Un Airbus A400M s’écrase près de Séville, 21 ans après un A330 près de Toulouse

par Laurent Simon
lundi 11 mai 2015

En ces cérémonies rappelant le 8 mai 1945, demandez autour de vous quels sont les 3 ou 4 événements marquants du 20e siècle. Immanquablement les deux guerres mondiales, et la chute du mur de Berlin sortiront nettement, ainsi que les événements de 1968, qui ont pris des formes diverses en Allemagne, en France, aux Etats Unis ou en Tchécoslovaquie.

C'est que les événements sociétaux, nationaux ou internationaux tendent à être rythmés par des cycles de 20 à 22 ans (1918-1939, 1945-1968, 1968-1989). Dans les entreprises aussi, des événements tendent à survenir selon des cycles d'une même durée, celle d'une génération humaine.

Nos pensées vont d'abord bien sûr aux personnes à bord, et à leurs familles. Si les accidents en vols d'essais, comme en vols commerciaux, sont de moins en moins fréquents, c'est toujours pour les personnes concernées un accident de trop, bien entendu.

Et nous devons être très prudents tant que les causes (techniques et/ou humaines et/ou organisationnelles) ne sont pas connues.

Cet accident ressemble cependant (un peu) au vol d'essais de l'A330, près de Toulouse, le 30 juin 1994, alors que les essais en vol visaient à obtenir la certification de l'avion. Il s'agissait alors d'un arrêt moteur, provoqué, pour vérifier le comportement du nouveau biréacteur d'Airbus.

La grosse différence réside dans le fait, essentiel, que l'A400M a justement été certifié, et qu'il a été livré à 12 exemplaires, dont la moitié à la France, qui est le seul pays d'ailleurs à ne pas clouer au sol ses 6 avions (mais seuls les vols « prioritaires en opérations » seront autorisés [1]).

Un coup dur pour l'A400M, dont Airbus se serait bien passé !

L'enquête devra notamment montrer s'il y a eu un problème technique susceptible de se reproduire. Et si le (récent) retard dans les livraisons n'aurait pas amené certains à relâcher un peu la vigilance dans la production ou le test de certaines pièces de cet avion emblématique d'un (timide) début d'une certaine Europe (industrielle) de la Défense.

Début d'Europe de la Défense encore timide, mais significatif (programme de 170 avions, 20 milliards d'euros), même s'il a été douloureux, du fait d'erreurs dans le management de projet, encore malheureusement trop souvent constatées dans certains projets européens.

L'A400M n'avait évidemment pas besoin de cette nouvelle péripétie : de nombreuses difficultés ont été rencontrées, essentiellement dans la façon de conduire ce projet rassemblant 7 pays, lors du développement de cet avion exceptionnel, notamment par sa très grande polyvalence, et en particulier ses caractéristiques d'avion à la fois 'logistique' (à long rayon d'action, comme le C-17) et 'tactique' (comme le C-130 Hercules ou le franco-allemand Transal) [2].

Polyvalence qui marque l'aéronautique européenne militaire : les succès des avions de combat Rafale (français) et Gripen (suédois), ou du Multi-Rôle Ravitaillement et Transport A330 (MRTT) résultent de choix dictés par un budget très restreint, contrainte que n'ont pas les avionneurs d'outre atlantique.

Malheureusement, et comme nous nous y attendions, la presse française a tendance à en rajouter dans les remarques négatives. Même le sérieux Jean Guisnel s'y met [3], qui conclut par ces lignes : "L'accident de Séville n'est pas seulement un drame humain et technique. Il signe aussi, comme un symptôme éclatant, l'avalanche des avanies de ce programme. L'A400M se trouve dans un état critique. On connaîtra sans doute rapidement les causes du crash qui peuvent, comme toujours dans ces circonstances, reposer sur des causes humaines ou sur des raisons techniques. Dans tous les cas, c'est une catastrophe industrielle d'une ampleur considérable pour Airbus, qui se voit frappé dans l'un de ses programmes les plus emblématiques. Le mécontentement grandissant de ses clients, qui vont devoir clouer les avions au sol durant l'enquête, ne risque pas de retomber de sitôt, d'autant plus qu'il leur a déjà fallu mettre la main au portefeuille pour que ce programme perdure."

Il faudrait en fait reprendre les éléments point par point, pour montrer en quoi ces termes sont exagérés, ce que nous ferons un peu plus tard dans un autre article.

En attendant, reprenons quelques éléments publiés ailleurs "C'est un "bijou technologique", assurait en 2013 le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, lorsque la France a pris livraison de son premier A400M.

L'A400M "va transformer la manière dont fonctionnent les opérations militaires", expliquait à l'AFP Ian Elliott, alors vice-président d'Airbus Military, car "pour la première fois, il permettra de livrer des équipements de combat directement sur place". ...

"Tous les pilotes qui ont volé sur l'A400M vantent les performances" de l'appareil, selon Bernhard Gerwert, directeur général d'Airbus DS.

Équipé de quatre turbopropulseurs, l'A400M peut transporter jusqu'à 37 tonnes sur 3.300 kilomètres, se poser sur des terrains non préparés comme le sable, avec à son bord des blindés ou des hélicoptères." [4]

21 ans, 22 ans : le temps d'une génération, qui remplace la précédente

Mais au-delà des questions habituelles, la date de l'accident pose une autre question, très différente, puisque heureusement ce genre d'accident est extrêmement rare : il survient 21 ans après l'accident de l'A330, soit avec un décalage d'une génération humaine.

De même que cet accident d'A330 en 1994 était survenu 22 ans après le premier vol du premier Airbus, en 1972 : l'A300. Vous me direz qu'il n'y a pas eu d'accident en 1972... C'est vrai : c'était la première fois qu'Airbus subissait un tel accident d'essai, puisque ni l'A300, ni l'A310, ni l'A320 n'a connu d'accident de ce genre (et nous nous en félicitons !). Mais dans ce questionnement sur des cycles et leur durée, il n'est pas aberrant de tenir compte d'une date où un tel accident aurait pu avoir lieu. Surtout qu'il concerne un avion gros porteur (l'A330), qui était celui que visait Airbus avec son premier avion, l'A300 (d'où ce nom, pour 300 passagers), sans avoir pu le réaliser notamment du fait de l'absence d'un réacteur suffisamment puissant.

Des multiples d'une vingtaine d'années, comme dans le spatial, ou dans l'aéronautique militaire

Dans un autre domaine, l'exploit européen de Rosetta Philae  [5], qui culmine en novembre 2014 avec l'atterrissage (mouvementé) sur la comète Tchourri, survient 45 ans (2 fois 22.5 ans) après l'atterrissage du LEM sur la Lune, en juillet 1969 [6]. Et l'idée d'un tel projet remonte à 30 ans en arrière, soit 20 ans après le discours de JF. Kennedy, qui annonçait le lancement du programme Apollo.

Pour en revenir à l'aéronautique, le F-35 nord américain a été lancé pour succéder au mémorable F-16 (4 500 exemplaires vendus dans le monde, en 40 ans), défi qui au passage est loin de se réaliser au niveau technique, car les concepteurs du F-35 ont oublié l'essentiel des principes [7] qui avaient permis l'extraordinaire succès du F-16. Tout simplement parce que les concepteurs du F-16 ne sont plus là, qu'ils ont tous été remplacés, deux générations après.

Le lecteur attentif, ou informé, aura remarqué que seulement 34 ans séparent les dates de premier vol du F-16 et du F-35, ce qui pourrait sembler affaiblir notre exemple. Mais du fait des énormes retards rencontrés par le F-35 (bien loin d'être terminés), la véritable mise en service opérationnelle est repoussée d'un grand nombre d'années, et l'écart sera probablement supérieur à 2 x 22 = 44 ans !

De même, sur un autre registre, ces dernières semaines ont vu le succès à l'export, tant attendu en France [8], du Rafale, avec 3 ventes en 2 mois : 84-96 exemplaires, soit la moitié des 180 commandés en France. Ce qui semble reproduire, 48 ans après 1967 (2 fois 24 ans), le décollage des ventes du Mirage III, dont les qualités opérationnelles étaient apparues au grand jour au Proche Orient lors de la Guerre des 6 jours.

Le lecteur peut être surpris de cet ensemble d'exemples, qui pourrait effectivement être le fruit de coïncidences.

Mais le résultat coïncide excellemment avec la théorie de William Strauss et Neil Howe, théorie dont nous ne connaissions pas l'existence quand nous avons écrit en 2005 notre premier article à ce sujet en France. La théorie des cycles n'est pas nouvelle, mais leur étude sur plusieurs siècles en Angleterre et aux Etats-Unis aboutit à une durée de cycles élémentaires de 20 à 22 ans [9], ce qui est exactement ce que nous trouvons de notre côté.

 

Airbus A400M en vol d’essai

 


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