PS : C’est toujours la faute des autres !

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 2 mai 2013

Âge mental : 7 ans. C’est à peu près à cet âge-là qu’on refuse ses responsabilités et qu’on accuse les autres de toutes les bêtises. La germanophobie est le dernier avatar de cette stigmatisation récurrente de l’autre. Il y avait l’immigré, le musulman, le riche, le capitaliste, l’Américain (cela dépend de son origine politique). Voici maintenant l’Allemand, mais comme on veut être "soft", on va se contenter d’Angela. C’est Angela Merkel la cause de l’irresponsabilité budgétaire de tous les gouvernements français depuis trente ans. Elle est forte, cette Angela !

Le mouvement semble récurrent. On en parlait déjà à la fin de l’année 2011, juste avant la campagne présidentielle et les hiérarques du parti socialiste viennent de repasser le plat en ce printemps 2013 : l’Allemagne serait vilaine et la cause de tous nos maux. "Nos", comprendre, les maux de la France.

François Bayrou avait eu raison de s’inquiéter le 15 avril 2013 de la surenchère mise sur le dos de la Chancelière allemande Angela Merkel. L’Allemagne serait à l’origine non seulement de la cause de nos maux, mais aussi des maux de l’Union Européenne, et disons-le tout de suite, des maux des pays de l’Europe du Sud, ceux de la Grèce, de Chypre, de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal…

Mais restons en France, puisqu’il s’agit de la France avec ce document interne au PS qui a été supervisé dans sa rédaction heure par heure par le Président François Hollande lui-même (comme le prétendent implicitement les deux journalistes du journal "Le Monde", Bastien Bonnefous et David Revault d’Allones, le 29 avril 2013).


Vous avez dit "austérité" ?

Certes, inquiets du feu qu’ils ont eux-mêmes propagé, le premier secrétaire du PS Harlem Désir et sa prédécesseure Martine Aubry ont voulu préciser, le 1er mai 2013, qu’il ne s’agissait pas de critiquer l’Allemagne mais l’austérité qu’elle serait sensée imposer à la France.

Mais de qui se moquent-ils ? Où est l’austérité en France ? Il n’y a même pas le commencement du début de la rigueur budgétaire. Quand les socialistes sont arrivés au pouvoir, ils ont augmenté de 20 milliards d’euros les dépenses de l’État et comptent encore recruter 60 000 fonctionnaires supplémentaires ! Et on attend toujours de savoir comment ils vont réduire ne serait-ce que de 1 milliards d’euros les dépenses publiques (ils ont annoncé 60 milliards d’euros de diminution en cinq ans !) alors qu’ils ne sont capables que de dépenser encore plus, toujours plus.


Un courant ancien contre l’Allemagne dans la population française

Revenons à l’Allemagne. Il est vrai qu’il y a un contentieux historique de plus d’un siècle, largement compréhensible avec les trois guerres, 1870, 1914-1918, 1940-1944, entre les Français et les Allemands. On aurait pu croire que la réconciliation allemande, qui date d’il y a juste cinquante ans, avec le Traité de l’Élysée le 22 janvier 1963, signé par De Gaulle et Konrad Adenauer, avait tenté d’effacer définitivement les rancœurs du passé et de commencer une nouvelle page blanche dans la grande histoire de l’Europe.



Il est vrai aussi que subir à la télévision depuis des mois des dizaines de fois le spot publicitaire d’une grande marque d’automobiles (faut-il préciser la marque ?) qui se met à parler en allemand uniquement pour démontrer la qualité, la performance, la robustesse etc. de ses produits a de quoi être très agaçant (comme la marque est allemande, détenue par un groupe américain, il est toujours étonnant de voir à quel point certains messages peuvent être contreproductifs et renforcer justement cette "germanophobie" latente existant en France).


La facilité démagogique du bouc émissaire

Cependant, rechercher la cause de nos malheurs ailleurs que chez nous, c’est une véritable arnaque intellectuelle. C’est le principe du bouc émissaire. Certains pointent du doigt les immigrés ou les musulmans.



D’autres pointent Angela Merkel. Notez qu’on préfère vitupérer contre la chancelière à généraliser un peu primairement contre l’Allemagne, les Allemands, alors qu’au fond, les Allemands sont majoritairement d’accord pour être "vertueux" économiquement. C’est la différence (très fine) entre antisémitisme et antisionisme. On préfère critiquer le gouvernement israélien pour éviter les foudres de la justice (car notre droit interdit l’antisémitisme, au contraire de la germanophobie).

D’autres encore accusent les Américains, les capitalistes, les "banksters", les impérialistes, les francs-maçons, le "nouvel ordre mondial" (qui, il faut bien l’avouer, ne veut rien dire), ou quelques clubs privés dotés de pouvoirs supposés maléfiques comme la Trilatérale, Bilderberg, etc.


L’impuissance prépubère

Si les cibles sont différentes, dans l’esprit, c’est la même chose : en désignant des causes toujours extérieures au pays, on s’exonère de penser aux propres lacunes qui proviennent de soi-même. Bref, c’est toujours la faute des autres ! C’est un raisonnement d’enfant de 7 ans qu’il est bien inquiétant d’entendre chez des parlementaires mûrs et vaccinés prêts à prendre le pouvoir, voire déjà au pouvoir.

François Bayrou avait fait d’ailleurs de ce constat l’une de ses bases de campagne présidentielle, lors de sa déclaration de candidature le 7 décembre 2011 : réformons-nous au lieu de croire que ce sont les autres qui nous empêchent d’être meilleurs. Désigner l’extérieur comme seule cause de la situation catastrophique de la France, c’est se condamner à l’impuissance permanente, puisqu’il est impossible de changer les autres.


Quelques questions…



Au lieu de jalouser notre premier partenaire commercial, il serait, en effet, un peu plus raisonnable d’analyser avec lucidité comment la France en est arrivée là…



La dette de l’État français, qui atteint des sommets inimaginables, est-ce l’Allemagne ?

Les déficits budgétaires depuis plus de trente ans, est-ce l’Allemagne ? C’est ahurissant d’imaginer que les lois de finances ont proposé systématiquement depuis François Mitterrand des budgets qui n’étaient pas en équilibre ! Et qu’elles ont été votées par des majorités dociles.

Le clientélisme des gouvernements français pour monnayer leur éventuelle réélection auprès de leur électorat de cœur, est-ce l’Allemagne ?

La démagogie à deux balles qui rend responsable de nos maux la Commission européenne où la France a approuvé toutes les directives, ce qui a rendu schizophrènes la plupart des gouvernements français depuis vingt ans, est-ce l’Allemagne ?

La désertification industrielle, les nouvelles taxes, le découragement apporté aux porteurs de capitaux pour investir en France, les délocalisations, est-ce l’Allemagne ou est-ce l’absence de politique industrielle depuis trente ans ?

Les débats stupides qui dispersent l’énergie nationale dans des discussions stériles et sans intérêt, que ce soit sur l’identité nationale, sur la burqa, sur la laïcité antireligieuse, sur le vote des étrangers, sur le cannabis ou sur le mariage des couples homosexuels, est-ce l’Allemagne ?

Les gouvernements qui refusent sans arrêt de s’attaquer aux vrais problèmes (les retraites, c’était prévu dès 1990 par Michel Rocard !), qui refusent de voir la réalité en face en continuant sans arrêt à mettre les poussières sales sous le tapis le temps d’une prochaine élection, est-ce l’Allemagne ?

Les dépenses publiques, qui n’ont jamais cessé d’augmenter, d’années après années, malgré parfois des discours contre les fonctionnaires ou contre la dépenses publiques (discours prétendument "libéraux" et critiqués en tant que tels), est-ce l’Allemagne ?

La complexité administrative, fiscale, sociale, juridique pour créer une activité économique en France, est-ce l’Allemagne ?

La remise en cause idéologique des rares dispositifs qui ont redonné un peu d’espoir économique dans les dix dernières années, est-ce l’Allemagne ?

L’insensée structure en multicouches des collectivités territoriales qui phagocyte des budgets monumentaux au seul bénéfice d’une petite nomenklatura locale, est-ce l’Allemagne ?

Les 600 000 euros sur un compte bancaire à Singapour d’un ministre qui prônait la rigueur à tous les étages, est-ce l’Allemagne ?

Je pourrais évidemment continuer dans ce catalogue à la Prévert.


Ouvrir les yeux prend du temps…

L’Allemagne est une nouvelle mode, mais ce n’est pas mieux que l’immigration ou le capitalisme (comme entité abstraite) : le tout, c’est de refuser de voir clair, de refuser de mettre en accusation l’ensemble des gouvernements depuis trente ans (Valérie Pécresse, dernière Ministre du Budget de Nicolas Sarkozy, a reconnu sur France 2 le 29 avril 2013 que le quinquennat précédent avait été beaucoup trop instable fiscalement pour les entreprises).

Or, les gouvernements ont tous été issus d’élections démocratiques, et le dernier autant que les précédents : c’est à croire que les électeurs ne veulent pas entendre la vérité et préfèrent entendre le meilleur bonimenteur (regardons depuis 1981 : François Mitterrand en 1981 et 1988, Jacques Chirac en 1995 et 2002, Nicolas Sarkozy en 2007 et François Hollande en 2012 ; en 2012, Nicolas Sarkozy a plus joué aux larmes et au sang à la Churchill qu’au rasage gratis comme promis par son adversaire électoral).

Heureusement, maintenant, dans la classe politique française, grâce à l’alternance du reste (rappelez-vous ; avant l’élection présidentielle, l’existence de la crise était même niée par le PS !), il y a une sorte d’éveil, de lente prise de conscience collective qu’il est temps de réformer en profondeur les structures de la société française.


Unir les Français sur de nouvelles bases

C’est pourquoi un gouvernement d’union nationale ne serait pas inadapté à cette situation. On ne change pas un modèle de société sans un large consensus. Ironie de la vie politique : même Marine Le Pen est désormais favorable à l’union nationale ! Elle l’a dit le 28 avril 2013 sur Canal+ : « Il est certain que quand la gravité de la situation est telle que cele-là, si j’étais amenée (…) à être portée au pouvoir par les Français, je ferais probablement un gouvernement d’union nationale. » (il faut dire que lorsque le but, c’est de récupérer tout ce qui traîne dans les sondages, elle ne manque pas de toupet en récupérant ce thème !).



C’est pourquoi, au contraire de critiquer l’Allemagne, la France ferait mieux de l’imiter. D’accepter de travailler sans compter, d’accepter d’acheter français sans qu’on les oblige. D’être patriotes. C’est un peu comme un "grand frère" qui pousserait la France à être vertueuse. Heureusement qu’elle est là pour rappeler quelques fondamentaux que tout foyer doit suivre sous peine d’avoir quelques soucis avec les banques : ne pas dépenser plus qu’on ne gagne. Soit gagner plus, sois dépenser moins.


L’aide involontaire apportée à la CDU

Et puis, à quelques mois d’une importante échéance électorale en Allemagne (le 22 septembre 2013, les électeurs allemands éliront les 598 prochains députés du Bundestag), quel est l’effet, à votre avis, de cette grande mode de dénigrement anti-allemande en France ?

Par patriotisme allemand, les citoyens allemands auraient tout intérêt à donner un soutien massif à la chancelière qui a redonné à leur pays la première place dans l’économie européenne. Les attaques sont contreproductives : Angela Merkel devrait remercier les pauvres "idiots" utiles du PS qui lui donnent, chaque jour, des voix supplémentaires.

Le patriotisme allemand s’est traduit, depuis l’interdit militaire de 1945, par un développement économique toujours plus puissant.


Les chauds et froids de l’Élysée : preuve d’indécision !

Aux Français de regarder là où il faut réformer, là où les industries pourraient être développées, là où la bureaucratie pourrait être allégée (où en est le fameux "choc de simplification" ?), là où l’innovation pourrait être encouragée dans un climat favorable (les mesures prises par le Président François Hollande le 29 avril 2013 vont heureusement dans ce sens). Cessons de dire que c’est toujours la faute des autres : c’est le meilleur moyen de ne jamais avancer et de rester impuissant face aux enjeux d’aujourd’hui.

En tout cas, en reprochant de manière excessive à Angela Merkel, le 28 mars 2013 sur France 2, de vouloir faire de l’Union Européenne une « maison de redressement », François Hollande n’a pas été malin parce qu’il a ouvert les vannes de son parti pour verser dans la germanophobie. Il va devoir vite donner des signes concrets de rétropédalage diplomatique s’il veut que la France garde un minimum de crédit dans le concert des nations…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (2 mai 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’amitié franco-allemande.
François Hollande.
L’union nationale.
Le budget européen.
Le mur de Berlin, dans l’indifférence...
PS, la fuite en arrière (par Gérard Grunberg, 2 mai 2013).


 
 



 

 


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