme”, il faudrait déjà se demander si la France ou l’Europe ont déjà mené jusqu’au bout une politique keynésienne. Le keynésianisme consiste, à l’instar de la Fourmi, à mettre en place des politiques contracycliques à la fois quand la conjoncture est positive (en économisant de l’argent) et quand celle-ci est négative (c’est à ce moment-là que l’on peut dépenser de l’argent pour relancer l’économie). Se déclarer keynésien lorsque la conjoncture est mauvaise, c’est la partie facile ; mener une politique keynésienne en épargnant alors que la croissance est au plus haut, là se situe le noeud du problème. Lors de notre dernière période de croissance, la France n’a pas su mener de réelle politique keynésienne et nous en payons aujourd’hui les conséquences. Afin de pouvoir se poser la question lors de la prochaine période de croissance, il faut dès aujourd’hui se poser la priorité d’une réduction des déficits afin que les prochaines recettes de l’Etat servent à créer des fonds de secours et non à combler le trou béant laissé par les périodes de crise.
 
Pour élargir le débat, la question n’est pas de savoir si l’on veut plus ou moins d’Europe. Dans l’état actuel des finances, la construction européenne est mise en péril par une crise de la dette des Etats et l’absence de réaction pousserait l’Europe dans un cul-de-sac dont la fin de l’Euro serait la seule issue.
 
En regardant dans le rétroviseur, un des tournants de cette crise aura sans doute été l’intervention fin juillet de Mario Draghi affirmant que la BCE était “prête à tout faire pour préserver l’euro”, avant d’ajouter : “et ce sera, croyez-moi, suffisant”. Cette petite phrase s’est traduite en actes le 6 septembre lorsqu’il a annoncé son plan de rachat illimité d’obligations d’Etats de 1 à 3 ans et la situation s’est largement détendue depuis, ce qui a permis de passer à la phase suivante, celle de ratification du Traité Européen.
 
Si la France, comme cela avait été le cas en 2005, manque à nouveau à l’appel, ce sera sans doute le début d’une nouvelle crise, plus grave encore puisqu’on aura envoyé aux marchés le message que la France n’est pas prête à s’engager sur une politique durable de réduction des déficits.
 
Exercer le pouvoir exige de savoir faire des compromis. François Hollande a choisi de soutenir la ratification de cet Traité et il nous semble qu’il nous appartient de le soutenir dans sa démarche.
 
Nous avons un président de gauche depuis 5 mois ; il est temps pour chacun de mesurer ces responsabilités. Sur un point aussi capital que le Traité Européen, est-il l’heure de se désolidariser de la majorité présidentielle ou celle de continuer à soutenir l’action du Président de la République ?
 
Le TSCG est l’aboutissement de la réflexion partie du “non” de 2005. Refuser à nouveau de ratifier ce Traité, c’est entériner l’immobilisme de l’Europe pour encore 6 ans, immobilisme auquel l’euro ne survivra probablement pas.
 
Ce Traité n’est ni un pas à gauche ni un pas à droite. C’est un pas vers l’avant, et l’Europe en a bien besoin.

Hugo Zylberberg et Maxime Gfeller

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