Pourquoi accepter le nouveau défaut Grec à venir
par Laurent Herblay
lundi 22 juin 2015
Le papier de samedi sur les trois scénarii de sortie de la Grèce de la zone euro a déclenché un débat dans les commentaires sur le nouveau défaut que cela impliquerait pour Athènes, et sur le caractère étonnant qu’un souverainiste soutienne une issue qui coûterait cher aux contribuables. Explications.
Retour sur les premiers défauts
D’abord, comme l’a souligné un autre commentateur, un prêt implique deux parties et un créancier porte une part de responsabilité dans la capacité de l’emprunteur de pouvoir rembourser ou pas les sommes qu’il lui a prêtées. Sans nier certains dysfonctionnements, auxquels Alexis Tsipras semble s’attaquer, il ne faut pas oublier plusieurs faits. D’abord, l’entrée d’Athènes dans la zone euro a été obtenue par le maquillage de ses comptes par Goldman Sachs et l’œil complaisant de toute l’Europe. Ensuite, l’entrée dans l’euro a provoqué un effondrement des taux auxquels la Grèce empruntait, générant une manne contre-productive : après tout, si les marchés prêtaient à bas coût, pourquoi changer ?
Ensuite, même si les taux payés par la Grèce avaient beaucoup baissé, ils restaient supérieurs aux taux que rapportait la dette allemande. En absence théorique de risque de change, ce décalage était une forme de prime de risque. Et on ne peut pas avoir le beurre (des taux plus élevés) et l’argent du beurre (aucun risque de défaut). En somme, les pertes qu’ont essuyées les banques privées étaient justifiées. Et on peut penser qu’elles auraient perdu encore plus si les Etats européens et le FMI n’avaient pas pris le relais pour refinancer la dette grecque. Enfin, il faut rappeler que nous étions nombreux à dire que le plan de 2012 n’était en aucun tenable et qu’Athènes ne pourrait pas rembourser.
Un autre défaut inévitable
Il est bien évident que, dans l’euro, et donc sans capacité directe de monétiser sa dette publique, la Grèce ne pourra pas rembourser les plus de 170% de PIB de dette publique que les plans européens lui ont laissée. Selon les scénarii jamais réalisés de la troïka, ce serait aussi difficile qu’inhumain (Joseph Stiglitz avait comparé le plan de début 2012 à « la pratique de la saignée dans la médecine médiévale »). Alors, dans la réalité, c’est juste impossible, et de facto encore plus inhumain. Pour relancer son économie en mettant fin à la saignée sociale, la seule solution est la sortie de l’euro, une dévaluation, et un défaut partiel sur la dette. A minima, il faudrait que la dette soit redénominée en drachmes, sachant que le Japon montre qu’avec l’appui de la banque centrale, un tel niveau est gérable.
Bien sûr, cela représenterait sans doute une décote d’environ 50%. Déjà, certains évoquent le coût que pourrait avoir un tel scénario pour la France : 68 milliards d’euros, 11 au titre du plan de 2010, 31 au titre de celui de 2012, et 26 au titre des créances détenues par la BCE. Mais il n’est pas inutile de noter que ce chiffre est une estimation haute. Après tout, la BCE pouvant créer de la monnaie, elle pourrait effacer la créance de la Grèce sans coût pour les autres pays européens. Ensuite, la Grèce ne fera peut-être pas un défaut complet. Une décote de 50% représenterait 21 milliards, soit 1% de la dette publique totale, une somme qui pourrait être oubliée si la banque centrale monétisait.
Accepter cela n’a rien de contradictoire avec le souverainisme. Y être attaché impose de respecter celle des autres pays, comme le Général de Gaulle. Il convient donc de respecter le choix de la Grèce. La manière du FN de traiter ce sujet est particulièrement révélatrice, car il perd son masque social et celui de sérieux qu’il veut se donner en réclamant un remboursement impossible et inhumain : « ne pas rembourser le principal de sa dette est un risque de réputation inacceptable et rembourser est un devoir éthique pour un état de droit ». Ce faisant, le FN démontre un raisonnement à courte vue mais aussi un souverainisme bien perméable à la pensée néolibérale austéritaire sur la dette…
Le moment de vérité approche. Comme le note Romaric Godin, « les créanciers ont utilisé le bank run dans la négociation ». Dans quelques jours, nous saurons si Alexis Tsipras bluffait ou pas et s’il place le mandat démocratique qu’il a reçu avant tout. Après tout, l’Argentine a montré la voie à suivre en 2002.