Traités européens / FREXIT - les alternatives à l’article 50 existent
par Dominique Claire
mercredi 27 mars 2019
La proximité des élections européennes suscite un intérêt croissant du public pour la question du maintien ou non de la France dans l'Union Européenne (UE). Quelle analyse porter face aux partis qui revendiquent l'activation de l'article 50 ?
La proximité des élections européennes suscite un intérêt croissant du public pour la question du maintien ou non de la France dans l'Union Européenne (UE). Quelques partis politiques proposent explicitement le FREXIT, à l'instar du Royaume-Uni, via l'activation de l'article 50 du Traité sur l'Union Européenne (TUE).
Or, la lecture de la littérature relative au droit international permet de distinguer à minima 5 scénarios alternatifs à l'article 50, pouvant susciter des conséquences notables au niveau politique, notamment pour les partis qui défendent cette dernière alternative.
1. Non-reconnaissance du traité de Lisbonne
Une décision radicale que pourrait prendre un État souverain compte-tenu :
- du refus exprimé par les Français du traité constitutif européen en 2005
- de la grande similitude des dispositions du traité de Lisbonne avec celles du projet de traité de 2005
Le traité de Lisbonne pourrait être considéré comme nul (et non avenu le cas échéant). Toutes ses dispositions prises dans le cadre de son application étant jugées nulles.
Précédents dans l’Histoire récente : dénonciation du traité FNI (limitation armement nucléaire Etats-Unis - Russie) de l’accord nucléaire iranien par Trump, retraits des États-Unis et d’Israël de l’UNESCO, etc...
Retrait unilatéral immédiat et sans accord, pouvant donner lieu le cas échéant à des sanctions ou des représailles si un État agit seul.
2. Négociation d’un nouveau traité modificatif entre les Etats-membres
Processus de négociation classique avec ratification et entrée en vigueur, suivant l’usage établi de manière concerté.
Exemple type : traité de Lisbonne de 2007, portant sur la modification en profondeur des traités préexistants de Rome (1957) et de Maastricht (1992), et entré en vigueur le 1er décembre 2009.
3. Négociation d’un nouveau traité entre quelques Etats-membres, pouvant comprendre des dispositions contraires aux traités existants.
Risque de problème de responsabilité internationale, mais aucun précédent de jurisprudence sur la nullité d’un tel traité.
Plusieurs États s’entendent pour mener à bien ce processus et, collectivement, instaurent un nouveau cadre géopolitique.
4. Déclaration de caducité du traité, au titre du jus cogens
Par exemple, les traités actuels ont été ratifiés pour une durée illimitée.
Cette disposition peut être considérée comme contraire au jus cogens (art. 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités), voire à une nouvelle norme impérative du jus cogens (art. 64 de la même Convention)
Extrait de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)
Article 53. TRAITÉS EN CONFLIT AVEC UNE NORME IMPERATIVE DU DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (« JUS COGENS »)
Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère.
Article 64. SURVENANCE D'UNE NOUVELLE NORME IMPERATIVE DU DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (« JUS COGENS »)
Si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin.
5. Changement fondamental de circonstances (art.62 traité de Vienne)
Invoquer un changement fondamental de circonstances pour se retirer du traité ou l’annuler.
Eléments de conclusion
On le voit, la proposition d’appliquer l’article 50 découle d’une vision somme toute assez technocratique et bien légaliste des dispositions actuellement en vigueur. De plus, le choix de l’article 50 démontre une vision et une stratégie principalement unilatéraliste voire isolationniste.
En premier lieu, il refuse de remettre en cause la légalité et la légitimité du traité de Lisbonne, dont les dispositions et les modalités reprenaient largement le contenu du traité constitutif européen rejeté par les Français en 2005. Ce faisant, il ferme la porte à une action diplomatique radicale visant à contester frontalement la légalité de ce traité de Lisbonne, pour le dénoncer le cas échéant (scénario 1), voire de l’assortir d’un nouveau traité avec tout (scénario 2) ou partie (scénario 3) des États membres, sans devoir attendre pour autant l’accord unanime des 27 membres pour statuer.
Le caractère éminemment politique du principe de dénonciation d’un traité s’affirme ici. Il s’agit d’un acte conditionné dans le cadre de rapports de force internationaux. Dans la mesure où les partenaires « victimes » de la dénonciation d’un traité trouvent un intérêt supérieur à négocier plutôt qu’à exercer des représailles de quelconque nature, il n’est pas nécessaire de passer par une procédure technocratique telle que l’article 50. C’est une des raisons pour lesquelles la Grèce, isolée en 2015, ne pouvait pas rivaliser avec le reste de l’Europe et a du céder aux politiques austéritaires de la troïka. Tel ne peut être le cas de la France, seconde économie du continent… pour le moment.
La vision restreinte de l’article 50 ignore également la capacité à pouvoir construire et faire évoluer le droit international contemporain, en questionnant notamment la durée indéterminée des traités internationaux (scénario 4), voire à définir plus en détail le « changement fondamental de circonstances » tel que défini à l’article 64 de la Convention de Vienne de 1969 (autrement appelée le traité des traités), à même de pouvoir déclarer un traité caduc ou de s’en retirer de plein droit (scénario 5).
Par conséquent, la proposition d’activer l’article 50 du TUE relève à tout le moins d’une forme de myopie politique, voire d’un authentique leurre, à même de focaliser une partie des frustrations ou des colères populaires actuelles autour d’une question de procédure juridique hautement technocratique.
Ce faisant, l’attention portée depuis quelques années sur cette procédure, et a fortiori son activation dans le cadre du Brexit, a contribué à renforcer de facto l’expertise, la légitimité et l’influence des négociateurs européistes au sein des instances de l’UE, ce dont les Britanniques font l’amère expérience depuis deux ans.
Pour conclure, citons cette petite phrase attribuée (à tort ?) à Winston Churchill :
« Le principe du fonctionnaire est de suivre les règles.
Le principe de l’homme d’État, c’est de les créer. »
Bibliographie :
Barberis Julio. Le concept de « traité international » et ses limites. In : Annuaire français de droit international, volume 30, 1984. pp. 239-270.
DOI : https://doi.org/10.3406/afdi.1984.2603
Abdelkader Yahi. La violation d’un traité : l’articulation du droit des traités et du droit de la responsabilité internationale. In : Revue belge de droit international, 1993/2, pp.437-469.
Convention de Vienne relative au droit des traités, 1969 :
https://treaties.un.org/doc/Treaties/1980/01/19800127%2000-52%20AM/Ch_XXIII_01.pdf