Retour aux urnes, vite !

par Giuseppe Santoliquido
jeudi 20 octobre 2011

La séquence parlementaire qui a pris fin avec la confiance accordée au gouvernement Berlusconi par la Chambre des Représentants, ce vendredi 14 octobre 2011, montre à quel point l’Italie est un pays politiquement à la dérive.

Pour mesurer l’ampleur de la situation, il faut se souvenir qu’en mai 2008, l’exécutif de centre-droit, vainqueur triomphal dans les urnes, obtenait l’investiture devant cette même Chambre des Représentants par 335 voix contre 275, soit soixante voix d’écart. Deux ans et demi plus tard, précisément le 14 décembre 2010, l’opposition, entretemps ralliée par un Gianfranco Fini qui venait de quitter la coalition gouvernementale avec près de 35 députés, présentait une motion de méfiance contre le gouvernement de M. Berlusconi avec la certitude de l’emporter. Sentant son trône vaciller, le premier ministre italien entama alors une véritable opération de débauchage parmi les députés qui avaient appuyé le schisme de l’ex-leader d’extrême droite et parvint à sauver miraculeusement son poste par trois petites voix d’écart. Les élus qui permirent ce revirement et abandonnèrent au dernier moment M. Fini pour retourner sur les bancs de la majorité furent récompensés par toute une série de prébendes, neuf d’entre eux se virent même attribuer un strapontin au sein de l’exécutif.

Mais de part sa nature étriquée, cette victoire arithmétique ne pouvait que déboucher sur une paralysie du pays en terme de gouvernabilité. Placé sous la menace constante de ses alliés, l’exécutif est depuis lors politiquement inopérant. La perte d’une majorité suffisante dans un nombre important de commissions devait d’ailleurs mettre un terme à toute une série de projets lui tenant à cœur, notamment en matière de justice, et la loi budgétaire qui suivit fut pour ainsi dire été rédigée sous les indications techniques de la BCE. Depuis lors, contestations sociales et revers politiques se sont alors succédés à un rythme vertigineux. Le jour-même du rejet de cette motion de méfiance, de violents affrontements survenaient aux quatre coins du pays entre une série d’indignés, déjà, outrés par les manœuvres de palais, et les forces de l’ordre. Au début de l’année 2011, ce fut au tour des mouvements féministes de s’indigner contre l’image dégradée de la femme qu’offraient au monde les comportements scabreux du premier ministre. Étudiantes, ouvrières, paysannes, intellectuelles, ménagères, pensionnées, toutes se disaient profondément meurtries, humiliées.

Puis vint l’humiliante éviction de l’Italie des discussions sur la Libye, le naufrage de la gestion de l’afflux des réfugiés sur les côtes siciliennes, la crise des déchets à Naples. En mai, la cinglante défaite aux communales avec la perte symbolique de la ville de Milan, berceau de l’ascension berlusconienne, suivie de la déroute aux referendums du mois de juin portant, notamment, sur le nucléaire et la privatisation de l’eau. Durant l’été, il y eut l’effondrement de la bourse de Milan, le différentiel d’intérêt record entre les bons d’état italiens et allemands, les dégradations successives de la dette italienne imputées par les agences de notation à la fragilité de la coalition gouvernementale. Sans compter les interminables démêlés judiciaires du premier ministre, les motions de méfiance individuelle et autres demandes de levée d’immunité en cascade pour plusieurs membres de la majorité et même du gouvernement, comme M. Romano, pour collusion avec une organisation mafieuse.

D’un point de vue strictement politique, le point d’orgue, aux relents tragi-comiques, fut certainement atteint la semaine dernière avec le rejet par la Chambre des Représentants du compte-rendu budgétaire des activités de l’état. Le document n’est autre qu’un état des lieux des dépenses et des recettes de l’administration publique au cours de l’exercice précédent. Un document basique mais essentiel à la continuité de l’activité publique, sur lequel le Parlement exerce un pouvoir de ratification. Sans cette ratification, aucune recette ne peut être engagée pour l’année à venir. Or, en raison d’un certain nombre d’absences dans l’hémicycle, la majorité n’a pas été en mesure de ratifier le texte et le fonctionnement de la puissance publique s’en trouvait bloqué. M. Berlusconi fut d’ailleurs contrait de présenter des excuses pour ce couac sans précédent. Immédiatement, le Président de la République, Giorgio Napolitano, a exigé que le premier ministre rende compte au plus vite de l’état dans lequel se trouvait sa majorité et présente son programme de gouvernement pour le reste de la législature.

C’est ce qu’il a fait ce 13 octobre dernier, obtenant une fois encore la confiance des siens d’une courte tête. La teneur du discours du premier ministre fait toutefois craindre le pire. Il ne contenait en effet aucune mesure programmatique nouvelle, aucune perspective sérieuse pour sortir du marasme un pays au taux de croissance inférieur à 1% et dont la dette publique atteint les 2 000 milliards d’euros. Prisonnier de l’étroitesse arithmétique de sa majorité parlementaire, il s’est adressé exclusivement à son camp, avec l’objectif d’éviter les défections dans une coalition désormais balkanisée en une multitude de sous-courants cherchant à se positionner au mieux pour l’après Cavaliere. Si le 14 décembre 2010, après le schisme de M. Fini, l’objectif était de faire rentrer les félons au bercail, la manœuvre consistait cette fois à éviter les départs annoncés, dont un seul pouvait signifier la chute définitive du gouvernement. En nommant notamment trois nouveaux Secrétaires d’Etat parmi ses hommes les plus courroucés, M. Berlusconi a une fois de plus atteint le seuil de survie. 

Mais lorsque l’on sait que ces nominations ont irrité au plus haut point les fidèles de longue date, que des sous-groupes de la majorité contestent d’ores et déjà lourdement les lois de Finance et de Développement économique en préparation, que la succession du premier ministre est ouvertement souhaitée parmi les siens – fait inimaginable il y a seulement quelques mois – ne serait-il pas opportun pour le bien du pays, et peut-être pour la coalition de centre-droit elle-même, de redonner à brève échéance la parole aux citoyens afin qu’ils mettent fin à la lente agonie de l’exécutif ? Ne vaudrait-il pas mieux suivre l’exemple espagnol et le sens des responsabilités dont a fait preuve M. Zapatero en remettant son mandat entre les mains des électeurs ? Ne serait-ce pas là, avec l’aval du Président de la République constitutionnellement compétent en la matière, la seule manière de rassurer l’opinion publique, les marchés financiers et de recouvrer ainsi cette gouvernabilité qui fait défaut depuis un an ? Dans l’atmosphère de fin de règne décadent que connaît aujourd’hui l’Italie, le retour aux urnes pourrait en effet avoir des vertus salutaires, ne fut-ce que parce que la démocratie ne peut être uniquement forme mais doit être aussi substance. Elle implique donc, lorsque tout porte à croire qu’un gouvernement n’est plus en mesure, pour une raison ou une autre, d’assumer sa raison d’être essentielle, à savoir servir l’intérêt général de la Cité, que le corps électoral ait la possibilité de lui retirer (ou de lui confirmer) son mandat. 


Lire l'article complet, et les commentaires