UE : Le piège diabolique

par Olivier Perriet
jeudi 26 janvier 2012

En cette période marquée par une crise mondiale aggravée au sein de la zone euro (endettement, plans de rigueur mortifères, stagnation économique ou récession, chômage de masse endémique, risque de banqueroute d'États à la façon argentine ou russe…), les méfaits de la politique de l'Union européenne pourraient faire l'objet de débats enflammés. Surtout à l'approche de la présidentielle.

Or il est fort à parier, et je le déplore, que ce ne sera pas le cas, comme en 2002 et surtout en 2007.

Comment expliquer cette situation bloquée ?

Elle tient, je pense, à la nature même du court-circuit démocratique crée par les instances européennes, qui constituent un pouvoir bien palpable, mais hors d'atteinte.

La présidentielle de 2002 s'est achevée sur une hystérie médiatique autour de "l'insécurité" et un référendum, lui aussi hystérique, sur la personne de Jean-Marie Le Pen, avec le résultat que l'on sait.

Venant après le référendum du 29 mai 2005, on aurait pu imaginer que la campagne de 2007 tournerait autour des enjeux européens. Or ce ne fut pas directement le cas, même si les deux principaux candidats ont manifestement tenu compte du fossé effrayant entre les élites et la majorité du peuple révélé par le vote du 29 mai 2005.

Ségolène Royal a prétendu combler ce fossé par "la démocratie participative", pseudo alternative où les citoyens sont supposés souffler aux politiques, dont c'est pourtant le travail, les détails de leur programme de gouvernement.

Nicolas Sarkozy, par un double discours, a proposé de canaliser un peuple menaçant, potentiellement capable de mal voter, en reprenant son langage et ses anxiétés, d'une manière tellement conforme aux préjugés de l'élite (langage dégradé - apparu subitement dans le discours sarkozien - , fixation sur les banlieues et "l'insécurité", sacrifices rituels à la nation avec l'aide d'Henri Guaino) et de façon tellement appuyée et emphatique qu'il était évident dès le départ qu'il ne fallait pas le prendre trop au sérieux.


La deuxième voie étant apparue, sinon plus crédible, en tout cas moins anxiogène, et le candidat Sarkozy ayant l'avantage de s'être adressé quotidiennement aux Français depuis 5 ans (quand Ségolène Royal, embourbée dans des débats participatifs intéressant uniquement la gauche, a décidé de parler à tous les Français deux mois avant l'élection), celui-ci a été élu haut la main.


L'espoir d'une remise à plat de la construction européenne né en 2005 s'est évanoui.


Alors que ce passera-t-il cette année ? À trois mois du premier tour, cette élection ne semble pas (encore ?) avoir de thématique majeure, passant presque superficiellement d'un sujet à l'autre (nucléaire, financement de la protection sociale en passant par re l'immigration ou le "made in France", antienne reprise par tous les candidats sans qu'on soit bien certains qu'ils y croient eux-mêmes). La critique de l'union européenne y figure bien, mais pas comme un thème structurant[1]. Et l'action égocentrique à l'extrême du président sortant aura très probablement pour principal résultat de transformer les prochaines élections en référendum "pour" ou "contre" Sarkozy. Là aussi, la réponse qui sera donnée à cette question tout sauf superficielle ne fait guère de doute.


C'est là toute la perversion de la mise hors du champ démocratique des institutions européennes, dont le poids est de plus en plus lourd (gestion de l'euro, directives et jurisprudence diverses, bientôt droit de regard préalable sur les budgets des États...) mais qui agissent sur les citoyens par l'intermédiaire des pouvoirs étatiques existants, qui ont consentis à leur abandonner une partie de leur souveraineté.

Il semble être difficile de réduire l'élection du président de la république française pour les 5 prochaines années à un débat sur l'Union européenne :

Cette élection couronne un notable d'envergure nationale, qui a pris le temps de se faire connaître du pays depuis de longues années et doit susciter un rassemblement majoritaire, trans-partisan, presque hétéroclite, autour de sa personne. Ainsi, sans même évoquer les 82 % de Jacques Chirac en 2002, le candidat élu l'a toujours été par "son camp" et une partie du "camp d'en face" (n'en déplaise à M Bayrou)

En fait, ce n'est tout simplement pas pour remettre en cause l'Union européenne que la présidentielle française a été créée !

Il est parfaitement injuste de considérer que d'autres interrogations seraient illégitimes.

Et, quoi qu'en dise l'énervé qui sévit périodiquement sur AV et distribue ses accusations à la limite de la calomnie, rendre responsables les divers politiques critiques envers l'UE (de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen) de "diviser" le front des opposants est aussi fallacieux.

Ce front n'a jamais existé.

Le Non du 29 mai 2005 était d'abord la conséquence du bilan extrêmement décevant de l'UE. "Le plombier polonais" a en quelque sorte soldé les promesses mirifiques distribuées lors de la campagne de Maastricht en 1992 ("il n'y aura plus de chômage", "croissance garantie" etc…). Ce ne fut pas, sinon très confusément, un Non au principe même d'une Union qui se place hors de la démocratie.

Comment pouvait-il en être autrement quand les élites matraquaient consciencieusement un même message en faveur du Oui, sans beaucoup d'arguments il est vrai ?

Et ce ne sont pas les inaudibles élections du Parlement européen, Tour de Babel baroque non démocratique,[2] qui peuvent soumettre ces enjeux au contrôle des citoyens, bouclant ainsi la boucle.

Un tel dysfonctionnement ne peut perdurer.

Mais comment remettre en cause, par des élections représentatives, répondant à une logique complètement différente, un montage conçu, justement, pour échapper à ces "contingences démocratiques" ?

J'ai depuis longtemps la conviction que cet édifice vermoulu s'effondrera sous ses propres contradictions et que le terme est peut-être plus proche qu'on ne le croit. Même s'il se maintient depuis plusieurs dizaines d'années maintenant.

Cette analyse pessimiste sur le court terme (mais je préfèrerais, bien sûr, me tromper) ne doit donc pas être un motif de résignation et, au contraire, inciter à l'action.

Même si la tâche est ingrate, il faut prendre date et continuer d'expliquer, analyser et démonter les fausses évidences européistes, quel que soit le cadre dans lequel on le fait.

Après tout, on a connu en 2011 un cas d'accélération de l'histoire de cette sorte : Dominique Strauss Kahn, qui était pratiquement déclaré élu avant même d'avoir fait acte de candidature (et l'aurait probablement été ?), a été écarté en quelques semaines de manière totalement imprévisible.

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[1] Entre parenthèse, le discours écologiste, qui voudrait également imposer un autre "modèle" structurant le débat politique, en fait aussi les frais. Mis à part le fait que la désignation d'Eva Joly comme candidate des Verts était assurément la meilleure solution pour ne jamais parler écologie.

[2] Comme l'a constaté Jean-Luc Mélenchon (voir "La mécanique Mélenchon", LCI, 40e minute). Cette remise en question, de la part d'un politique qui reconnaît par ailleurs "avoir tellement fantasmé sur ce parlement européen", est suffisamment rare pour être soulignée.


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