Suisse - UE : Référendum sur la libre circulation des personnes - Votation à haut risque !
par Parpaillot
vendredi 30 janvier 2009
Le 8 février prochain, le peuple suisse sera appelé aux urnes pour se prononcer par voie de référendum, à reconduire l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et les pays de l’Union Européenne, et à l’étendre aux deux derniers pays qui ont adhéré à l’UE en 2007 : la Bulgarie et la Roumanie.
Cet accord fait partie d’un ensemble de sept accords négociés entre la Suisse et l’Union Européenne. Connus sous le nom de « Bilatérales I », l’ensemble en question avait été approuvé par référendum par le peuple suisse en 2000. Dès lors, la libre circulation des personnes est en vigueur depuis le 1er juin 2002. Celle-ci permet aux citoyens de l’UE de résider et de travailler en Suisse, et aux citoyens suisses de bénéficier de ces mêmes droits.
A chaque extension de l’UE, la Suisse peut décider si elle souhaite introduire la libre circulation des personnes aux ressortissants des nouveaux pays adhérents. C’est ainsi que le peuple suisse a accepté en 2005 par voie référendaire, de l’étendre à dix nouveaux Etats : Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Chypre et Malte.
La libre circulation des personnes fait partie intégrante d’un ensemble de sept objets liés juridiquement et signés entre les deux partenaires. Par conséquent, si la Suisse devait refuser de reconduire la libre circulation des personnes, les autres accords du paquet « Bilatérales I » seraient caducs et devraient être dénoncés. Cet épilogue que l’on ne souhaite pas tant il apparaît sanglant, et pour cause, est communément appelé « clause guillotine »…
Pourquoi ce référendum ?
L’accord sur la libre circulation des personnes signé avec l’UE porte sur une durée probatoire sept ans, avec la possibilité de l’abroger ou de le prolonger indéfiniment.
Cette phase probatoire arrivera à son terme le 31 mai prochain.
Par ailleurs, l’extension de cet accord à la Roumanie et à la Bulgarie doit, elle aussi, être signifiée aux instances de Bruxelles.
Initialement ces deux objets, soit la reconduction de l’accord proprement dit et son extension aux deux pays susmentionnés, faisaient l’objet de deux projets distincts. Le Parlement helvétique a toutefois décidé de lier les deux questions dans un seul « arrêté fédéral » car la reconduction de l’accord n’offrait de garantie d’être acceptée par l’UE, que s’il s’appliquait à l’ensemble de ses 27 Etats membres, l’Union Européenne ne formant qu’une seule entité. Le Parlement helvétique a ainsi estimé que les pays membres de l’UE ne devaient subir aucune différence de traitement.
Certains milieux politiques de la droite souverainiste (Lega dei Ticinesi, les jeunes de l’UDC et Démocrates suisses) opposés à la reconduction de l’accord, mais surtout à son extension à la Roumanie et à la Bulgarie, ont décidé de lancer un référendum, conformément aux droits politiques offerts par la Constitution. Celui-ci a abouti, ce qui signifie que les référendaires ont réussi à réunir plus de 50’000 signatures valables, condition nécessaire pour que la question soit soumise en votation populaire.
Parmi les arguments des référendaires, le syndrome connu en France sous le nom de syndrome du « Plombier polonais », la crainte d’un dumping salarial et de l’abus d’aide sociale, crainte aussi d’une paupérisation du pays, incertitudes face à la dégradation de l’économie mondiale, mais également les risques d’augmentation de la criminalité. L’extension de l’UE à la Roumanie et la Bulgarie et le spectre d’une future extension aux pays des Balkans et à la Turquie, font craindre le pire aux opposants.
Quelles conséquences en cas de rejet ?
Si l’accord sur la libre circulation des personnes devait être rejeté le 8 février prochain, il ne resterait d’autre solution au Conseil fédéral - Gouvernement fédéral - que de notifier à l’UE l’abrogation des sept accords dans leur ensemble, ceci avant le 31 mai 2009.
Or du paquet « Bilatérales I », seule la « libre circulation des personnes » fait l’objet d’un référendum, les six autres objets n’étant pas remis en question.
Les sept accords des « Bilatérales I » en bref :
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Ouverture progressive des marchés du travail et facilités d’établissement
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Suppression de barrières commerciales grâce aux autorisations simplifiées pour les produits industriels
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Plus large accès aux appels d’offres publics
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Commerce facilité pour certains produits, tels le fromage
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Consolidation de la politique suisse de transfert du trafic de la route au rail et ouverture des marchés pour les trafics routier et ferroviaire
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Accès réciproque au marché
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Participation aux programmes de l’UE
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Dans le cas d’une non-reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes, la Suisse serait probablement confrontée à une grande période d’incertitude, la nature ayant horreur du vide.
La Suisse serait probablement mise sous pression et n’aurait que peu de solutions de rechange, sauf à demander son adhésion à l’Union Européenne, ce qui est politiquement totalement irréaliste à court, voire à moyen terme. En effet, on ne voit pas les mêmes électeurs refusant la prolongation d’un seul accord avec l’UE, pour accepter ensuite dans la foulée l’ensemble des conséquences qu’impliqueraient une telle adhésion. L’opinion publique y est par ailleurs très fortement opposée, à plus de 70 % probablement.
Il n’est pas réaliste dans le contexte actuel, que la Suisse puisse renégocier ces accords en espérant en retirer plus d’avantages. En effet, les Etats membres de l’UE ayant passé de 15 à 27 depuis les négociations initiales, les nouveaux pays auraient forcément d’autres exigences à faire valoir. A cela s’ajoute un avenir économique mondial assez pessimiste.
Or il n’y a pas de « plan B » en cas de rejet, comme l’a rappelé le Conseil fédéral. Par conséquent, on s’achemine vers une votation à haut risque ...
Bref rappel chronologique des relations entre la Suisse et l’UE
L’Union Européenne est le principal partenaire économique de la Suisse. Ce pays pourtant situé au centre du continent n’en fait pas partie. Cette non-adhésion pose de nombreux problèmes dans la vie quotidienne, dans les relations économiques, les échanges commerciaux, la circulation des personnes, le marché du travail, les transports terrestres et aériens, la recherche, les relations transfrontalières, etc. Cette situation a conduit les deux partenaires à négocier des accords pour améliorer leurs rapports.
1992 : Les pays membres de l’AELE (Association Européenne de Libre Echange) dont la Suisse fait partie, avec la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, négocient des accords avec l’Union Européenne. Ceux-ci sont connus sous le nom de EEE (Espace Economique Européen). Le projet d’adhésion de la Suisse à l’EEE, soumis à référendum, a été rejeté de justesse le 6 décembre 1992 par 50,3 % des votants (voir ici).
2000 : Le rejet de l’EEE par le peuple suisse a contraint le Conseil fédéral (gouvernement fédéral) à négocier une série d’accords bilatéraux avec l’UE. Ceux-ci sont connus sont le nom de « Bilatérales I », signés le 21 juin 1999. Soumis par référendum au peuple suisse, ils ont été approuvés le 21 mai 2000 par 67,2 % des votants (voir ici).
2001 : L’initiative populaire « Oui à l’Europe » est rejetée par le peuple suisse et dans l’ensemble des cantons, le 4 mars 2001 par 76,8 % des votants (voir ici). Elle demandait à la Confédération d’engager sans délai des négociations avec l’Union européenne en vue d’y adhérer.
2004 : Les accords sur les « Bilatérales II » sont signés le 26 octobre avec l’UE (voir ici). Ils portent sur les objets suivants : - L’espace « Schengen-Dublin » - La fiscalité de l’épargne - La fraude douanière - La statistique.
Seul l’espace de « Schengen - Dublin » a fait l’objet d’un référendum.
2005 : Référendum sur l’accord d’association de la Suisse aux « Espaces de Schengen et de Dublin » (« Bilatérales II »). Il a été accepté par le peuple suisse le 5 juin 2005 par 54,6 % des votants (voir ici).
2005 : Extension de la libre circulation des personnes à dix nouveaux pays membres de l’UE : Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Chypre et Malte. Soumis à référendum, cette extension est acceptée le 22 septembre 2005 par 56 % des votants (voir ici).
2006 : Adoption d’une loi sur la coopération avec les Etats d’Europe de l’Est et contribution financière de la Suisse à l’élargissement de l’UE à ces pays. Il s’agit notamment d’une contribution financière de la Confédération à hauteur de 1 milliard de CHF sur dix ans, visant à réduire les disparités économiques et sociales au sein de l’UE. Cet objet soumis au peuple suisse par référendum a été accepté le 26 septembre 2006 par 53,4 % des votants (voir ici).
Sondages préélectoraux et contexte
Deux sondages ont été réalisés par l’institut « GFS » pour la Télévision suisse romande (TSR) concernant ce référendum du 8 février prochain.
Le premier a eu lieu entre le 22 décembre et le 4 janvier dernier. Publié le 9 janvier, ce sondage laissait espérer un « oui » timide avec 49 % de voix favorables (voir ici) à la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, et son extension à la Roumanie et à la Bulgarie. Le pourcentage des opposants étant évalué à 40 %, alors que 11 % étaient encore indécis.
Le second sondage réalisé entre les 19 et 24 janvier a été publié ce mercredi 28 janvier. Il laisse apparaître un résultat encore plus incertain, puisque le « oui » n’a progressé que de un point à 50 %, alors que le « non » progressait lui de 3 point à 43 %, les indécis se réduisant à 7 % (voir ici).
On semble donc s’acheminer vers un résultat serré car la marge d’erreur de ± 2,9 % ne permet pas de garantir le succès du « oui », d’autant plus que la dizaine de jours qui nous sépare de l’échéance joue plutôt en faveur du « non », les prévisions économiques étant défavorables. Ce pessimisme économique agissant forcément sur le marché de l’emploi, il ne suffirait alors que de quelques annonces de licenciements pour faire pencher la balance en faveur du « non », ce que personnes n’espèrent, sauf les oiseaux de mauvais augure ...
Des « oiseaux de mauvais augure », et bien parlons-en !...
L’UDC en a fait son cheval de bataille, ce parti politique qui est opposé à la reconduction de cet accord avec l’Union Européenne, publie une affiche sur laquelle on peut voir trois corbeaux noirs s’acharnant sur une Suisse dessinée en rouge (voir ici). Ces corbeaux, symboliseraient selon les responsables de l’UDC, les oiseaux de mauvais augure nous annonçant le pire pour l’avenir de la Suisse.
Cette affiche a provoqué un scandale en Suisse. Elle a valu à l’ambassadeur de Suisse à Bucarest, d’être convoqué auprès du ministère des affaires étrangères roumain pour explications.
Des quatre grands partis du pays, - tous représentés au sein du Conseil fédéral (Gouvernement fédéral) -, seule l’UDC (Union Démocratique du Centre) qui n’a de « centre » que le nom, est opposée à la reconduction de l’accord, bien que n’ayant pas officiellement soutenu le lancement du référendum.
Sans surprise, les sympathisants de ce parti sont aussi les opposants les plus acharnés de la reconduction de l’accord avec 84 % de « non » selon le dernier sondage. Cependant, d’après certaines sources récentes, il semblerait que l’UDC elle-même redouterait le rejet de ce référendum et ne mènerait campagne pour le « non » qu’à des fins bassement électoralistes, pour plaire à sa base, jouant ainsi aux apprentis sorciers ...
Les opposants estiment dans leur majorité qu’il est antidémocratique de lier la reconduction et l’extension de l’accord dans une seule et même question. Ils craignent également que la libre circulation des personnes ne menace le système social helvétique.
Les trois autres partis (Socialiste, Radical et PDC) mènent quant à eux une campagne tout aussi acharnée pour le « oui », avec la publication de nombreuses annonces dans les journaux et l’organisation de débats publics.
Les partisans du « oui » ont même repris l’idée des corbeaux de leurs adversaires, en inversant les arguments dans un jeu sur internet. On y voit ces oiseaux de mauvais augure s’acharner sur un pommier chargé de fruits - symbolisant la prospérité - pour en compromettre la récolte (voir ici).
Les partisans insistent sur les effets bénéfiques de la libre circulation des personnes sur l’économie. Celle-ci fonctionnant à satisfaction depuis six ans déjà. De même qu’ils font confiance aux mesures prises pour lutter et sanctionner les abus de dumping salarial.
Par ailleurs de nombreux débats télévisés contradictoires ont été organisés sur les plateaux de toutes les chaînes linguistiques du pays, laissant apparaître les particularités propres à chaque région, la sensibilité n’étant pas la même dans les rapports que la Suisse entretient avec l’UE selon son appartenance linguistique.
Les sondages affinent les résultats par régions linguistiques, appartenance politique, niveau de formation et revenus des électeurs.
La pondération des intentions de vote reflète sans surprise les différences habituelles entre les régions linguistiques sur la question des relations de la Suisse avec l’Union Européenne.
Selon le dernier sondage publié ce 28 janvier, la Suisse italienne (Tessin) rejetterait le référendum à 56%, contre 41 % de « oui », la Suisse alémanique l’accepterait timidement à 48%, la Suisse romande (francophone) moins timorée, l’accepterait quant à elle avec 56 % de « oui ». Le pourcentage d’indécis n’étant pas précisé par région linguistique.
Ces différences entre les régions linguistiques s’expliquent par des raisons culturelles, mais aussi économiques, notamment sur le marché de l’emploi.
Au Tessin (italophone), les indigènes sont parmi les plus exposés de Suisse à la concurrence salariale de la main d’œuvre frontalière, italienne en l’occurrence. Les postes de travail disponibles y sont aussi les moins qualifiés, essentiellement dans de petites industries, la construction, le tourisme et l’hôtellerie. Cette situation un peu particulière contribue à alimenter le fond de commerce de la « Lega dei Ticinesi », parti de droite calqué sur le modèle de la « Ligue du Nord » en Italie. Vu sa proximité avec Milan et la Lombardie, - la ville de Milan n’est distante que de 50 km de la frontière suisse - le Tessin se replie un peu sur lui-même dans un réflexe identitaire de protection.
En Suisse romande où le tissus économique est plus diversifié, les effets ressentis sont moindres, la main d’œuvre étrangère, qu’elle soit résidente ou frontalière, est mieux répartie dans l’économie. On la retrouve à tous les niveaux de qualification, du professeur d’université au plombier et dans tous les secteurs économiques, du secteur public au services financiers en passant par l’horlogerie et le domaine de la santé.
Le contexte est différent dans la partie germanophone du pays où s’exerce comme au Tessin un replis identitaire, mais ici à l’égard des Allemands, réflexe que l’on pourrait qualifier de culturel, les Suisse alémaniques s’exprimant en dialecte et non en allemand standard (Hochdeutsch).
Comme dans le reste du pays, la « libre circulation des personnes » entre la Suisse et l’UE en 2002, a eu un effet bénéfique sur l’économie helvétique. On estime à quelques 200’000, le nombre de places de travail créées depuis 2002 dans l’ensemble du pays. Cette conjoncture favorable a incité bon nombre d’Allemands, souvent originaires du Nord ou l’Est de l’Allemagne, à immigrer en Suisse non seulement pour y travailler mais aussi pour y résider. Ce sont en général des gens très qualifiés qui sont en concurrence avec les autochtones sur le marché du travail et cela crée des problèmes.
Par ailleurs, l’usage généralisé du dialecte en Suisse alémanique exerce une sorte d’écran à l’encontre de ceux qui ne le parlent pas. Car il ne suffit pas de comprendre le dialecte pour être accepté, il faut aussi le parler. Cette protection identitaire ne s’exerce pas uniquement à l’encontre des étrangers, les Suisses italophones et francophones y sont aussi confrontés.
Dans toutes les régions linguistiques du pays, les arguments des opposants à cet accord sur la libre circulation des personnes sont le plus souvent irrationnels. On focalise sur l’augmentation réelle ou supposée de la criminalité, les cambriolages, les délits routiers etc., en les imputant à des étrangers, même si dans l’immense majorité des cas, les vrais coupables ne sont pas des ressortissants de l’UE. On impute le chômage, en hausse depuis un à deux mois, à l’afflux d’étrangers sur le marché du travail, bien qu’un cordonnier ne pourra jamais remplacer un médecin.
La tentation du replis sur soi est grande. On constate aussi que l’engouement des Suisses pour l’UE s’estompe, à l’instar de ce que l’on observe dans l’opinion publique des pays membres de l’UE eux-mêmes. Sur ce plan là, le « Sonderfall » helvétique n’existe pas.
Conclusions
Gageons que les Suisses, en citoyens matures et responsables qu’ils sont, sauront raison garder, car si la Suisse est un pays dynamique et prospère, elle le doit avant tout à son pragmatisme économique, à ses exportations et à son marché du travail très ouvert, dont bon nombre de ressortissants de l’UE sont partie prenante. Or ceux-ci contribuent à cette prospérité.
Si d’aventure un « non » devait sortir des urnes le 8 février prochain, on pourrait affirmer que la Suisse s’est tiré une balle dans le pied ...
Une telle issue marquerait à n’en pas douter, un sérieux coup d’arrêt dans les relations entre la Suisse et l’UE, une sorte de retour à la « Guerre froide », une situation que personne ne souhaite, ni parmi l’immense majorité des dirigeants politiques et économiques helvétiques, ni au sein de l’Union Européenne.
« Il meurt chaque année plus d’anti-Européens qu’il n’en naît ... » Louis Armand cité par Denis de Rougemont dans sa « Lettre ouverte aux Européens »
Liens et références
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