Pourquoi le président ukrainien démocratiquement élu doit partir

par Camille Kourbas
jeudi 30 janvier 2014

« On peut tromper une fois mille personnes mais on ne peut pas tromper mille fois une personne »

La Cité de la peur

On peut se demander quel chat noir a bien pu passer entre le président Ianoukovitch et son peuple, qui l’a « démocratiquement élu » ? Revenons en arrière pour mieux comprendre ces relations mouvementées.

Viktor Ianoukovitch a été gouverneur de la région de Donetsk avant de devenir premier ministre du président Koutchma. Ensuite, dauphin de ce même Koutchma, il s’est présenté comme le candidat du pouvoir aux élections présidentielles de 2004. En 2004, suite aux événements connus sous le nom de Révolution Orange, Ianoukovitch a été abandonné par les siens et a failli prendre sa retraite politique en 2005. Mais il a été assez courageux (ou malin) pour se reprendre et profiter des querelles du couple Tymochenko-Youchenko.

Il a été porté par ses deux meilleurs ennemis au fauteuil de premier ministre et, en 2010, il a remporté la course présidentielle face à Tymochenko. Cette dernière, entre temps, était devenue un peu trop démagogue aux yeux des Ukrainiens (souvenez-vous de sa campagne électorale autour de Tygryula, elle valait pourtant bien mieux que les posters verts de Yatsenyuk !). Néanmoins, Ianoukovitch a coiffé Tymochenko sur le poteau avec un mince avantage de 3% des voix (49% contre 46%)… qu’on reproche depuis à ceux qui, ont voté blanc, sans vouloir choisir entre les deux maux. Cette marge de 3% et ses 46% de soutien populaire, n’ont pas empêché à Ianoukovitch de mettre Tymochenko en prison.

Il ne semble pourtant pas que c’était la meilleure façon d’apaiser la société ni de rechercher le consensus entre les différentes factions politiques du pays.

Passons.

Ensuite Ianoukovitch se devait de montrer qu’il menait son pays vers la croissance économique. Il devait aussi montrer son ouverture d’esprit en se liant d’amitié avec l’Est comme avec l’Ouest – et le peuple aurait oublié Tymochenko ! Ianoukovitch devait aussi relever un grand défi destiné à valoriser son image : la préparation à l’Euro-2012 !

L’Euro-2012 devait être la plateforme permettant l’ouverture du pays, la transformation de l’Ukraine en une grande et nouvelle destination touristique et de rendre le pays attractif aux investissements étrangers. En effet, à l’occasion de la coupe d’Europe de foot, un nombre record de touristes étrangers ont visité le pays. Quant aux investissements, sous prétexte de retards, tous les marchés ont été attribués sans appels d’offre à des sociétés proches du président. Depuis, celui-ci s’est fait construire une luxueuse résidence secondaire au nord de Kyiv ! Zut ! Raté pour la transparence, l’économie de marché et les investissements étrangers !

Passons.

2012-2013 ont été les années pendant lesquelles le pouvoir a échauffé la population en promettant la signature de l’accord d’association avec l’Union Européenne. Les intéressés (les Ukrainiens) ont cru comprendre que le bonheur matériel n’arriverait pas tout de suite (après tout, on s’y ferait, ça fait si longtemps qu’on est pauvre, même s’il y a des voix qui disent que l’Ukraine est un pays riche (mais volé)…). Ayant le mémoire des crises (on n’oubliera pas tantôt la thérapie du choc des années 1990[i]), Les Ukrainiens sont prêts à « affronter » la mise en place des réformes économique, et des systèmes judiciaires et politiques. Elles nous sembleront des piqures de moustique après ce qu’on a déjà vécu. Et on pourrait enfin vivre comme en Europe tout en n’étant pas forcément dans l’Union européenne ! C’est ce que nous avions cru comprendre.

Le 21/11/13 la volte-face de Ianoukovitch, qui avait probablement ses propres raisons (comme pour toutes ses voltes face habituelles, mais on n’en saura probablement jamais rien … sauf par Wikileaks ukrainiens ou après un retour de Snowden du Kremlin vers l’Ouest) a surpris tout le monde en stoppant net les négociations sur la signature de ces accords.

Après, on a fait un sit-in de deux mois qui a tapé sur les nerfs du gouvernement et des acteurs de tous les niveaux du pouvoir. Si nous sommes sortis, ce n’est pas par désespoir mais pour devenir un jour les décideurs de notre propre vie. Prefiero morir de pie, a vivir arrodillado.

Chaque fois que Ianoukovitch annonçait et promettait une chose à son peuple, il n’a jamais tenu sa parole. Il a promis qu’il n’y aurait pas de sang – il y a eu du sang. Il a promis le dialogue – c’est un dialogue de sourd qu’il propose. C’est pour cela que les appels au dialogue émis par l’UE sont stériles.

Les Européens se disent – OK, Ianoukovitch partira et après, que se passera-t-il ? Le chaos ? Et que dire de l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir ?

Pourtant seules des élections peuvent nous dire qui sera à la tête de l’Etat à l’avenir. En démocratie on n’est pas sensé connaitre le vainqueur avant que les voix ne soit comptées, n’est-ce pas ?

Quant à l’extrême-droite … Ce sont toujours ceux qui s’agitent le plus qui sont les plus visibles, mais ce ne sont pas eux qui décident quoi que ce soit.

Bref, j’espère que ce texte explique un peu pourquoi le départ de Ianoukovitch est la condition sine qua non pour que la société civile ukrainienne puisse se construire sur de bonnes et saines bases. Quant aux perspectives économiques ukrainiennes, hélas, il semble que de grandes difficultés soient inévitables (que nos amis économistes me corrigent s’il y a une autre solution). Ensuite, il y aura une tâche – un travail de fourmis à accomplir pour reconstruire (recréer) l’économie et la confiance des investisseurs basée sur la sécurité, la transparence et la prévisibilité de tous les acteurs et décisionnaires du pays. Je pense que tout le monde y sera gagnant.



[i] La chute de l’URSS et la thérapie du choc ont marqué les esprits par : - chômage de masse,

- échanges entre entreprises réalisés en troc, salaires payés en produits (par exemple, en pneus - allez les vendre au bord de la route !),

- arriérés de paiement de salaires (ainsi le salaire annuel de ma mère perçu à la fin de l’année 1993, représentant une montagne de bric, lui a permis de construire sa maison de campagne 10 ans plus tard),

- hyperinflation (quand une cuisine vendue permettait de payer un appart. Mais en même temps, le salaire ne permettait pas de vivre. C'est là soudainement nous étions tous devenus des millionnaires.... et des milliardaires, un ou deux mois plus tard),

- incompréhension par des citoyens des transformations de l'économie, permettant à une poigné d’entre eux de saisir l’occasion pour s’enrichir au détriment des autres (une semaine de retard de payement de la bourse effectué par un camarade de fac, permettait de faire un profit en achetant et vendant des dollars. entre temps ses copains d'études perdaient du pouvoir d'achat).Une partie de ces malins deviendront plus tard des oligarques....

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