Pourquoi l’Occident doit asservir la Russie

par Laurent Courtois
mercredi 21 février 2018

Depuis bientôt un quart de siècle, les fonds de pension sont devenus les acteurs-clés de l'accaparement des terres agricoles. Aujourd'hui, leurs appétits se focalisent sur l'Ukraine livrée au pillage par un pronunciamiento. Quel sera l'impact du réchauffement climatique sur ces terres convoitées et quel en sera la prochaine victime ?

Ces dix dernières années ont été marquées par l'augmentation des tensions entre la Russie et l'Occident ou plutôt, les USA et leurs vassaux. Ces tensions sont liées à la renaissance de la Russie post-soviétique, sous l'impulsion de Vladimir Poutine et aux tentatives de mises sous tutelle par les USA des ex-républiques de l'URSS, par le biais des révolutions de couleur. Le paroxysme de cette tension a été atteint avec la guerre civile ukrainienne, née de la pseudo-révolution de la dignité menée par des bandéristes ukrainiens téléguidés depuis l’Amérique du Nord. Peu à peu une nouvelle guerre froide se met en place. A l'image de la précédente qui voulait punir l'URSS de ne pas se plier au capitalisme, elle a pour but de châtier une Russie ne voulant pas céder aux trompettes de la mondialisation. Cette dernière n'est que la forme la plus ultime du capitalisme qui fait du monde un seul et unique marché globalisé, conditionné à consommer la culture américaine. La mondialisation doit donc être considérée avant tout pour ce qu'elle est : un colonialisme culturel.

Selon Marx « qui contrôle la culture, contrôle l'idéologie ». La culture anglo-saxonne doit alors être considérée comme le cheval de Troie de l'hégémonie idéologique des USA. Au centre de la mondialisation se trouve le système économique le plus endetté au monde, qui ne survit que par le modèle du criquet. C'est à dire en ravageant la planète à la recherche de profits. La frénésie d'asservir les pays producteurs de pétrole (Irak puis Libye) et d'en contrôler le transit (Afghanistan et Syrie) a été la principale cause des conflits post-guerre-froide. La mondialisation aidant, les ondes de chocs de ces mises à sac en règle de pays sous couvert d’instauration de la démocratie, se font sentir à des milliers de kilomètres. L'exemple le plus parlant est la crise migratoire de 2015 ou 50 % des migrants proviennent de pays déstabilisés par les USA et l'OTAN (Syrie, Kosovo, Afghanistan, Irak).

Dans ce contexte la Russie doit être asservie puis pillée de ses ressources naturelles, pour permettre au système occidental de survivre. La première richesse de la Russie bien devant la manne pétrolière est sa réserve en terres arables que le réchauffement climatique rendra exploitables dans les prochaines décennies.

La Russie est de part son immensité un formidable réservoir de matières premières. Elle est en effet classée septième pays mondial pour les réserves pétrolières (la première place étant occupée par le Venezuela, on ne s'étonnera donc plus de rien), première pour le gaz naturel, deuxième pour l'eau potable, etc...

La croissance de la population mondiale (2,6 individus par seconde) nécessitera une augmentation de la production agricole de 70% dans les 30 prochaines années. Ce défi agricole sera compliqué par le réchauffement climatique qui fera naître dans le siècle à venir des tensions de plus en plus importantes.

Or les différentes régions du monde ne sont pas égales face aux répercussions du changement climatique, ceci va être illustré par l'étude des cultures de céréales.

La production céréalière en Europe de l'Est est dominée par les RUK (Russie, Ukraine, Kazakhstan). Ces trois pays représentaient en 2016, 13 % de la production mondiale de blé. Cette domination n'est pas due au hasard mais au fait que ces trois pays se partagent la ceinture de tchernoziom européenne. Le tchernoziom (чернозём) ou chernosol est un sol riche en humus. Il est engendré par la végétation (graminae) et le climat de la steppe tempérée eurasienne impropre à la minéralisation de la matière organique par les bactéries.

La Russie est depuis 2016 le premier pays exportateur de blé, L'Ukraine et le Kazakhstan sont respectivement 8éme et 10éme. Le volume total des exportations de ces trois pays représente 1/5 sur le marché mondial. Ces trois pays partagent aussi une histoire commune : la soviétisation et la désoviétisation. Il en résulte une diminution des surfaces agricoles exploitées, un rendement 2/3 inférieur à celui l'UE et des USA.

Le présent article est basé sur un rapport financé par le Ministère de la Culture Française et portera principalement sur la Russie et accessoirement sur l'Ukraine qui cristallise les tensions entre Moscou et l'Occident. Le Kazakhstan bien qu'il soit le principal pays impacté par le réchauffement climatique, ne sera pas traité car il échappera aux convoitises du fait de la future aridité des sols.

Ce dernier travail repose sur deux estimations, une basse (EB) et une haute (EH), de l'augmentation de la température (+2,4° et +4,3°) pour la période de projection 2046-2065. Pour mémoire, la température moyenne en France a augmenté de 1,8° depuis 1960 et celle de la ville de Paris de 2,5° depuis la fin du Second Empire. Il faut aussi avoir à l'esprit que la canicule de 2003 avait entraîné une baisse de 30% de la production céréalière.

Effet d'une augmentation de 4,3° sur le développement agricole des RUK (exemple du blé).

 

 

La Russie est le 3ème pays producteur de blé, le 1er pour le tournesol et le 12ème pour le maïs. Ces productions lui permettent d’être le premier pays exportateur de blé et le second pour l'huile de tournesol. Longtemps considéré comme le grenier à blé de l'URSS, la production ukrainienne ne représente plus que 40% de celle de la Russie. Son rendement stagne depuis près de 50 ans et sa production depuis plus de 20 ans.

 

Si aujourd'hui la Russie est un géant céréalier, n'est-il pas comme les deux autres pays des RUK, potentiellement menacé par le réchauffement climatique ?

Pour la Russie dans l'hypothèse basse (+2,4°), les cultures de blé, de maïs et de tournesol seraient globalement faiblement impactées, les gains compensant en grande partie les pertes. Dans le cas de l’hypothèse haute (+4,6°), les trois cultures devraient être fortement impactées, tout comme dans le reste des RUK, mais ces pertes de terres arables devraient être compensées favorablement par l'entrée en culture des steppes de Sibérie Méridionale. Concernant plus spécifiquement la culture du blé, le réchauffement climatique permettra une remontée plus au nord de la limite de culture ainsi que le remplacement du blé de printemps par du blé d'hiver, ce qui augmentera la productivité.

 

 

Tableau de synthèse des répercussions du réchauffent climatique sur les cultures agricoles des RUK.

(Source citée supra).

 

 

Quels que soient les scénarios climatiques retenus, l’occurrence des années de sécheresse va fortement augmenter et le nombre d’années où le rendement obtenu sera nul ou presque se présentera régulièrement.

 

La Russie a déjà connu en 2010 un été caniculaire, avec des températures de 3 à 5 degrés supérieures à la moyenne ce qui avait entraîné une chute de la production de blé d'environ 30 %. Pour éviter une flambée spéculative des prix, Vladimir Poutine alors Premier Ministre avait interdit les exportations de blé russe. La part de ces dernières dans le marché mondial avait alors chuté de 14 à 3 %, provoquant une flambée des prix de 25 %. Les exportations ne reprirent qu'en juillet 2011.

Il est donc probable que si dans les années futures, la Russie conserve des gouvernements continuant à favoriser les intérêts nationaux au dépend d'une « solidarité internationale », une telle situation devrait se reproduire de plus en plus souvent. En outre, les capacités d'exportations de blé de la Russie suffisent à peine à satisfaire les besoins de ses partenaires des BRICS comprenant deux des quatre premiers pays importateurs de blé (Brésil et Chine).

Il est alors envisageable que dans les prochaines décennies la production céréalière russe échappe totalement à l'Occident. Si on prend en compte sur la même période, les pertes de productivité et de surfaces cultivables en Ukraine et Kazakhstan (voir infra) et l'entrée en culture de surfaces considérables en Russie., il semble inévitable que l'Occident cherche à faire subir à ce pays le sort qu'il a infligé à l'Ukraine. C'est à dire la déstabilisation du pays par l'exacerbation des tensions régionales provoquant la mise en place d'un gouvernement fantoche ayant comme seule fonction de brader les avoirs du pays.

Concernant l'Ukraine, bien que le Président Porochenko souhaite libéraliser le marché foncier, le moratoire sur les ventes de terres agricoles a été reconduit jusqu'en 2018, mais cela ne doit pas cacher la vérité. Par le biais de leasing d'une durée 50 ans est entreprise « une vente massive de terres agricoles ukrainiennes à des groupes agroalimentaires nationaux et internationaux cotés en bourse ». Le fond de pension américain NCH Capitals est le 2éme propriétaire foncier ukrainien avec 450.000 ha. Le groupe Cargill détient 5% de Ukrlandfarming soit 13.400 ha, le groupe Suisse Glencore International contrôle au mimimun 80.000 ha, bien qu'il soit en réalité difficile de connaître les avoirs réels du groupe helvète au sein des 600.000 hectares du géant de l'huile de tournesol ukrainien Kernel. Au total les holdings étrangères contrôlaient en 2015 au minimum 2,2 millions d'hectares .

Le principal objectif des holdings et fonds de pension étant le profit, ces terres sont inéluctablement livrées à la culture OGM, aux intrants et pesticides massifs...

Il n'y a aucun doute qu'une fois le gâteau ukrainien digéré, la Russie devienne le pays le plus convoité pour ses terres agricoles.

 

 

Note : Impact du réchauffement climatique sur l'agriculture ukrainienne.

l'Ukraine a été longtemps considérée comme le grenier à blé de l'URSS, mais actuellement les principales céréales cultivées dans le pays sont le maïs et le tournesol, avec des surfaces représentant respectivement 5 millions d'hectares (Mh), 4,5 Mh et 7,5 Mh.

Sur les 15 dernières années la production du maïs a été multipliée par 10, faisant de l'Ukraine le 3ème exportateur mondial. Pour le tournesol, la production a été multipliée par 5 ces 15 dernières années (les exportations ont été décuplées sur la même période) permettant au pays de devenir le premier exportateur mondial d'huile de tournesol. Il est à noter que la sécession de l'Oblast de Lougansk qui était un des principaux foyers de production n'a pas eu d’impact négatif.

Or, selon la modélisation de la production végétale le rendement du maïs devrait tomber en dessous du seuil de rentabilité vers le milieu du siècle. Dans le cas de l'hypothèse haute (+4,6°), la production de Maïs ukrainien devrait chuter de 50 % (p45). La culture du tournesol, ne devrait pas être impactée par le scénario médian (+2,4°), alors que pour celui extrême la production devrait chuter de 50 %. Sachant le poids économique des exportations céréalières pour le pays, les conséquences seraient catastrophiques. Cela implique que si le pays arrivait à mettre en place les réformes du FMI et à établir une économie saine, ce petit miracle serait aussitôt hypothéqué par une crise agricole majeure.

 


Lire l'article complet, et les commentaires