Ukraine : selon que vous soyez pro-UE ou pro-russe…

par Laurent Herblay
mercredi 11 décembre 2013

La situation en Ukraine est troublante. Bien sûr, le régime au pouvoir n’est sans doute pas un modèle de démocratie. Néanmoins, il est issu des élections de 2012 et surtout, que dirions-nous si la situation était inversée, et que les manifestants dénonçaient le gouvernement pour ses projets européens ?

Une question de perspective
 
Pour beaucoup de médias comme The Economist, la messe est dite en Ukraine. Il y a d’un côté de gentils manifestants qui veulent rejoindre le camp du progrès, celui de l’UE, et de l’autre le méchant gouvernement qui a finalement refusé de s’associer avec le camp des lumières, pour s’associer avec la Russie de Poutine. Consciemment ou inconsciemment, le biais dans le traitement de l’information est considérable. Ne peut-on pas imaginer qu’il y a un parti-pris dans cette couverture médiatique ? Il est difficile de ne pas imaginer que si des manifestants pro-russes manifestaient contre les projets européens d’un gouvernement en place, ils seraient alors traités de factieux mettant en cause la démocratie.
 
Il ne faut pas oublier que l’équipe au pouvoir est issue des élections législatives de 2012. Mais il faut aussi bien reconnaître que les conditions de ces élections ont été remises en cause par l’OSCE, qui a parlé de « pas en arrière  » par rapport à 2010. Problème supplémentaire, la principale responsable de l’opposition, et ancienne Premier Ministre, Ioulia Tymochenko, est en prison. Elle avait obtenu 45,9% des voix lors de l’élection présidentielle de 2010, contre 48,5% à Viktor Ianoukovytch. Cependant, ce dernier a presque toujours penché en faveur de la Russie quand son opposante regardait plus vers l’Europe. Les Ukrainiens ont tranché dans un sens pro-russe lors des deux dernières élections.
 
Dans le doute, s’abstenir

La situation est d’autant plus compliquée que les différents camps politiques s’accusent mutuellement de corruption, certains n’accordant pas plus de crédit à Ioulia Tymochenko qu’à Viktor Ianoukovytch. De plus, un ancien dirigeant n’est pas forcément innocent et un pays doit pouvoir rendre la justice de manière souveraine. En outre tout ceci suit la Révolution Orange de 2004, qui avait vu Viktor Iouchtenko, au visage très marqué par ce qui était peut-être un empoisement, l’emporter dans un troisième tour imposé par les manifestations après un second tour qu’il avait perdu de peu face à l’actuel président, mais où de nombreux observateurs avaient jugé qu’il y avait eu beaucoup de fraudes.

Et le choix de Viktor Ianoukovytch n’est pas si surprenant, même si les autorités européennes ont espéré jusqu’au bout. Plutôt du côté pro-russe, il peut aussi le justifier par les espèces sonnantes et trébuchantes que la Russie pourrait apporter à l’Ukraine. The Economist s’est fait l’écho de la demande financière extravagante que Kiev aurait transmise à Bruxelles, 160 milliards d’euros d’ici à 2017, pour rejoindre le camp européen. Moscou a les ressources naturelles et une stratégie politique qui lui permettent de soutenir économiquement (d’autres diront « acheter ») son voisin.
 
Mais du coup, que conclure ? Il est tout sauf évident qu’une nette majorité d’Ukrainiens étaient favorables à l’accord, contrairement à ce qu’avance un peu vite The Economist. En outre, on a connu des gouvernements qui passaient outre des votes populaires, sans créer un tel scandale. Il faut dire que ces votes populaires étaient hostiles à cette sacro-sainte UE… En fait, il s’agit peut-être seulement du énième affrontement des deux camps qui fracturent la vie politique de l’Ukraine. Et ce n’est pas parce qu’il ne penche pas vers nous qu’il faut disqualifier le camp pro-russe, qui avait gagné les élections de 2010, même s’il ne s’agit pas non plus de lui accorder un blanc-seing étant données certaines dérives.

Certes, le régime actuel n’est sans doute pas tout blanc, et les opposants ont le droit de manifester. Mais l’Europe a sans doute tort de prendre partie, comme elle le fait aujourd’hui, s’octroyant le droit divin de choisir qui serait bon et qui ne le serait pas, alors que la situation est plus compliquée que cela et qu’elle est, en plus, partie prenante et donc peu objective.

 


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