Suisse : larme à gauche

par Sylvain Rakotoarison
lundi 14 février 2011

Il n’y a pas que les Américains qui sont des cow-boys… Plus de 56% des Suisses refusent l’État de droit et préfèrent l’autodéfense.

Lorsque j’ai été convoqué pour effectuer mon service militaire, ma plus grande crainte fut l’utilisation d’une arme à feu. Une crainte très forte.

Je ne craignais pas de m’en servir contre d’improbables ennemis, mais peut-être contre moi-même, un jour de découragement. Car ce serait si facile d’attenter à sa vie avec une arme à feu, et comme je n’avais pas l’habitude de ces choses-là, je restais dans une inquiétude a priori.

Je craignais tout autant qu’un camarade à côté de moi fît ce même genre de bêtise. Je me souvenais avoir discuté du service militaire, quelques mois avant cette convocation, avec mon principal professeur d’université (je devais l’avoir au moins deux heures chaque matin) et il me racontait que son fils, qui était sorti d’une très bonne école (je crois que c’était Mines), s’était suicidé durant son service militaire, ne supportant pas la vie collectiviste du militaire.

Heureusement, non seulement je n’ai pas eu la tentation de me suicider, mais en plus, j’étais très performant dans le montage, démontage, nettoyage du fusil mitrailleur (famas et pm). Précisément, j’étais surtout rassuré par les procédures hautement sécurisantes sur la sortie d’armes et surtout de munitions de l’armurerie. Des procédures qui ont cependant eu des loupés il y a quelques années à Carcassonne (le 29 juin 2008, un accident a fait dix-sept blessés graves).

J’ai dû en tout faire trois ou quatre exercices de tirs à balles réelles, et les autres exercices étaient beaucoup moins risqués.

Une information que j’avais recueillie en octobre 2010, c’est qu’en Suisse, où la sécurité est une obsession nationale, chaque bidasse, après son service militaire obligatoire, doit garder son fusil mitrailleur chez lui. Ainsi, en cas d’attaque ennemie, la population pourrait se défendre partout où se trouveraient des habitants.

C’est simple : la Suisse fait partie, avec les États-Unis et le Yémen, des trois pays où il y a le plus fort taux de possession d’armes dans la population civile. Et là, ce sont des fusils mitrailleurs de guerre, capable de balancer une centaine de balles à la minute. Selon des estimations, deux millions trois cent mille armes seraient stockées au sein de la population dont près d’un million et demi d’armes anciennes. Un ménage sur trois posséderait une arme. Cette "tradition" date de 1874.

Hélas, la conséquence directe de cette réglementation, c’est que plusieurs centaines de jeunes se suicident chaque année en Suisse avec ces armes à feu. En 2008, deux cent cinquante-neuf décès provenaient d’armes à feu dont deux cent trente-neuf suicides. Si bien que des personnes engagées dans des associations ont commencé à réagir en 2009. Avec l’argument que l’ennemi qui envahirait la Suisse est très hypothétique : même Hitler y avait renoncé.


Du coup, avec la possibilité de faire des vrais référendums d’initiative populaire, certains ont fait signer une pétition pour la fin du stockage de ces armes chez l’habitant même. L’initiative avait reçu les cent mille signataires nécessaires pour contraindre le Conseil fédéral à organiser une "votation". C’était donc (selon moi) une bonne nouvelle et le référendum devait avoir lieu avant février 2011 : il a eu lieu justement ce dimanche 13 février 2011.

Des partis nationalistes (comme l’UDC) reconnaissent que l’ennemi est aujourd’hui indéterminé mais ils estiment que la possession d’armes dans chaque foyer est un signal à donner à cet ennemi invisible et refusent la modification de la procédure. Leur campagne a été même très primaire mais redoutablement efficace en martelant : « Désarmer les Suisses, c’est créer un monopole des armes pour les criminels et les étrangers. L’initiative menace la sécurité de la Suisse et de tous ses habitants honnêtes. ».

Même si les étrangers d’Europe sont victimes, eux, de trois fois moins de suicides dus aux armes à feu que les Helvètes. Les partisans de l'initiative ont par ailleurs rétorqué qu'il est très rare qu'on se défende avec son arme à feu contre un cambrioleur mais leur argumentation sur la supposée baisse des suicides n'a pas convaincu.

Parmi les plus opposants à l'initiative, il y a aussi les sociétés de tirs qui prennent en charge l'entraînement des tirs obligatoires des cent soixante-dix mille soldats suisses pour un marché annuel de huit millions sept cent mille francs suisses et qui craignent la fermeture de leur centaine de stands, en particulier dans les villages ruraux.

En octobre 2010, au moment où le référendum devenait inéluctable, les sondages indiquaient que 65% des Suisses souhaiteraient en effet supprimer les armes dans les habitations. La mesure avait donc de grandes chances d’être prise en compte par le vote populaire de dimanche dernier. Mais durant la campagne, l'écart n'a cessé de décroître dans les sondages jusqu'au 2 février 2011 où les intentions donnaient 47% en faveur de l'initiative et 45% contre avec 8% d'indécis.

Hélas, finalement, 56,3% de électeurs suisses ont rejeté l’initiative « pour la protection face à la violence des armes » considérant généralement que cette détention d’armes était un élément constitutif de l’identité suisse. Dix-sept cantons ont voté contre (en particulier Fribourg, le Valais et Lucerne) et seulement cinq pour (dont Neuchâtel, Vaud, Zurich et Bâle).

49,2% ont participé à cette consultation, ce qui correspond à une participation très élevée pour ce genre de référendum, notamment dans les cantons où il n'était organisé aucun autre scrutin. Les milieux urbains et les cantons francophones, en particulier Genève à 61%, ont approuvé cette mesure (interdiction de stocker les armes de service chez soi) mais les zones rurales ont massivement apporté une réponse négative (à plus des deux tiers des suffrages exprimés) sauf le Jura traditionnellement antimilitariste.

Le gouvernement fédéral avait appelé à voter non en estimant que des améliorations étaient en cours : les munitions doivent désormais être déposées à l’arsenal et un registre national des armes à feu va être mis en place.

Le juriste et criminologue de Lausanne Martin Killias conclut avec une note encourageante : « Il y a vingt ans, cette initiative aurait été balayée et c’est loin d’être le cas aujourd’hui. La gauche a mobilisé près de 45% de l’électorat en parlant de sécurité, un thème qui était l’apanage de la droite. Ce n’est pas si mal. ».

C’est aussi ce que pense Ueli Leuenberger, président des Verts suisses, qui ne se désarme pas : « Malgré cet échec, l’initiative a provoqué des petites évolutions. Il faut notamment encourager les citoyens à rendre volontairement les armes de leurs aïeuls. ».

La Suisse a quand même du mal à se moderniser, et c’est très dommage pour un pays qui m’est cher.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 février 2011)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Carcassonne : où jouer avec les armes est dangereux.
Site officiel.

Documents joints à cet article


Lire l'article complet, et les commentaires