To Brexit or not to Brexit ?

par Sylvain Rakotoarison
lundi 20 juin 2016

« Le mouvement syndical britannique a travaillé en solidarité avec nos partenaires européens et a lutté dur pour aboutir à une législation précieuse sur le code du travail au niveau européen. À ce jour, ces droits (…) continuent à protéger les travailleurs britanniques. Si la Grande-Bretagne quittait l’Union Européenne, nous n’avons aucun doute sur le fait que ces protections seraient gravement menacées. » (les dix syndicats britanniques les plus importants représentant 6 millions d’adhérents, le 6 juin 2016).



Ce dimanche 19 juin 2016, la campagne du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne qui aura lieu le 23 juin 2016 a repris après une suspension de trois jours voulue tant par les partisans du Brexit que ceux du Remain à la suite de l’assassinat de Jo Cox à Birstall.

Jamais l’incertitude n’a été aussi grande à quelques jours de ce référendum, issue d’une promesse électorale de David Cameron pour les élections du 7 mai 2015 et dont le principe fut annoncé dans le discours du trône de la reine Élisabeth II le 27 mai 2015. Ceux qui verraient la mort de Jo Cox comme un simple outil de propagande pour éviter le Brexit n’auraient aucun respect pour la femme disparue ni pour son mari, ses deux enfants de 5 et 3 ans, ainsi que tous ses proches.

Il est assez étonnant de voir les très nombreux étrangers se revendiquant d’un souverainisme échevelé qui se réduit à du nationalisme prédigéré vouloir faire pression sur ce référendum. En effet, la logique de l’indépendance du pays, c’est justement de laisser son peuple décider pour lui-même sans laisser des ingérences provenant de l’étranger, fussent-elles d’amis du "Britain First".

Depuis l’assassinat de la députée travailliste Jo Cox le 16 juin 2016, tout est cependant très différent. Ceux qui brandissent l’assassinat de la Ministre suédoise des Affaires étrangères Anna Lindh (le 10 septembre 2003) à quatre jours d’un référendum sur l’intégration de la Suède dans la zone euro, non seulement sont irrespectueux de la mémoire de la députée en sombrant dans une théorie du complot complètement stupide, mais aussi n’ont rien compris à leur propre démonstration puisque cet assassinat en Suède n’avait pas empêché les Suédois de voter clairement contre l’euro.



On voit d’ailleurs clairement où se situe la violence verbale, dans quel camp… Il suffit de lire un peu partout sur le Web ou dans les journaux. À l’évidence, l’assassin de Jo Cox était à la fois un déséquilibré et un sympathisant de l’extrême droite. J’aurais même tendance à dire que les deux sont souvent associés. Daniel Schneidermann concluait sa chronique du 17 juin 2016 ainsi : « Sympathisant nazi ou déséquilibré ? (…) Reste qu’en elle-même, cette question est risible. Comme si on ne pouvait pas être les deux à la fois. ».

Il est clair que la haine, la colère, et l’idéologie mortifère de l’extrême droite ont eu raison des convenances sociales : trois balles dont une dans la tête, sept coups de poignards, il faut vraiment avoir de la haine et de la frustration (l’homme était solitaire sans perspective et la jeune femme jolie, entourée et pleine d’avenir) pour s’être autant acharné sur sa victime.

En politique étrangère, la députée Jo Cox avait été très active pour éviter au maximum les effusions de sang, pour dénoncer la politique britannique envers la Syrie et elle avait refusé de cautionner en décembre 2015 l’intervention des forces britanniques dans la région. Elle croyait même à la nécessité d’un accord négocié avec Bachar El-Assad, rendant ainsi pertinente la position du Président russe Vladimir Poutine.



Bien entendu, aucun partisan du Brexit n’aurait pu avoir l’idée d’assassiner la députée dans une sorte de plan général. Pas plus que des opposants au Brexit dans une sorte de machiavélisme à trois coups de billard, voulant influer sur le sort du référendum. Ce que disait à très juste titre Alexis Poulin, en parlant la « responsabilité morale par le flot de boue quotidien charrié dans un débat sans fond » ("Huffington Post", le 17 juin 2016), c’est que toute cette brutalité verbale rejaillit et a forcément des conséquences sur des cerveaux mal structurés et capables de prendre au sens propre tous les propos haineux des protagonistes du Brexit.

Et pourquoi si haineux ? Parce qu’ils ont peur. Ils ont peur des réfugiés politiques, ils ont peur de l’immigration (alors que la Grande-Bretagne a toujours eu une tradition très ouverte, rappelons Voltaire, subjugué par Newton).

Beaucoup de tenants du Brexit de …France (voir plus haut pour la contradiction) ne sont d’ailleurs pas à une contradiction près. Car la réalité, c’est que ceux qui veulent sortir de l’Union Européenne, au Royaume-Uni, ce ne sont pas des opposants au libre-échange et au libéralisme. C’est au contraire pour faire plus de libre-échange et plus de libéralisme qu’ils prônent la sortie de l’Union Européenne.

C’est ce que rappelait Kim Sengupta, journaliste de "The Independant" le 16 juin 2016, en parlant d’un journal d’extrême droite que lisait régulièrement l’assassin de Jo Cox, "Springbok Cyber Newsletter « which describes itself on its website as being pro-free market capitalisme and patriotism and anti-political correctness » [qui se décrit sur son propre site comme favorable au capitalisme, au marché libre, au patriotisme et au politiquement incorrect].

Et de citer la conclusion de l’article en une du mois de juin 2016 : « The motto of the Patriotic Forum is "Out of Europe and into the World". There is a golden future waiting for Britain out there once the country returns to its traditional vision of looking towards the Open Seas and its ethnic brothers and sisters in the Commonwealth around the globe. » [Le slogan du Forum patriotique est "À l’extérieur de l’Europe et dans le monde". Un futur doré attend la Grande-Bretagne une fois que le pays retrouvera sa vision traditionnelle à la recherche des mers ouvertes et de ses frères et sœurs ethniques du Commonwealth dans le monde entier]. Le Forum patriotique est un rassemblement de groupes d’extrême droite.



En clair, ceux qui prônent le retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne sont largement favorables au mondialisme, au libre-échangisme et considèrent que l’adhésion européenne limite les capacités commerciales du pays.



Ce n’est d’ailleurs pas une surprise que les dix principaux syndicats britanniques, qui rassemblent six millions d’adhérents, ont lancé un appel commun dans "The Guardian" le 6 juin 2016 pour convaincre leurs adhérents de voter en faveur du maintien dans l’Union Européenne : « After much debate and deliberation we believe that the social and cultural benefits of remaining in the EU far outweigh any advantages of leaving. » [Après de nombreux débats et délibérations, nous pensons que les avantages sociaux et culturels d’un maintien dans l’Union Européenne l’emportent largement sur les avantages d’une sortie].

C’est ce qu’ont écrit Len MacCluskey, secrétaire général de l’Unite, Dave Prentis, de l’Unison, Tim Roache, de GMB, Manuel Cortes, de TSSA, John Smith, de la Musicians’ Union, Dave Ward, de la CWU, Matt Wrack, de la FBU, John Hannett, de USDAW, Gerry Morrissey, de Bectu, et Roy Rickhuss, de Community, qui ont expliqué : « The British trade union movement worked in solidarity with our European partners and fought hard to secure valuable working rights legislation at EU level. To this day these rights, including maternity and paternity rights, equal treatment for full-time, part-time and agency workers, and the right to paid leave, continue to underpin and protect working rights for British people. » [Le mouvement syndical britannique a travaillé en solidarité avec nos partenaires européens et a lutté dur pour aboutir à une législation précieuse sur le code du travail au niveau européen. À ce jour, ces droits, y compris les droits de maternité et de paternité, l’égalité de traitement pour les salariés en temps plein et en temps partiel, les congés payés, continuent à protéger les travailleurs britanniques].

Pour s’inquiéter de l’avenir en cas de Brexit : « If Britain leaves the EU, we are in no doubt these protections would be under great threat. » [Si la Grande-Bretagne quittait l’Union Européenne, nous n’avons aucun doute sur le fait que ces protections seraient gravement menacées].

Au-delà des droits sociaux, ce serait en fait toute l’économie britannique qui serait affectée par un éventuel Brexit. En effet, des grandes entreprises comme Airbus, BMW, Ford ont déjà annoncé qu’elles réduiraient leur production et leurs investissements en Grande-Bretagne en cas de sortie de l’Union Européenne. Des experts ont même estimé que la perte économique se monterait à 2,2% du PIB britannique en 2030. Le Chancelier de l’Échiquier (Ministre du Trésor), George Osborne, de son côté, a évalué le 23 mai 2016 à 500 000 emplois perdus en cas de Brexit et une baisse de 3% du salaire moyen.

Avant l’assassinat de Jo Cox, le camp du Brexit avait une légère avance dans les sondages. Beaucoup d’opposants au Brexit avaient reproché au leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, d’avoir soutenu le maintien dans l’Union Européenne sur le bout des lèvres. L’ancien Premier Ministre travailliste Gordon Brown a donc dû prendre la relève chez les travaillistes et s’est beaucoup investi dans la campagne référendaire en appelant ses compatriotes à « mener l’Europe, et non la quitter ».

Paniqué par les sondages défavorables, George Osborne (Ministre du Trésor) a menacé le 15 juin 2016 d’une hausse d’impôts et d’une réduction des dépenses publiques en cas de Brexit car celui-ci créerait une perte budgétaire de 40 milliards de livres sterling. Un alarmisme qui a été condamné par les partisans du Brexit.

Même sur le plan de l’immigration, le Brexit paraît de moins en moins justifié en ce sens qu’un État membre est capable de contrôler lui-même les flux migratoires.

C’est en tout cas ce qu’il ressort de la décision rendue le 14 juin 2016 à Luxembourg par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) saisie par la Commission Européenne en 2014 à l’époque présidée par José Manuel Barroso : « Le Royaume-Uni peut exiger que les bénéficiaires des allocations familiales et du crédit d’impôt pour enfant disposent d’un droit de séjour dans cet État. Bien que cette condition soit considérée comme une discrimination indirecte, elle est justifiée par la nécessité de protéger les finances de l’État membre d’accueil. (…) La Cour relève que rien ne s’oppose à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil. ».



Cette aide sociale attribuée aux migrants d’origine est-européenne était l’un des arguments les plus marquants des partisans du Brexit. En désamorçant cette question, la CJUE a ainsi rappelé que le maintien dans les institutions européennes n’empêchait pas une politique familiale très restrictive, qui a d’ailleurs été acceptée par les 27 autres États membres le 20 février 2016, ainsi que par la nouvelle Commission Européenne présidée par Jean-Claude Juncker.

Parodiant la célèbre phrase de Churchill sur la démocratie, le zoologue et militant écologiste George Monbiot a estimé dans une tribune du journal "The Guardian" du 15 juin 2016 : « L’Union Européenne est le pire des choix, à l’exception de tous les autres. » et s’il n’hésite pas à taper sur l’Union Européenne considérée comme un « égout nocif », elle est, selon lui, un « printemps radieux » en comparaison avec le système britannique : « La biodiversité, les rampes pour les fauteuils roulants, les limites de vitesse, les poumons des enfants : tous doivent établir leur contribution au PIB. À quoi d’autre, après tout, serviraient-ils ? ».

Il a eu des mots assez durs contre le Brexit : « The demand to leave Europe in the name of independence has long been accompagnied by a desire to surrender our sovereignty to the United States. If judged by their ouwn standards, the Brexit campaigners who foresee a stronger alliance with the US are traitors, ceding the national interest to a foreign hegemon. » [La demande de quitter l’Europe au nom de l’indépendance a longtemps été accompagnée d’une volonté de renoncer à notre souveraineté face aux États-Unis. Si elle est jugée par leurs propres critères, les militants du Brexit qui prévoient une alliance forte avec les États-Unis sont des traîtres qui cèdent l’intérêt national à une hégémonie étrangère].

Et de conclure : « I suspect that Donald Trump, or at least Trumpery of some kind, represents the future of US politics, especially if the Democrats fail to connect with people who are catastrophically alienated from the system. Exciting as it will be to have a woman in the White House, Hillary Clinton is embedded in corporate power and corporate dollars. We do not release ourselves from the power of money by leaving the EU. We just exchange one version for another : another that is even worse. » [Je soupçonne que Donald Trump, ou une autre trumperie de même sorte, représente l’avenir de la politique américaine, en particulier si les Démocrates ne parviennent pas à comprendre les Américains qui sont complètement aliénés par le système. De même, il sera excitant d’avoir une femme à la Maison Blanche, Hillary Clinton, qui est intégrée dans les puissances des entreprises et du dollar. Nous ne nous libérerions pas de la puissance de l’argent en quittant l’Union Européenne. Nous échangerions une version pour une autre qui est encore pire].

L’ex-député français UMP Christian Vanneste (eurosceptique) va même jusqu’à écrire le 19 juin 2016 que le Brexit serait surtout intéressant pour les Européens : « La présence d’un porte-avions anglo-saxon dans notre port est un obstacle à l’indépendance d’une politique européenne qui, depuis des années, s’aligne sur celle des États-Unis, que les Britanniques, travaillistes ou conservateurs, suivent comme leur ombre. Une Europe davantage identifiée au continent pourra se tourner à nouveau vers l’Est où le risque communiste a disparu. (…) Le Brexit pourrait libérer l’Europe davantage encore que l’Angleterre. ».



Le 5 juin 1975, près de 17,4 millions d’électeurs britanniques avaient approuvé l’adhésion de leur pays à la future Union Européenne (soit 67,1%). Ce jeudi 23 juin 2016, dans tous les cas, ils seront nettement moins nombreux car le pays est maintenant très clivé. David Cameron a joué son pays au poker. S’il gagne, il aura désamorcé un débat latent au Royaume-Uni depuis Margaret Thatcher. S’il perd, c’est son propre avenir politique qui s’envolera…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
To Brexit or not to Brexit ?
L’euro.
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