Sarkozy ce lundi à Bruxelles : oui à un sommet économique ?

par Daniel RIOT
lundi 9 juillet 2007

Une partie difficile pour le « Superman » du volontarisme... Les arguments et les suggestions du président français auraient plus de poids si la dette n’était pas un tel fardeau et si la fuite en avant n’était pas aussi incompréhensible...

A l’Eurogroupe, on sait se tenir. Politique et politesse... Sarkozy sera donc bien accueilli. Avec tous les honneurs dus à son rang et avec cette mobilisation médiatique qu’il affectionne tant, lui qui souffre, selon Eric Marty (disciple de Roland Barthes et l’un des invités d’un déjeuner « intellos » de l’Elysée) « d’une sorte de libido communicationnelle ». D’ailleurs, les ministres, réunis autour de Junker, le Premier ministre luxembourgeois qui préside ce faux «  mini-gouvernement » économique de la « zone euro », diront à quel point ils apprécient cette venue présidentielle. Une marque de révérence, de respect et une preuve d’activisme volontaire. Une première même. Avant lui, seul le président du Conseil italien Silvio Berlusconi avait lui-même présenté ses projets budgétaires devant l’Eurogroupe en 2005, mais il remplaçait son ministre de l’Economie, Giulio Tremonti, qui, à l’époque, avait démissionné. Sarkozy sera là et Christine Lagarde aussi.

« Que Sarkozy monte en première ligne dans une réunion de ce type, c’est plutôt encourageant, surtout quand on se souvient de son absentéisme honteux dans les réunions ministérielles quand il était le premier flic de France », sourit un habitué des réunions bruxelloises. « On se demandait s’il savait que l’Union européenne existait. Aujourd’hui, il montre qu’il faut compter avec lui, sinon sur lui. Son festival lors du dernier Conseil européen a impressionné, même s’il se voit plus important qu’il n’est. « Sauveur de l’Europe », il n’y a que lui qui s’y voit... ». Junker (photo) se montre même enthousiaste dans l’attente de la réunion d’aujourd’hui :"J’applaudis".

Mais, nous l’avons déjà écrit sur RELATIO, Sarkozy ne sera pas à la fête. On écoutera ses « je veux », mais on lui rappellera ce qu’il pourrait ou devrait... Ne serait-ce que pour respecter les engagements de la France, des engagements pris quand il était au gouvernement, donc au pouvoir. « Les arguments et les propositions de Sarkozy auraient plus de poids si les contentieux n’étaient pas aussi lourds et nombreux entre la France et l’Union », souligne un haut fonctionnaire européen (français et pas spécialement « de gauche »). C’est bien l’avis de tous les observateurs bien informés. Même la candidature de DSK pour le FMI risque d’en souffrir... Mais cette candidature qui sucite tant de craintes au PS ne se jouera sans doute pas aujourd’hui. Tout au plus,Sarkozy pourra se rendre compte des candidats poussés ou non par les Polonais, les Italiens et d’autres.

Aujourd’hui, dans son interview fleuve au Journal du dimanche, le président français annonce qu’il proposera à l’Eurogroupe l’organisation d’un sommet européen à la rentrée sur la politique économique. « Je proposerai lundi qu’il y ait, à la rentrée, une réunion européenne des chefs d’Etat et de gouvernement pour parler de la politique économique » Voilà qui est plutôt positif. Mais il a une façon de le dire qui fait sourire : « J’expliquerai à nos partenaires ce que nous allons faire pour retrouver de la croissance », dit-il. « Super-Sarko » prof d’économie, donneur de leçons sur la croissance ! Il a été locataire de Berçy, il est vrai. Et il n’y a pas marqué son passage que par la réception d’une star de la scientologie...

Des mots à préciser

Qui plus, ses « je veux » et sa volonté de « ne respecter aucun tabou » se heurtent à des confusions de vocabulaire. Le « protectionnisme », aujourd’hui, c’est quoi ? A Bruxelles, l’expression « ligne Maginot » revient à la mode quand on parle de la France et de son « ADN colbertiste ».

Le retour à la « préférence communautaire », c’est quoi avec les accords de l’OMC ? Une « politique industrielle volontariste », c’est quoi quand on voit les faiblesses (françaises d’abord) de l’Airbus ?

Le « patriotisme économique », c’est quoi concrètement quand LU, qui fait partie du patrimoine passe sous contrôle américain ?

La lutte contre les « délocalisations », c’est quoi quand les entreprises françaises... délocalisent à tour de bras ? En quoi, la construction européenne est-elle le « cheval de Troie de toutes les menaces que portent en elles les transformations du monde », alors qu’elle seule, plus forte et plus soudée pourrait jouer un rôle régulateur. Pascal Lamy en sait quelque chose...

En quoi, « Bruxelles » fait-elle preuve de « naïveté dans les négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce » ?

« Il nous faut rejeter la notion selon laquelle les seules politiques à mettre en oeuvre face à la mondialisation seraient de nous en retirer ou de nous cacher. Nous ne pouvons faire ni l’un ni l’autre, et je crois que le nouveau gouvernement français le reconnaît », lâche M. Mandelson , le commissaire mis directement en cause, qui « voit mal » comment son expérience politique « a pu le rendre naïf » et qui rappelle que le bloc européen est le premier exportateur mondial, « ce qui démontre, à quel point l’Union européenne profite de l’ouverture des marchés mondiaux ».

Que cache la suppression de l’expression « concurrence libre et non faussée » dans le nouveau traité ? Et que signifient les attaques contre la Banque centrale et contre « l’euro trop fort », alors que ce sont surtout les monnaies chinoises et japonaises qui ne sont pas au bon niveau et que le dollar subit les faiblesses intrinsèques de l’économie américaine ?

La Commission conteste ces critiques de Paris : « le taux de change ne joue qu’un rôle limité dans les résultats des exportations des pays individuels », constate-t-elle en notant que la balance commerciale de la France s’est, elle, améliorée vis-à-vis des Etats-Unis, mais détériorée vis-à-vis de l’Allemagne. « Il y a donc lieu de chercher ailleurs les causes des résultats décevants de certains membres de la zone euro en matière d’exportations ». Qu’en pense le Pr Sarkozy ?

UNE PILE DE CONTENTIEUX

Ces points de frictions s’ajoutent à d’autres contentieux qui s’accumulent. On ne chôme pas à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne...

Non seulement, Sarkozy se heurte à la Commission et à la plupart des autres Etats membres sur les négociations d’adhésion avec la Turquie, mais de difficiles négociations portent (entre autres) sur le monopole de la Française des jeux et du PMU dans le domaine des paris sportifs, qui fait l’objet d’une procédure de la Commission, ou de la pêche au thon et à l’anchois, dont l’interdiction suscite la colère des pêcheurs, les réserves sur la réforme vini-viticole, ou des retards dans la transcription des directives dans le droit français (qui vaut quelques amendes à la France)...

Ce président-professeur aura surtout des explications à donner sur une question très précise et essentielle : les gouffres des DEFICITS !

>>>Il devra expliquer pourquoi il a décidé de reporter à 2012 l’assainissement des finances publiques françaises afin, selon ses voeux, de créer un "choc fiscal" pour permettre à la France "d’aller chercher ce point de croissance supplémentaire".

Cette décision viole plusieurs engagements de la France. Elle foule aux pieds son programme de stabilité approuvé le 30 janvier par l’UE et qui prévoit une réduction importante du déficit dès 2007 afin de parvenir à un déficit proche de zéro et à un endettement inférieur à 60 % du PIB en 2010.

Circonstance aggravante : cette échéance 2010 avait, en outre, été solennellement réitérée en avril dernier par tous les ministres des Finances de la zone euro, qui s’étaient engagés à tirer parti de la forte croissance actuelle - 2,6 % dans la zone euro cette année - pour accumuler des réserves en prévision du vieillissement de la population.

En plus elle est dangereuse pour la France elle-même. On ne peut pas vivre en surendettement chronique et, surtout, on ne peut pas sans risques graves pratiquer à Paris une politique aux antipodes de ce qui est fait (avec succès) à Berlin...

A L’OPPOSE DE LA LIGNE ALLEMANDE

Aucun économiste sérieux ne peut prendre à la légère les arguments avancés avec un courage mal récompensé par François Bayrou durant la campagne présidentielle et qui justifie son abstention lors du vote d’investiture du cabinet Fillon.

Le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, est déjà sorti de la réserve que lui impose l’axe franco-allemand. « S’il est confirmé que la France revient sur ses engagements, il y aurait un problème, non seulement du point de vue allemand, mais aussi de celui de la Commission et d’autres Etats membres ». Le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, a renchéri : l’objectif 2010 est « essentiel pour la cohésion de la zone euro », a-t-il martelé.

Même politiquement, Sarkozy fait une entorse grave à son engagement d’appliquer son programme : sa promesse de réduire le déficit de 0,5 % par an passe par pertes et profits (plus par pertes que par profits). Le gouvernement a déjà renoncé à ramener les déficits publics à 1,8 % en 2008 après 2,5 % en 2007, puisque l’on parle désormais d’une stabilisation l’an prochain (peut-être).

LA DETTE SE CREUSE ENCORE

>>> Son pari sur la reprise de la croissance (demain, il fera beau...) serait plus crédible si les mesures annoncées par le gouvernement français ne suscitaient pas autant de scepticisme dans les milieux européens. "Fuite en avant", dit-on à Bruxelles.

Explications techniques sur un point, par exemple : le seul coût du « paquet fiscal » qui sera soumis cet été au Parlement est évalué à 0,6 % du PIB par la déduction fiscale des emprunts immobiliers (0,3 point de PIB), la suppression des droits de succession (0,1 point) et l’exonération des charges sociales pour les heures supplémentaires (0,2 point).

C’est d’autant plus inquiétant que la pente actuelle est mauvaise : la dette publique est repartie à la hausse au premier semestre pour atteindre environ 65 % du PIB au lieu de 63,7 % fin 2006, et son déficit en fait le cancre de la zone euro, surtout par rapport à l’Allemagne, qui devrait avoir un déficit de 0,6 % cette année à comparer aux 2,5 % français. La perspective d’une plus-value de deux à cinq milliards d’euros dans les recettes fiscales pour 2007 pour compenser un dérapage des dépenses sociales de l’ordre de quatre milliards d’euros n’est qu’une mince compensation.

« Ce ne sont pas des réformes structurelles », estime un responsable de la Commission. « Elle n’auront aucun impact sur la croissance ». Et elles mettent en péril la santé de l’euro. « Il est très important pour la monnaie unique de mener une politique budgétaire très exigeante », a déclaré le Premier ministre portugais, José Socrates.

POUR UN GOUVERNEMENT ECONOMIQUE

« Il faut être réaliste. Il est évident qu’il y a une différence entre une obligation juridique et une obligation politique », a expliqué le ministre portugais des Finances, Fernando Teixeira dos Santos.

Pire pour Sarkozy et pour tous ceux qui pensent qu’il faut effectivement que l’Eurogroupe devienne une force politique réelle : le « cavalier seul » français risque de compromettre pour longtemps les progrès (pourtant à faire) vers une meilleure gouvernance économique de la zone euro pour faire contrepoids à la Banque centrale européenne (BCE). C’est pourtant l’un des "dadas" de Nicolas Sarkozy. Et c’est ce qui rend difficilement compréhensible ce que les diplomates spécialisés dans les affaires économiques et financières appellent, en privé, les « incohérences de l’Elysée ».

Sarkozy adore l’adversité. Il sera servi. Mais dans ces domaines-là, les exhortations ne servent pas à grand-chose. Seuls les chiffres et les faits comptent. La « culture du résultat » prônée doit s’appliquer (aussi) à l’Elysée puisque c’est là que tous les pouvoirs sont concentrés. Elle suppose de remplacer le « volontarisme », (ce « vélo en chambre », comme dit Bourlanges) par une vraie volonté. Mais il paraît que « ce que Sarko veut, Sarko peut ». Alors...

D’ailleurs, on apprécie à Bruxelles la présence de Christine Lagarde (photo) à Bercy ("ouverte et compétente, avec son capitalisme pragmatique"), on est très satisfait de retrouver l’excellent Michel Barnier sur les dossiers agricoles et le choix de DSK est jugé, indépendamment de ses aspects politiciens un très bon choix. "Il a le profil incontestablement"... Mais des Français à la tête de l’OMC, de la Banque centrale européenne, à la BERD et au FMI, cela fait beaucoup, non ? A voir...

Au moins, Sarkozy n’hésite pas à aller dans l’arène : c’est plutôt bien, même en tenant compte de sa « libido communicationnelle »...

Daniel RIOT


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